Politis N°1558 Du 20 au 26 Juin 2019

(Nancy Kaufman) #1

Opposante au régime et Prix Nobel de la paix, shirin ebadi met en garde


contre la radicalisation de l’appareil politique iranien face aux aspirations de la société civile.


« la violence du régime


iranien est un symptôme


de sa faiblesse »


z Nadia
Sweeny

s


hirin Ebadi est un nom qui
résonne haut et fort dans
l’histoire moderne ira-
nienne. Première femme
nommée juge en Iran en
1974, sous le régime du
shah, elle est propulsée
Prix Nobel de la paix en 2003 pour son enga-
gement en faveur des droits humains. Elle
est aussi la première Iranienne – et première
musulmane – à recevoir cet honneur. C’est
bien pour cette raison que le régime islamiste
ne l’a pas épargnée.
Empêchée de faire son métier à l’arrivée au
pouvoir des mollahs en 1979, Shirin Ebadi se
tourne vers le barreau. Avocate, elle défend
les victimes d’un système juridique fondé sur
des interprétations archaïques de la charia.
C’est dans la même jurisprudence islamique
qu’elle trouve ses arguments pour contredire
les juges. « Si une femme titulaire d’un docto-
rat est renversée par une voiture et meurt, et
qu’un voyou illettré perd un testicule dans une
bagarre, la vie de cette femme et le testicule
de ce voyou ont une valeur identique. Est-ce
là la manière dont la République islamique
considère les femmes? » ose-t-elle écrire dans
la presse iranienne.
La lumière portée par l’avocate sur les
inégalités soulève l’indignation populaire.
Le régime est obligé de modifier quelques
lois. Certes à la marge, mais le pouvoir grince
des dents. Shirin Ebadi est dans son viseur.
Avec la présidence du radical Mahmoud
Ahmadine jad, à partir de 2005, les choses
s’accélèrent : pressions, harcèlement, arres-
tations de proches, trahisons... Elle tiendra
jusqu’en 2009. Shirin Ebadi est poussée à
l’exil. À 71 ans, celle qui vit désormais à
Londres croit toujours en son rêve : voir un
jour l’Iran devenir une grande démocratie.

nasrin sotoudeh, avocate spécialiste des
droits de l’homme, vient d’être condamnée
à plusieurs années de prison, notamment

« Depuis un an,


la répression


s’est accrue, et


nous avançons


à grand pas vers


un éclatement


et une guerre


civile. »


pour avoir défendu des femmes qui s’étaient
dévoilées pour manifester contre l’obliga-
tion de porter le foulard. quelle est la place
des femmes dans le combat pour les droits
humains en iran ?
shirin Ebadi : Depuis la révolution de 1979,
les femmes sont les principales victimes de
l’injustice, du fait de législations discrimina-
toires. Elles ont été les premières à se soule-
ver contre le gouvernement émanant de la
révolution islamique et elles
ont toujours été au premier
rang dans la lutte pour leurs
droits. Le gouvernement s’est
systématiquement montré
intraitable envers elles. Il y
a d’ailleurs une centaine de
féministes dans les prisons
d’Iran.

Vous qui connaissez très
bien le système judiciaire
iranien, que pensez-vous
de la nomination, en mars
dernier, d’ebrahim raïssi,
à sa tête ?
Ebrahim Raïssi fait partie des
radicaux du régime. Avant d’être nommé à
la tête de l’appareil judiciaire, il était juge
et s’est distingué par le nombre important
de condamnations à mort, souvent illégales,
dans les dossiers qu’il a traités.

parmi eux, il y avait des mineurs, comme
ceux exécutés en mai dernier...
Oui, mais précisons que des condamnations
à mort de mineurs se produisaient déjà avant
la nomination d’Ebrahim Raïssi. Le régime
iranien devient de plus en plus violent : c’est
un symptôme de sa faiblesse. C’est quand
il prend conscience de sa défaillance que sa
violence explose.

ce régime peut-il se démocratiser de l’inté-
rieur ?

Toute modification profonde du régime doit
passer par une réforme de la Constitution. Or
celle-ci, telle qu’elle est rédigée, rend impos-
sible toute réforme. C’est un cercle vicieux.

alors on ne peut aller que vers la chute du
régime ?
Il y a un an et demi, j’ai proposé au gouverne-
ment iranien d’organiser un référendum natio-
nal sous contrôle de l’ONU. Je pense que c’est
le seul moyen de sauver l’Iran
d’un démembrement et d’une
guerre civile. Ce référendum
serait une forme de traitement
de choc, une potion extrême-
ment amère que le gouverne-
ment devra se décider un jour
à avaler s’il veut sauver le pays.

quelle question poseriez-
vous au peuple iranien ?
« Voulez-vous de cette Consti-
tution en l’état? » Une fois la
Constitution rejetée, on dési-
gnerait des représentants de
différents groupes issus de la
population pour former une
assemblée constituante et écrire une nouvelle
Constitution. Puis celle-ci serait soumise au
peuple par le biais d’un nouveau référendum.

que vous a répondu le régime ?
Je n’ai malheureusement reçu aucune réponse.
Je m’y attendais, évidemment. Mais je constate
que, depuis, la répression s’est accrue, et nous
avançons à grands pas vers un éclatement et
une guerre civile.

sur quoi repose encore la force de ce
régime ?
Essentiellement la défense des intérêts de
groupes qui le composent.

l’islam, et dans le cas iranien, le chiisme,
est-il compatible avec la démocratie ?
Politis 1558


20/06/2019


dOSSIER

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