près de vingt ans à la justice. Dans
les extraits de ses auditions que publie
Bourgoin, il explique en détail son modus
operandi pour repérer, attirer puis tuer
les prostituées par strangulation lors-
qu’il les pénètre, avant de se débarrasser
de leur corps avec soin. Il reconnaît
n’avoir jamais pensé à ce que ses victimes
pouvaient ressentir. L’idée ne l’effleurait
même pas... Condamné 48 fois à perpé-
tuité, aujourd’hui âgé de 70 ans, il se dit
fier de ses crimes et de n’avoir pas été
attrapé pendant deux décennies, avant
que la technique ADN soit au point.
Le «mal incarné»
Pour le troisième portrait de serial killer,
Stéphane Bourgoin a choisi Carl Panzram
qui a sévi dans les années 1920 avant
d’être exécuté par pendaison en 1930.
Contrairement à la majorité des tueurs
en série, Panzram s’est attaqué exclusi-
vement à des hommes. Il a reconnu en
avoir assassiné 21, mais il n’a été reconnu
coupable que d’un meurtre, celui d’un
gardien de prison qu’il a battu à mort
avec une barre de fer. Dès l’âge de 11 ans,
après le vol d’un cake, d’une pomme et
d’une arme à feu, il va connaître l’enfer
de l’incarcération, celui de la reform
school du Minnesota, un des centres de
redressement américains où l’on appre-
nait aux ados délinquants les bonnes
manières et la religion à coups de triques
et d’abus sexuels. Il se verra ensuite
plusieurs fois emprisonné, au cours de
ses périples à travers la trentaine de pays
qu’il parcourra.
L’intérêt pour sa carrière criminelle
vengeresse à l’égard de l’humanité tout
entière tient surtout au fait que Carl
Panzram l’a racontée lui-même dans une
autobiographie. En 1928, dans la prison
de Washington DC, un jeune gardien
convainc le tueur brutal et froid d’écrire
son histoire. Il lui offre du papier et des
crayons. Panzram va alors accoucher
d’une confession incroyable d’éloquence
et de lucidité qui ne sera publiée que bien
des années plus tard. Il décrit les tortures
dont il a été victime en prison et au sein
de la reform school, puis les meurtres et
les viols qu’il a commis pour « se faire
justice ». Bourgoin en offrira la traduc-
tion intégrale dans son livre à paraître.
Pour l’avoir lu dans sa version originale,
nous pouvons déjà révéler que ce docu-
ment est fascinant, troublant même.
La plupart des tueurs en série ont subi des
mauvais traitements et des abus durant
leur enfance, ce qui n’excuse en rien leurs
crimes, mais permet de comprendre
comment on devient, voire comment
on fabrique un « monstre », car, comme
le dit l’expert français : « On ne naît pas
tueur en série. » Dans les premières
pages de son autobiographie, Panzram,
qui se décrit comme le « mal incarné »,
annonce la couleur : « I am sorry for two
things. These two things are : I am sorry
that I have mistrated some few animals
in my life time and I am sorry that I am
unable to murder the whole damned
human race » (2). Notre société a-t-elle
les monstres qu’elle mérite ? Le portrait
de Panzram par Bourgoin devrait sortir
cet automne. V
(1) Docteur Holmes et
The Green River Killer,
par Stéphane Bourgoin,
French Pulp éditions,
160 p. chacun.
(2) « Je suis désolé pour
deux choses. Ces deux
choses sont : je suis désolé
d’avoir maltraité quelques
animaux durant mon
existence et je suis désolé
d’être incapable de tuer
la totalité de la foutue
race humaine. »
SOCIÉTÉ JUSTICE
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SON HISTOIRE
Il n’a rien d’un fanfaron, mais il s’en vante tout de
même : « Je suis le seul au monde qui ait rencontré
autant de serial killers. » Et surtout les pires d’entre
eux. Près de 80 en tout. A force de les fréquenter et
de les étudier depuis quarante ans, Stéphane
Bourgoin est devenu, alors qu’il n’a aucun diplôme
en criminologie ou psychologie, un expert
international de la question, apprécié de nombreux
enquêteurs de police des deux côtés de l’Atlantique.
Mais son histoire avec les tueurs en série s’explique
par un drame personnel.
C’était en 1976. Il vivait avec sa compagne Eileen, à Los Angeles, où il préparait un
livre sur les séries B américaines. Lors d’un déplacement qu’il a fait à New York pour
ses recherches, Eileen, 24 ans, a été violée, lacérée et assassinée par un tueur en série,
à son domicile. C’est Stéphane Bourgoin qui a découvert son corps atrocement
mutilé, à son retour. A l’époque, le terme de serial killer n’existait pas encore.
Le meurtrier a été arrêté deux ans plus tard. Il avait tué une dizaine d’autres femmes.
Il est toujours en attente de son exécution, en Californie, comme des milliers d’autres
condamnés à mort américains.
Aujourd’hui, à 66 ans, Bourgoin se dit davantage fasciné qu’obsédé par les
tueurs en série dont il ne se lasse pas de parler. Auteur/réalisateur d’une
cinquantaine de livres et de documentaires, dont l’enquête remarquablement
revisitée sur Le Dahlia noir (éd. Ring, 2014), il en a fait son business. Serial Killers
(Grasset), son best-seller, a été réédité plusieurs fois et traduit dans de
nombreuses langues. Son expertise est reconnue au point qu’il dispense des
formations à l’Ecole nationale de la magistrature, en France. Malgré toutes les
horreurs qu’il a entendues, il reste opposé à la peine capitale mais se dit favorable
à une perpétuité réelle.
MAURICE ROUGEMONT/REPORTERS
Stéphane Bourgoin.
Objet du prochain livre de Stéphane
Bourgoin. Carl Panzram a sévi dans
les années 1920 avant d’être exécuté
par pendaison dix ans plus tard.
GETTY IMAGES