visionner un dessin animé humoris-
tique en vous disant de tenir un
crayon entre vos dents sans le tou-
cher de vos lèvres, vous le trouverez
plus amusant que si vous avez le droit
de poser vos lèvres autour du crayon.
Pourquoi? Parce que dans le premier
cas, les muscles de votre visage
esquissent une mimique de sourire,
provoquant dans votre cerveau une
simulation d’expériences passées où
vous avez exécuté ce mouvement, les-
quelles sont associées à des états
émotionnels spécifiques. Ces derniers
étant plutôt positifs, il perçoit la
situation comme plaisante.
Le même mécanisme explique pour-
quoi, si l’on vous demande d’évoquer
des souvenirs, et que vous vous
tenez droit, vous citerez des souve-
nirs plus positifs que si vous avez
une posture plus courbée – car la
première action corporelle a été
couplée de façon répétée à des émo-
tions positives, et la seconde à des
réactions d’abattement.
Les émotions sont aussi liées à l’es-
pace. De façon globale, nous avons
tendance à placer vers le haut les
concepts que nous apprécions, et vers
le bas ceux que nous associons à des
émotions négatives. Ainsi, dans une
expérience, des participants étaient
placés devant un écran au centre
duquel apparaissait le visage d’une
personne, et au-dessus et en dessous
du visage se trouvaient deux cases
vides. On disait alors (par exemple)
au participant : « Cette personne que
vous voyez aime les pandas mais pas
les zèbres. Placez ces deux animaux
dans les cases. » Et le résultat montre
que 90 % des personnes placent le
panda en haut et le zèbre en bas...
Si nous plaçons les émotions
positives en haut et les
négatives en bas, n’est-ce
pas parce que dans
le langage courant, ce qui est
au-dessus est supérieur,
donc « meilleur »?
Il existe effectivement un lien entre
les représentations langagières et
l’attribution de valence à l’espace.
Mais il n’est pas du tout certain que
ce soit le langage qui « contamine »
mon évaluation de l’espace. Beaucoup
pensent au contraire que le langage
ne fait que refléter les ressentis asso-
ciés à l’espace. C’est certainement
plus évident pour la latéralisation
droite-gauche. Si nous refaisons cette
même expérience en plaçant cette
fois les deux cases à droite et à
gauche du visage, on observe que les
droitiers placent le panda (présenté
comme l’animal « apprécié ») à droite
dans 75 % des cas, et le zèbre dans
seulement 25 % des cas.
Pourquoi les droitiers
associent-ils des émotions
positives à la partie située
à droite de leur espace
personnel?
Ce comportement permet d’intro-
duire une notion importante, la
fluence. La fluence est le sentiment
de facilité et de familiarité que l’on
éprouve en traitant certaines infor-
mations. Du fait de leur latéralisa-
tion, les droitiers ont plus de facilité
à interagir avec les objets situés à
leur droite. Ils vont plus naturelle-
ment attraper les objets, toucher les
gens ou caresser un animal de ce
côté-là, et de la même façon, ils se-
ront plus efficaces pour manipuler
des outils situés à leur droite, comme
un levier de vitesse lorsqu’ils sont en
voiture. La facilité motrice est alors
traduite en un sentiment positif et
naturel, « fluide », d’où le terme de
fluence. Le concept de fluence est
aussi utilisé pour expliquer que l’on
trouve plus sympathique un objet ou
une personne que l’on a déjà rencon-
tré plusieurs fois par le passé, ce qui
constitue un effet connu en psycho-
logie, l’effet de simple exposition.
Dans ce cas, la familiarité due à la
répétition des rencontres qui permet
au cerveau de traiter l’information
plus rapidement et plus facilement,
ce qui produit une sensation de faci-
lité et de fluidité, et débouche sur un
ressenti émotionnel positif.
Les effets des mouvements
ou de la position du corps
vont-ils jusqu’à influencer
nos mécanismes
de mémorisation?
Tout à fait! Vous touchez ici à mon
domaine de prédilection... Les
objets et les personnes avec lesquels
nous interagissons sont multimo-
daux : ils se présentent à nous par le
truchement de plusieurs sens dont
la vue, l’ouïe, le toucher et parfois
l’odorat. Or il faut, pour constituer
un souvenir, que les sens soient unis
les uns aux autres. Or, un des prin-
cipaux candidats susceptibles de
permettre cette unification est jus-
tement la motricité. C’est elle qui est
essentielle à ce qu’on appelle l’inté-
gration multisensorielle. Parce que
notre manière de percevoir le
monde dépend de notre action sur
le monde. Toutes les propriétés du
monde qui m’entoure dépendent de
mon action sur ce monde : si je m’ap-
proche d’un objet, je le vois sous un
différent jour, je l’entends plus fort,
je perçois mieux son parfum, etc.
C’est aussi ce que l’on appelle
Après avoir mangé du
sucre, nous voyons les
escaliers moins raides,
parce que nous avons
plus d’énergie!