parfois les contingences sensori-
motrices, essentielles pour le déve-
loppement de l’enfant.
Si vous voulez prouver expérimenta-
lement que la motricité améliore la
mémorisation, imaginez ce test
simple. Vous êtes devant un écran où
apparaissent 12 cases. Un point s’illu-
mine au centre d’une des cases, et un
instant plus tard apparaît une image
(par exemple, un chien, une fraise,
une auto, etc.). L’image disparaît, puis
un autre point apparaît dans une
autre case, annonçant l’arrivée d’une
autre image. Le processus se poursuit
jusqu’à six images, dont vous devez
mémoriser l’emplacement. À l’issue,
si je vous demande où étaient les
images, vous allez restituer avec plus
ou moins de succès leurs emplace-
ments. Mais si je recommence l’expé-
rience en vous demandant, pour
chaque point qui s’illumine dans une
case, non pas de l’observer mais de
déplacer un curseur à l’aide d’une
souris jusqu’au centre de la case et de
cliquer dessus pour faire apparaître
l’image, j’observerai alors que votre
mémorisation de la série des 6 images,
et surtout de l’association des images
avec leur position sera bien meil-
leure. Le fait que l’apparition des
images soit la conséquence de mon
action a amélioré ma mémorisation
de l’ensemble de l’événement vécu.
Peut-on s’inspirer
de ces effets dans
les apprentissages?
Même si la cognition incarnée reste
encore très méconnue dans le
domaine de l’éducation, de plus en
plus d’enseignants font appel à des
méthodes dans lesquelles ils utilisent,
sans forcément le savoir, les principes
de la cognition incarnée. C’est le cas
notamment en mathématiques ; pour
apprendre des notions abstraites, il
est intéressant de les raccrocher à des
expériences sensorielles, à des gestes
ou des représentations dans l’espace,
etc., de manière à ce que ces règles
soient issues des expériences sensori-
motrices de l’élève.
Un de mes étudiants, qui travaille sur
l’apprentissage du vocabulaire,
DOSSIER QUAND LE CORPS STIMULE LA PENSÉE
NOTRE CORPS DéTERMiNE NOTRE RAPPORT Au MONDE
présente par exemple à des partici-
pants (adultes ou enfants) des mots
artificiels, sans signification (comme
Votesi) en leur attribuant des signifi-
cations (par exemple « Petite flûte
ovale pourvue d’un bec, etc. »), et à
certains d’entre eux il demande de se
représenter mentalement l’objet,
d’imaginer le manipuler, en ressentir
le poids, la texture et la température,
de simuler des expériences sensori-
motrices avec cet objet. Résultat :
l’apprentissage des couples mots-
significations est meilleur. De même,
des travaux ont montré que si on
entraîne les enfants à se construire
une bonne représentation de l’es-
pace, ils font souvent des progrès en
géométrie. Dès cet automne, nous
mènerons des études auprès de
classes de CE1 sur l’impact cognitif
d’activités en pleine nature favori-
sant la simulation sensorimotrice,
avec une attention toute particulière
pour un transfert possible vers les
apprentissages en classe.
Si l’interaction avec les objets
a un effet sur la cognition,
cela a-t-il des conséquences
sur l’apprentissage,
notamment selon que
l’on utilise des livres
ou des tablettes?
Une étude récente a comparé deux
groupes de jeunes adultes devant
Une des causes
du déclin de la
mémoire avec
l’âge est la baisse
des capacités
sensorimotrices.
La précision
des traces
en mémoire
s’en trouve
altérée.
lire un texte assez long : le premier
groupe devait le lire sur une tablette,
et l’autre dans un livre. Les cher-
cheurs ont alors constaté que ceux
ayant lu dans un livre avaient une
meilleure représentation de la chro-
nologie des événements, et de
manière générale de l’organisation
du récit. Ce qui se passe – et dont on
a rarement conscience – c’est qu’avec
un livre en main, on sait automati-
quement si on est au début, au
milieu ou à la fin du récit. L’ordre
des choses est matérialisé visuelle-
ment et tactilement avec le livre.
Alors que sur une tablette, cela
apparaît moins.
Quand le corps vieillit,
cela a-t-il aussi un impact
sur la cognition?
Lorsque l’on vieillit, maintenir autant
que possible une motricité importante
dans un environnement le plus riche
possible sensoriellement est primor-
dial. Une des causes de la baisse des
capacités de mémoire des personnes
âgées, en dehors de pathologies dégé-
nératives, est la réduction de leurs
capacités sensorimotrices. La préci-
sion des traces en mémoire s’en trouve
alors dégradée. De plus, si l’environ-
nement dans lequel on se trouve est
moins stimulant, le corps dispose de
moins d’indices pour réactiver le cer-
veau et le replacer dans un état qui
correspond aux souvenirs recherchés.
Les troubles de la mémoire séman-
tique sont plus tardifs que les troubles
de la récupération des souvenirs, car
pour ces derniers, il faut que le cer-
veau se remette dans un état très pré-
cis qui correspond à l’expérience
vécue, associée à des aspects sensori-
moteurs précis. La mémoire des sou-
venirs est donc davantage affectée
lorsque nos interactions motrices et
sensorielles avec notre environne-
ment commencent à se raréfier.
Pouvoir interagir avec un environne-
ment stimulant est aussi indispen-
sable à l’enfant pour son développe-
ment, qu’à la personne âgée pour
ralentir son déclin cognitif. £
Propos recueillis
par Sébastien Bohler