Cerveau et Psycho N°113 – Septembre 2019

(Ron) #1
Impossible de retenir
ses larmes devant
le désespoir du jeune
Simba qui découvre
le corps sans vie
de son père Mufasa,
dans le dessin animé
de Disney Le Roi lion.

en nous, explique Maria Cristina Barducci, une
thérapeute italienne. Car la perte de la mère
représente la perte de la sécurité, du point de
référence et de l’acceptation des émotions. Si ce
manque n’est pas correctement expliqué, il est
souvent terrifiant pour un enfant. Même si l’his-
toire de Bambi peut être interprétée de façon
symbolique – la séparation de la mère corres-
pond à l’entrée du petit dans la vie adulte,
accompagné par son père –, il est nécessaire
d’avoir la maturité suffisante pour la décoder. »
Les crises et les deuils sont le matériau de
prédilection des narrations, depuis les contes de
fées jusqu’aux grands poèmes épiques. « Pour


rendre captivante une histoire, il faut des diffi-
cultés à surmonter, des défis à relever. Mais dans
la réalité, lorsque surgit une situation de crise, les
enfants se tournent naturellement vers leurs
parents, observe Colman. Les auteurs se débar-
rassent donc des figures parentales pour rendre
le récit plus palpitant. Ce qui explique aussi que
les parents soient souvent morts ou absents avant
le début de l’histoire, des cas que nous n’avons
pourtant pas inclus dans notre étude. »
En effet, les princesses des contes sont en
général orphelines, comme de nombreux prota-
gonistes de la littérature jeunesse, à tel point que
l’écrivaine Carolyn Dever, dans un essai de 1988
intitulé Death and the Mother from Dickens to
Freud : Victorian Fiction and the Anxiety of Origins
(« La mère et la mort, de Dickens à Freud : La
fiction victorienne et l’angoisse des origines »),
observe que les personnages se développent jus-
tement dans l’espace laissé vide par la mère
absente. « Mais il s’agit d’histoires écrites à une
époque où la mort était bien plus présente dans
la vie quotidienne que maintenant, et où il était
peut-être utile de véhiculer ce genre de message,
affirme Colman. Je ne pense pas que les enfants
d’aujourd’hui en aient besoin. »

SE PRÉPARER À LA DURE RÉALITÉ DE LA VIE
Cet avis ne fait pas l’unanimité. Pour
Barducci, les contes préparent les enfants aux
difficultés de la vie : ils mettent en scène une
situation de crise qui se résout. Ils nous rap-
pellent que le mal existe et que nous ne pouvons
pas construire un soi stable en excluant de notre
vie tout ce qui est négatif, comme c’est le cas
dans La Belle au bois dormant. Et le dénouement
heureux de ces contes dramatiques sert à nous
faire comprendre que nous sommes aussi
capables de surmonter les difficultés.
La professeure de psychologie du développe-
ment à l’université de Bari, Rosalinda Cassibba,
explique également que « les contes, y compris
ceux mis en images avec les dessins animés, pro-
posent des situations traumatiques qui font écho
aux angoisses typiques des enfants, par exemple
la peur d’être abandonné ou de perdre ses parents.
Ces histoires permettent aux jeunes de vivre leurs
peurs dans un cadre sécurisant, ce qui favorise
l’expérimentation de leurs propres émotions ».
Ce n’est donc pas un hasard si les contes sont
aussi un outil thérapeutique utilisé pour les
enfants ayant subi un traumatisme : pour
Cassibba, s’identifier à un personnage fictif ou
fantastique est plus simple et permet de projeter
son propre vécu sans se sentir impliqué directe-
ment. En ce sens, les contes et les dessins animés

Le roi lion

© Walt Disney Pictures, 1994. (Capture d’écran)
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