Une volonté de fer
On ne sait jamais vraiment comment naissent les
vocations. Pourquoi une jeune fille des quartiers nord
de Marseille, peu cinéphile et sans le moindre contact
avec ce milieu a bien pu se rêver en comédienne et réa-
lisatrice dès son enfance? La réponse à cette question,
Hafsia Herzi ne l’a toujours pas, mais elle se souvient
parfaitement comment elle a grandi avec cette envie
chevillée au corps. « Aller au cinéma coûtait cher à
la famille nombreuse que nous étions. Mais j’adorais
observer les autres et écrire des histoires. Tout en étant
consciente que ce rêve-là avait quelque chose d’inacces-
sible. » Pour passer du rêve à la réalité, Hafsia écume
les petites annonces afin de faire de la figuration. Elle
écrit et envoie des photos jusqu’à décrocher son premier
casting. « La directrice de casting m’a rappelée pour
une autre figuration et donné les coordonnées de tous
ses collègues marseillais. J’ai écrit à chacun ! » Jusqu’à
ce qu’une de ses bouteilles à la mer finisse par trou-
ver un destinataire. Elle a alors à peine 18 ans et ne se
doute pas que le coup de fil qu’elle reçoit va changer
sa vie. « Quand on m’a appelée pour le casting de La
Graine et le Mulet, le nom de Kechiche ne me disait
absolument rien. Le cinéma d’auteur m’était totalement
étranger. » Mais trois jours plus tard, elle se retrouve
bel et bien face au cinéaste qui lui explique qu’il la veut
dans son film. Suivront de nombreux rendez-vous sans
que jamais il ne lui précise qu’il s’agit du rôle principal.
« J’étais si reconnaissante qu’il me donne cette chance
à moi, la fille d’une femme de ménage et d’un maçon,
qu’à chaque répétition, j’étais à fond. Quand il m’a dit
que j’avais ce premier rôle, je n’ai pas surréagi. Tant que
je ne suis pas allée au bout, je ne me réjouis jamais. »
« Fille » de Kechiche
La rencontre avec Abdellatif Kechiche sera décisive à
double titre. Comme actrice d’abord : « J’ai senti que
j’avais trouvé ma voie. Et j’ai vécu ce tournage sans
pression. J’ai profité de chaque moment car j’avais la
certitude de donner mon meilleur. » Un prix à Venise et
le César du meilleur espoir viendront le confirmer très
vite, ses choix de comédienne se révélant par la suite
particulièrement audacieux. En onze ans, on ne l’a ainsi
jamais vue à l’affiche d’une de ces comédies à la qualité
inversement proportionnelle au salaire généreux qu’on
accorde à ses interprètes. « Comme tout le monde, j’ai
besoin d’argent mais je n’avais pas envie de perdre mon
âme en acceptant des propositions purement commer-
ciales auxquelles je ne croyais pas. J’avais confiance en
ma bonne étoile. » Elle choisit aussi de ne pas prendre
de cours. « Chaque tournage a été mon école. Mon rap-
port au jeu n’est pas technique. Il passe par l’abandon
de soi, le cœur et les tripes. En suivant des cours, j’avais
peur de me dénaturer. » Donc de casser ce qui fait sa
force. Et ses choix attirent l’attention d’auteurs séduits
par cette radicalité. Trois personnalités vont ainsi mar-
quer son parcours : Alain Guiraudie, Bertrand Bonello
et Sylvie Verheyde. Guiraudie lui offre son premier rôle
de jeune femme dans Le Roi de l’évasion où son person-
nage se prend de passion pour un homosexuel de 43 ans,
formant avec lui un couple traqué, allant à l’encontre de
la bienséance sociale. « J’admire la liberté d’Alain. Sa
manière de filmer les corps aussi. Je choisis toujours
mes rôles en me demandant comment ils pourraient me
faire évoluer. Et je me suis sentie grandir par son regard
posé sur moi. » Il est aussi question de corps exposé
chez Bonello – « un artiste dans lequel je me reconnais
par sa douceur et sa passion » – au cœur du chœur des
prostituées de L’Apollonide et chez Sylvie Verheyde,
dont elle incarne la Sex Doll , escor t girl de luxe, rebelle
et indépendante. « J’admire le caractère et la franchise
de Sylvie. Et je suis fière qu’elle ait accepté de faire ses
Hafsia Herzi
l’impatiente
Onze ans après ses débuts dans
La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche,
elle réalise un autre de ses rêves d’enfant
en signant son premier long métrage,
Tu mérites un amour, salué à la Semaine
de la critique. Portrait d’une battante.
u PAR THIERRY CHEZE
© LES FILMS DE LA BONNE MÄRE
P ORTRAIT