pourra se reporter avec profit à l’analyse, par Joli
Jensen, de la littérature savante sur les fans.
Deux figures émergent, stéréotypées et stigmati-
santes : celle de l’individu isolé, asocial et imma-
ture, et celle du membre, irrationnel et incontrô-
lable, d’une foule collective et hystérique).
Pourquoi une telle émotion, si grande et si parta-
gée? Pourquoi ce besoin de la manifester? Que
signifie cette participation à ces messes du sou-
venir? Que peut-il bien se jouer dans cette église
de la Madeleine tous les 9 du mois (et, semble-t-il,
à présent, les 15 juin de chaque année, date anni-
versaire de la naissance du chanteur)? Ces ques-
tions sont essentielles. Elles conduisent à porter
le regard sur la production de nouveaux rites, sur
le développement des émotions collectives et des
grandes effervescences sociales, sur l’émergence
de mythes et de cultes contemporains en marge
des religions historiques.
De telles interrogations se trouvent au cœur
de mes travaux. Depuis une vingtaine d’années,
je m’intéresse aux processus de sacralisation pos-
thume des grandes vedettes disparues (Elvis
Presley, Jim Morrison, Michael Jackson, Edith
Piaf, Claude François, Dalida, ou encore James
Dean, Marilyn Monroe, Lady Di, Che Guevara...),
et aux récits relatant leurs hauts faits. J’étudie ces
récits qui empruntent leur structure, leurs motifs
et dimensions au récit hagiographique (la vedette
L’ACTUALITÉ
Depuis janvier 2019,
des messes réunissent
chaque mois à l’église
de la Madeleine, à Paris,
des fans de Johnny Hallyday
qui viennent commémorer
son souvenir. Le public
a triplé et une ferveur peu
commune habite désormais
cette enceinte. Livres d’or,
cierges, couronnes de
fleurs : des fidèles de tous
horizons viennent ici faire
groupe autour de leur idole
disparue.
LA SCIENCE
Sociologiquement
et anthropologiquement,
ces rassemblements
réunissent certains
éléments caractéristiques
de la naissance d’un culte
contemporain. Les fidèles
y trouvent du réconfort,
éprouvent un fort
sentiment d’appartenance,
partagent des émotions
puissantes autour d’une
figure idéalisée, dont
les qualités éthiques
et humaines sont exaltées.
L’AVENIR
Pour la communauté des
fidèles, il s’agit de combler
le vide laissé par le départ
de l’idole. Les rituels et
offrandes (chants, cierges,
livres d’or) permettent
d’inscrire le culte dans
la durée et d’en assurer
la perpétuation. La
transmission du souvenir
auprès des nouvelles
générations, l’initiation
des jeunes, tend vers
une victoire décisive contre
l’oubli et la mort.
présentée comme saint) et mythique (la vedette
comme héros mythique). J’analyse la mise en
patrimoine de ces personnages et de leur œuvre
(auxquels sont consacrés des musées, des
ouvrages, des films, des documentaires). Leur vie
comme leur œuvre se trouve conservée, exposée,
valorisée. Je m’intéresse à la construction de la
postérité (et notamment à la production de lieux
et d’objets de mémoire et de rites commémora-
tifs). J’étudie enfin les fans, les consommateurs
de cette célébrité posthume, leurs pratiques, leurs
croyances, leurs discours, la nature de leur atta-
chement, les raisons de leur passion, les liens
qu’ils entretiennent avec la vedette.
TOUTES LES RAISONS DU MONDE...
C’est ce type de relation, liant les adeptes de
ces messes de la Madeleine à Johnny Hallyday,
qui explique leur présence et leur ferveur et qui
les caractérise, davantage qu’un même profil
générationnel ou culturel, une appartenance
socioprofessionnelle, un genre ou un lieu d’habi-
tation (même si un examen un peu plus poussé
peut conduire à constater une prédominance des
catégories populaires et une faible représentation
des moins de trente ans). Il est tout aussi difficile
de les réduire à un seul type de comportement, à
un même niveau d’engagement, un modèle
© Pierre Suu / GettyImages unique de relation à Johnny Hallyday (même si