DOSSIER QUAND LE CORPS STIMULE LA PENSÉE
J’ Ai uN CORPS, DONC JE PENSE
conscience repose sur une interaction avec l’envi-
ronnement. Si cette interaction n’a pas lieu, l’or-
ganisme n’a à vrai dire pas réellement besoin de
conscience. « Si nous devions étudier une chose
inconnue trouvée sur Mars, et que cette chose ne
dispose pas de la faculté de faire des mouve-
ments, dit le neuropsychologue Peter König, de
l’université d’Osnabrück, en tant que chercheur
sur le cerveau je ne serais pas en mesure d’énon-
cer un critère pour décider si cette chose dispose
ou non d’une conscience. Toutefois, je partirais
du principe que s’il n’interagit pas physiquement
avec le monde alentour, il n’en serait probable-
ment pas doté. »
Même si les méthodes d’imagerie cérébrale
ont permis d’obtenir des résultats frappants, la
plupart des neuroscientifiques savent maintenant
que si un examen du cerveau est important pour
comprendre la pensée, les sentiments et les
actions, cela n’est pas pour autant suffisant.
König développe l’argument suivant : d’un point
de vue subjectif, nous n’avons pas de problème
pour distinguer la vue de l’ouïe ; cependant, nous
serions pratiquement incapables de le faire en
nous fondant uniquement sur les états neuronaux
du cerveau. « Les neurones du cortex visuel et
auditif sont très similaires, fait-il remarquer. Je
ne pourrais pas dire, uniquement en observant
une activité neuronale donnée, s’il s’agit d’un pro-
cessus lié à la vision ou à l’audition. Mais si vous
ajoutez le mouvement à ces données, vous le pou-
vez. Lorsque nous nous penchons en avant, les
objets deviennent plus grands alors que sur le
plan de l’ouïe d’autres phénomènes apparaissent,
par exemple, l’écho acoustique change en fonc-
tion du mouvement. »
Le philosophe Alva Noë, de l’université de
Californie à Berkeley, et le psychologue émérite
Kevin O’Regan, de l’université Paris-Descartes,
ont formulé l’hypothèse que pour la qualité sub-
jective de la perception sensorielle, cette connais-
sance implicite des régularités sensorimotrices
est essentielle.
Des expériences menées avec des aveugles,
comme celles réalisées pour la première fois par
le neuroscientifique américain Paul Bach-y-Rita
(1934-2006), vont en ce sens. Dans cette expé-
rience, une caméra attachée à la tête du sujet
aveugle balaie son environnement et convertit
l’information visuelle en vibrations d’intensité
variable qui sont appliquées à la langue ou au
dos. Lorsqu’un objet se rapproche, les vibrations
augmentent – tout comme la vision normale aug-
mente la taille des objets. Selon König, les résul-
tats ont montré que même si les personnes testées
n’avaient pas développé un sens visuel au sens
strict après plusieurs heures d’entraînement, elles
ne percevaient plus les stimuli comme de simples
vibrations sur la langue. Et seules celles qui
avaient été autorisées à se déplacer volontaire-
ment au cours de l’entraînement ont parlé de per-
ceptions conscientes, quasi visuelles, au bout de
quelques heures. Par exemple, elles dont déclaré
que leur « vue » d’un objet était bloquée si celui-ci
était effectivement masqué par un autre. Peter
König a observé le même phénomène après avoir
équipé ses participants d’une ceinture munie
d’une boussole intégrée. Cette fois, en fonction
des rotations du corps, des moteurs logés dans la
ceinture vibrent pour indiquer le nord magné-
tique. Après quelques semaines de formation, les
sujets ont déclaré qu’ils avaient maintenant une
perception spatiale entièrement « nouvelle », en
quelque sorte élargie.
DES SIGNAUX VENUS DU CŒUR
En philosophie de l’esprit, on considère sou-
vent que l’expérience consciente n’a pas seule-
ment un contenu lié à un objet, tel qu’une tasse
de café parfumé. Elle est aussi toujours liée à une
perspective en première personne ; autrement
dit, elle a besoin d’un « moi » qui voie, entende,
sente et expérimente consciemment quelque
chose. Les chercheurs autour de Catherine
Tallon-Baudry, du Laboratoire de neurosciences
Le simple
fait de penser
à un outil active
des zones
cérébrales
commandant
les mouvements
de la main.