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A KenARe/
AFP
Pour l’europe,
l’iran ne vaut
pas la peine
d’être défendu.
peine d’être défendu. Pire, Emmanuel Macron
enfonce le clou en tentant d’imposer de nou-
velles négociations sur les missiles balistiques
iraniens. « La France ne cherche pas à rééqui-
librer les rapports de force, confirme Azadeh
Kian, professeure de sociologie à l’université
Paris-Diderot, spécialiste de l’Iran. Les Iraniens
ne peuvent faire confiance à personne. »
Les modérés iraniens n’ont pas réussi à saisir
l’opportunité de la dynamique Obama. Par
manque d’expérience internationale, mais aussi
par manque de temps. « Quand Barack Obama
arrive au pouvoir en 2009, il fait immédiate-
ment un discours en direction des Iraniens. Mais
il faut attendre 2013 et l’élection à la présidence
iranienne du modéré Hassan Rohani [à la suite
de l’ultra-conservateur Mahmoud Ahmadine-
jad] pour que le pays se saisisse de la proposi-
tion américaine et entame des négociations qui
aboutissent aux accords de 2015 », rappelle
Bernard Hourcade. Quand l’accord prend effet
en 2016, Obama est déjà en fin de mandat.
À l’arrivée de Trump, l’Iran est seul. La Russie,
puissance régionale incontestable, ne s’engage
pas dans le bras de fer. Même les Chinois, pre-
miers clients des Iraniens, « lâcheront Téhéran
dès qu’ils auront trouvé un accord commercial
avec les États-Unis », affirme Azadeh Kian.
Aujourd’hui, les yeux sont braqués sur le
Japon et Shinzo Abe, Premier ministre, en visite
le 12 juin à Téhéran. Une première pour un chef
de gouvernement japonais depuis la révolution
islamique. Si leur objectif officiel est d’apaiser
les tensions entre Iraniens et États-Uniens, les
Japonais exercent surtout une diplomatie du
pétrole. Ils achètent 5 % de ce dont ils ont
besoin en Iran, quatrième producteur mon-
dial. Comme la Chine, le Japon a obtenu de
Donald Trump une permission temporaire pour
continuer d’acquérir l’or noir iranien. L’Irak,
dépendant de l’électricité et du gaz voisins, a
lui aussi négocié une dispense. En échange, il a
offert des contrats d’exploitation
aux entreprises états-uniennes.
Bernard Hourcade soupçonne le
Japon de se faire le messager d’une
proposition similaire auprès de
Téhéran : « Exxon et Boeing ont
tout à y gagner! », et le pari anti-
européen serait remporté. Mais
accepter de donner un contrat contre des inté-
rêts politiques va à l’encontre de toute l’histoire
de la révolution islamique iranienne. « Ça fait
quarante ans que les Iraniens refusent de faire
cela! » Particulièrement les plus radicaux.
Or, en sortant de l’accord de 2015, le pré-
sident des États-Unis a redonné une vigueur
inespérée aux plus durs du régime. « Ils sont
d’autant plus crédibles que l’Iran des modérés
a réellement fait un effort de négociation pour
aboutir à cet accord, explique Thierry Coville,
chercheur à l’Institut de relations internatio-
nales et stratégiques (Iris), spécialiste de l’Iran.
Les radicaux étaient contre. Ils peuvent désor-
mais dire : “On a essayé, regardez : ils utilisent
cet accord pour nous mettre la pression.” »
Le puissant ressort nationaliste est activé et la
population pourrait faire front derrière eux.
« C’est d’autant plus efficace qu’en Iran le
nationalisme est historiquement fondé sur la
résistance aux colonialismes et aux invasions
que le pays a connues », affirme Thierry Coville.
Économiquement, le retour de l’embargo
produit ses effets dévastateurs. L’inflation pour-
rait atteindre 40 % en 2019. Les prix explosent.
Certains observateurs s’attendent à une mobili-
sation des classes moyennes paupérisées et à des
remous sociaux, comme en 2017, avant la sortie
de Trump. Mais beaucoup n’y croient pas. « Le
régime peut beaucoup plus facilement dire que
les manifestants sont manipulés par les Améri-
cains, déclare Thierry Coville. Les Iraniens sont
désespérés. Ils vont courber l’échine, gérer la
crise et survivre. » La société iranienne cherche
pourtant toujours un moyen de s’exprimer. « Si
elle ne le trouve pas, cet énorme potentiel va
se dissoudre, se désole Bernard Hourcade. La
mère qui a encouragé sa fille à faire de longues
études et qui constate qu’à 35 ans elle est au
chômage et sans enfant décidera logiquement
de marier la seconde à 15 ans... » Quand le
modèle d’émancipation ne fonctionne pas, le
traditionnel, lui, est un recours sans faille. a
Normalisé, l’Iran
pourrait devenir
un modèle sociétal,
ce que redoute
l’Arabie saoudite.
Politis 1558
20/06/2019
dOSSIER