Cerveau et Psycho N°113 – Septembre 2019

(Ron) #1
Illustration © be.net/chacalament

ÉCLAIRAGES Retour sur l’actualité
JOHNNY : LE CULTE DU DÉFUNT

nombre d’entre eux portent d’identiques attributs
de la passion : cuir, tee-shirts et badges à l’effigie
du chanteur, bagues, tatouages...).
Certains ont développé un rapport de grande
proximité avec le chanteur. Admirateurs fer-
vents du chanteur et de son œuvre, ils sont sou-
vent un peu collectionneurs de ses disques et de
quantité d’objets (livres, photographies, parfois
bibelots, etc.), archivistes, et experts. Ils ont en
commun de connaître parfaitement tant l’œuvre
du rocker que sa vie intime et privée, et d’avoir
laissé celui-ci pénétrer leur quotidien, lui faisant
parfois une telle place que les autres membres
de la famille peinent à trouver la leur. La voix
de Johnny accompagne ces admirateurs, comme
son visage, rarement absent des murs du domi-
cile. La vedette occupe une place centrale dans
l’existence de ces admirateurs. La relation qui
s’est construite est une relation d’abord affec-
tive, intime. La disparition de Johnny est vécue,
avec une émotion non feinte et beaucoup de sin-
cérité, comme celle d’un proche : un grand frère,
un ami, un père, parfois un amoureux. Elle
occasionne un deuil véritable et le besoin de
participer à ces manifestations sociales qui per-
mettent d’exprimer la souffrance et le manque,
de témoigner de son amour, et de célébrer col-
lectivement la mémoire d’un intime dont le
départ laisse un vide.


DES FANS DE TOUS HORIZONS
D’autres, mais ce peut être les mêmes,
admirent sans réserve l’homme et l’artiste, et lui
vouent parfois un véritable culte. Ils s’engagent,
avec ferveur, dans une relation de dévotion. Ils
parent Johnny de toutes les vertus, convaincus
qu’il est davantage qu’un chanteur, davantage
qu’un homme, qu’il est déjà bien autre et bien
au-delà de la condition humaine. Ils adhèrent à
l’entreprise de sacralisation de la vedette, au
mythe de la superstar, géniale et prodigieuse,
héroïque et unique, au récit des exploits et des
miracles jalonnant l’existence de l’idole. Ils se
livrent à un culte empreint de religiosité et mul-
tiplient les gestes de dévotion, qui remplissent
bien souvent une existence consacrée à honorer,
admirer, et célébrer (ils confectionnent des autels
à la gloire du chanteur, portent les attributs de
l’appartenance au groupe, font acte de prosély-
tisme, s’adonnent à quantité de rituels qui
témoignent de leur dévotion...). Ceux-là se
rendent à la messe pour célébrer l’idole, accom-
plir un devoir partagé avec une communauté de
fidèles. Ils satisfont un besoin anthropologique,
souligné par de nombreux anthropologues, mais
aussi par des psychologues : le besoin de


transcendance, de sacré, de mythe, le besoin de
croire, d’admirer, d’adorer.
Il en est qui viennent remercier, exprimer leur
gratitude. Ils ont contracté une dette dont ils
doivent s’acquitter. Et ils se trouvent engagés
dans une relation de don et de contre-don. Ils
doivent tant à Johnny Hallyday et à leur passion
pour le chanteur. Ils trouvent en ce dernier un
guide montrant la voie et un ami protecteur, un
modèle identificatoire, un confident ou un fidèle
compagnon. Ils trouvent dans l’image du rocker
et dans son regard, du réconfort comme de la
joie. C’est une présence qui les rend plus fort, les
empêche de sombrer dans les moments difficiles,
leur redonne espoir et rend possible tous les
rêves. (C’est à Johnny que tous les mérites sont
attribués, lors même que ces admirateurs sont
grandement responsables de ces profits qu’ils
retirent et qu’ils sont évidemment les grands arti-
sans de cette efficacité du chanteur, de la relation
avec lui et de la passion pour lui).
L’œuvre de Johnny est elle-même efficace,
perçue comme un don sans contrepartie possible :
ses disques et ses chansons, que ces fans écoutent
lors des moments heureux ou lors des épreuves
douloureuses, les motivent, les encouragent, les
consolent. Enfin, la passion elle-même, apporte
beaucoup à ces admirateurs, qui y trouvent sou-
vent des éléments constitutifs d’une identité col-
lective ou individuelle, une estime de soi, la soli-
darité et le réconfort des pairs, des petites joies
quotidienne comme parfois un véritable sens à
leur existence. Certains considèrent qu’ils doivent
leur salut à Johnny, convaincus de l’importance
pour eux, à certains moments de leur vie, de la
présence du chanteur, de ses chansons, et du
groupe de pairs. Leur présence à l’occasion des
messes de la Madeleine est une façon de rendre ;
rendre grâce, rendre hommage, rendre en retour,
une infime partie de ce qu’ils ont reçu...

MAINTENIR UN LIEN COMMUNAUTAIRE
D’autres encore, investis dans la passion ou le
culte du chanteur, qui ont parfois construit une
existence autour de cette passion, intégré un
groupe, lié des amitiés, viennent maintenir un
lien communautaire, sauvegarder un groupe qui
menace de disparaître avec la disparition de sa
figure emblématique. Quand le chanteur s’éteint,
les premiers rassemblements spontanés, puis la
cérémonie des obsèques permettent de prendre
conscience de l’existence de cette communauté
qui apparaît dans toute sa grandeur et toute sa
puissance. Le maintien de ce collectif est un
impératif qui peut rassembler à la Madeleine. Il
est un autre défi que les fans doivent relever.
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