C
ette pièce me semblait plus
grande à l’époque... » Une
phrase. Brève, concise,
voire anecdotique. Répétée
jusqu’à plus soif, plusieurs dizaines
de fois, par un James McAvoy
patient. Nous sommes dans la
bibliothèque de Derry, bourgade
fictive créée par Stephen King dans
son roman Ça. En réalité, la
production squatte la bibliothèque
de l’université de Toronto.
L’ambiance est étrange, comme en
suspension dans ce lieu boisé
rappelant l’hôtel du Grand Nord de
Twin Peaks. Clap. McAvoy sort du
cadre, direction une petite salle pour
se plier religieusement au rite de
l’interview en table ronde. « Bon, je
vais me faire virer? blague l’acteur.
C’est une scène compliquée où mon
personnage doit se remémorer son
passé laissé derrière lui pendant
près de trente ans. » McAvoy, les
traits fatigués, restera face aux
journalistes pendant une vingtaine
de minutes avant de partir retourner
cette fameuse scène de quelques
secondes. Dehors, il fait lourd pour
un mois de septembre, « le jour
le plus chaud de l’année », dixit
un technicien en pause clope parlant
tout seul. Impossible de vérifier.
Dans le brouhaha de l’équipe
affairée, transportant câbles et
autres projecteurs, un homme
déboule comme un chien dans un jeu
de quilles : coupe mulet, mal rasé,
T-shirt déchiré et maculé de sang.
Apparition étrange et flippante d’un
perchman blessé dans l’exercice
de ses fonctions? Non, juste Teach
Grant alias Henry Bowers à l’écran.
Un redneck à la gueule angulaire,
adepte du parricide et de
l’homophobie primaire. « Henry n’est
pas qu’un salaud. C’est une figure
tragique, un adolescent bloqué dans
un corps d’adulte. Grippe-Sou se
nourrit de sa trouille. » Avant de
repartir, celui-ci lâche aux attachés
de presse : « Ça va, j’ai pas trop dit
de conneries? J’vais pas me faire
virer? »
Ballon rouge
Les visites de tournage se
ressemblent toutes : accès ultra-
sécurisés, checking d’identité, lieu
tenu secret, faux nom de film...
Ça : Chapitre 2 ne déroge pas à la
règle, cochant toutes les cases du
cahier des charges. Pour rassurer
la production, évidemment, mais
étrangement, ce tournage ressemble
à son démiurge, Andy Muschietti.
Avec son look d’éternel ado (T-shirt
estampillé d’un groupe de rock old
school), le cinéaste rappelle le
réalisateur barré de la série
Entourage, Billy Walsh. Mais derrière
le geek se cache un chef d’orchestre
à la précision chirurgicale, ne
laissant que très peu de place à
l’improvisation ou à la spontanéité.
Un piqué de la perfection, adepte
de l’enchaînement de prises et de la
marche au pas. Au fond de la salle
disposée pour les interviews, un
ballon rouge flotte, attaché à une
chaise. C’est le signe de ralliement
de Grippe-Sou. L’excitation est
à son comble : son interprète, Bill
Skarskård, va-t-il surgir dans la
pièce? En costume, en faisant sa
célèbre danse? Non. Déception.
Et soulagement, quand Barbara
Muschietti nous assure que le
personnage sera « encore plus
flippant que dans le premier film ».
La relique flottante fait office d’easter
egg. Une référence qu’embrasse
Andy Muschietti dans cette suite qui
se veut pourtant plus mature : « Je ne
m’étais pas lâché sur les références
dans le premier film. Dans celui-ci,
je parie que même les fans ne les
trouveront pas toutes. » Nous n’en
saurons pas plus. La discrétion est
de mise, comme d’habitude. Au bout
d’un couloir, une porte grince...
Toujours cet étrange technicien
parlant à lui-même. u
Début septembre 2018,
Première avait assisté à une
partie du tournage de Ça :
Chapitre 2 au Canada, sur
un plateau où régnait une
atmosphère étrange...
Comme si le clown créé par
Stephen King allait surgir de
derrière la porte pour nous
emporter dans les limbes.
u PAR FRANÇOIS RIEUX
UNE JOURNéE
DANS LA BIBLIOTHÈQUE DE DERRY Il s’agit d’un manga dans lequel
l’humanité est confrontée à des
créatures humanoïdes colossales.
Dans Ça, l’horreur prend ses racines
dans l’imaginaire et est toujours
à hauteur d’homme ou d’enfant.
L’Attaque des titans fait peur à cause
du gigantisme de ses antagonistes,
de leur matérialité impressionnante.
C’est un challenge complètement
différent.
AM : Pas tant que ça. On en revient à ce que
je vous disais tout à l’heure : il faut créer
une connexion émotionnelle avec le public
à travers les personnages. Si ce n’est pas le
cas, le gigantisme dont vous parlez ne fonc-
tionne pas.
Mais, visuellement, comment
ça marche?
BM : Il faut que le sensationnel vienne en
soutien de l’histoire humaine. Ça ne peut
pas être qu’un spectacle.
AM : Beaucoup de films...
BM : Ne cite pas de films!
AM : (Il s’énerve.) Je peux finir ma phrase?
Tu veux parler à ma place?
BM : (Elle sourit.) Ne vous inquiétez pas, on
est frère et sœur, on se chamaille, c’est nor-
mal. (Elle lui parle en espagnol.)
A M : Bref, il y a des films qui comptent sur...
(Il se tourne vers sa sœur.) Je n’allais pas
citer de films, pour info.
BM : Tant mieux. J’avais peur que tu fasses
comme pour Dreamcatcher.
AM : Donc, il y a des films qui font dans
le spectaculaire à outrance. Et si la plupart
sont des flops, c’est parce qu’ils n’arrivent
pas à créer un lien substantiel avec les per-
sonnages. Mais on a déjà trouvé comment
y parvenir. Si le projet se fait, on est paré
Andy Muschietti