Notre Temps N°597 – Septembre 2019

(Tuis.) #1
THE LIFE IMAGES COLLECTION VIA GETTY IMAGES – COLLECTION CHRISTOPHEL

CULTURE  Grand destin

avoir obtenu le divorce. Plus que jamais
traversée d’angoisses, Margaret trouve en
lui le compagnon idéal. Lorsqu’elle se
casse la cheville et doit garder la chambre,
c’est lui qui l’incite à écrire un roman pour
se changer les idées. Sa convalescence se
prolongeant, elle se prend au jeu et décide
d’abandonner sa vie de patachon pour se
mesurer à son plus grand défi.

Une philanthropie bien cachée
Durant sept ans, Margaret accumule une
documentation phénoménale avant de
s’autoriser à commencer la rédaction. Trois
années lui sont encore nécessaires pour aller au bout
de son récit tumultueux. Consciente de mettre en scène
sa propre vie, au risque d’offusquer ses proches, elle
se jure de ne jamais publier son œuvre, dont elle ne
parle qu’avec son mari. Une décision qui lui convient
d’autant plus que cette admiratrice de Tolstoï ou
Faulkner estime n’avoir aucun style.
Pourtant, une de ses amies a deviné son secret et décide
de forcer le destin en en parlant à un éditeur new-yorkais
de ses amis... La suite lui donne raison : Peggy refuse
d’abord puis, sur un coup de tête, accepte de faire lire
ses 2 000 pages. D’emblée, l’éditeur comprend qu’il
tient un best-seller avec ce roman qui parle à tous les
vaincus qui cherchent un second souffl e, et qui sont
nombreux dans ces années de récession.
Devenue millionnaire, Margaret lutte pour protéger sa
vie privée malgré l’énorme célébrité qui l’expose du jour
au lendemain à l’attention exigeante de ses fans. Plus
que jamais discrète, elle orchestre la disparition de ses
lettres, entre autres pour protéger le plus étonnant de
ses secrets : dès 1939, et jusqu’à sa mort, elle a fi nancé
des bourses d’études pour les étudiants noirs de l’uni-
versité de Morehouse, à Atlanta. Toujours dans sa ville,
elle a aussi permis la construction du premier hôpital
pour les Afro-Américains. Des actions qui auraient pu lui
valoir des menaces de mort du puissant Ku Klux Klan.
Sans enfant, elle avait demandé à son frère et ses héritiers
de poursuivre une œuvre philanthropique qui n’a été
révélée qu’en 2009. Avait-elle d’autres secrets? Dans
l’épaisseur d’une vie trop courte, pleine de souffrance,
de courage et d’accomplissement, avait-elle écrit d’autres
romans? De quoi aurait encore été capable cette femme
étonnante si elle avait eu, comme Scarlett, d’autres
lendemains pour relever de nouveaux défi s? ■

(1) La danse apache (en référence au voyou parisien de la Belle Époque)
mime une violente dispute entre une prostituée et son proxénète.
(2) Détrôné par La Mélodie du bonheur en 1965.

de confi ance en elle et dans l’existence qu’elle dissimulera
derrière ses frasques. À 20 ans, elle s’enivre d’alcool et de
jazz. Elle fume comme un sapeur, fl irte outrageusement
et lit les ouvrages les plus controversés. Provocante,
volontiers subversive, elle n’abandonne pas complète-
ment les valeurs conservatrices de son milieu et refuse
notamment de prendre un amant hors mariage.
Une limite qui rend fou l’un de ses deux soupirants
offi ciels, Red Upshaw, un étudiant qui vient de tout
plaquer pour faire fortune dans le trafi c d’alcool, en pleine
prohibition. En 1922, les sens en ébullition, elle cède et
épouse le séduisant mauvais garçon. De Red à Rhett,
il n’y a effectivement que quelques lettres... Y compris
dans les déconvenues et les brutalités d’un mariage
catastrophique. Red boit et s’enferre dans les échecs
professionnels. Margaret doit travailler pour les faire
vivre et elle accepte un poste de reporter. Furieux de
cette décision, Red la quitte.
Livrée à elle-même, Margaret se console avec un métier
qui lui donne enfi n l’occasion d’écrire et se rapproche
de l’autre soupirant qu’elle avait délaissé : John Marsh,
journaliste comme elle. En quelques années, Margaret
devient une célébrité locale avec ses articles audacieux :
rencontre avec une tenancière de maison close, reportage
du haut d’une nacelle suspendue à quinze mètres du sol,
enquête auprès d’ouvriers...
En 1924, la réapparition de Red la brise. Il lui soutire de
l’argent puis la viole. Hospitalisée, elle ne partage son
secret qu’avec John, qu’elle épouse l’année suivante après

Vivien Leigh
(Scarlett O’Hara)
et Hatt ie McDaniel
(Mamma), deux
Oscars pour Autant
en emporte le vent.

De g. à d.,
l’actrice Olivia
de Havilland
(Melanie Hamilton),
le producteur
John Hay Whitney,
Margaret Mitchell
et son mari
John Marsh
lors de la première
du fi lm à Atlanta.


106 • NOTRE TEMPS • Septembre 2019
Free download pdf