Notre Temps N°597 – Septembre 2019

(Tuis.) #1
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« Vous connaissez la dernière? » Avouons-le, nous nous apprêtons
à cancaner dans le dos d’un voisin, d’un ami, d’un membre de la famille
ou encore d’un people... Mais avec quelle volupté! Profitons-en car,
selon nos spécialistes, cet art du commérage a bien des avantages.

réciproque observé chez les singes, ayant pour fonction de
resserrer les liens au sein d’une communauté, de se faire
du bien les uns aux autres. « Commérer permet de créer de
la connivence et de la proximité. Pour délivrer notre potin,
nous nous penchons physiquement vers notre interlocuteur,
nous baissons le ton : nous veillons à installer un espace de
communication privilégié. Nous pouvons aussi faire preuve
d’empathie, nous creusant la cervelle pour savoir quel type
d’indiscrétion pourrait piquer l’autre, éveiller son intérêt
et nous permettre ainsi d’entrer en relation avec lui », dé-
crypte Geneviève Djénati. Dans une société où la solitude
fait rage, nous n’allons tout de même pas nous priver d’un
moyen de la briser, qui plus est fort plaisant!

Me sentir exister
Je suis d’un naturel plutôt timide. Je n’ai jamais
grand-chose à raconter et, de toute façon,
je déteste parler de moi et de ma vie. Alors j’ai toujours
un petit potin en stock à dégainer quand je me sens
un peu exclu d’une conversation. Je sais par exemple
que mes copains du club de boules sont friands
d’indiscrétions sur les gens de notre village. J’ai mon
petit succès sur ce terrain-là », glisse Antonin, 71 ans.
 Quoi de plus grisant en effet que de détenir une info appé-
tissante que nous allons offrir à quelques élus? Le temps
du commérage, nous avons l’impression que le monde
tourne autour de nous. « Le ragot permet à certains de deve-
nir visibles et audibles, de sortir de leur anonymat. Il les
autorise même à s’installer dans une position de pouvoir
par rapport à leurs interlocuteurs, sur le mode “je sais

Partager avec les autres
Ma voisine de palier est une commère invétérée.
Elle a toujours un potin croustillant à raconter
sur l’un des habitants de l’immeuble. Quand je
la croise, je devrais me contenter de la saluer et passer
mon chemin. Mais je dois bien reconnaître, même
si je n’en suis pas très fière, que j’ai au contraire
tendance à la pousser aux ragots. Sa manière de
se rengorger et de prendre des airs de conspiratrice
pour me confier ses scoops me fait beaucoup rire.
Comme elle n’est jamais vraiment méchante –
seulement très indiscrète – je passe un bon moment
en sa compagnie. Faire quelques commérages,
c’est nettement plus réjouissant que d’échanger
des banalités sur la météo », s’amuse Patricia, 55 ans.
 Pourquoi faudrait-il avoir honte de s’adonner à ce sport
aussi vieux que le monde? « à condition qu’il ne soit pas
malveillant et ne vise pas à dénigrer une tierce personne,
le commérage peut être considéré comme un véritable
plaisir oratoire et conversationnel. Il se construit sur la
délectation du bon mot, le bonheur de broder autour d’un
événement anodin et d’émettre mille hypothèses », constate
Samuel Lepastier, psychanalyste (1). « Certains commé-
rages, racontés par des experts du domaine, sont d’ailleurs
dignes du théâtre de boulevard! Ils captivent leur auditoire
et lui procurent joie et amusement », ajoute Geneviève
Djénati, psychologue (2).
 Partager quelques ragots – en tout bien tout honneur,
évidemment – peut donc se révéler source de bien-être. Les
scientifiques s’étant penchés sur ce sujet d’étude l’affirment
d’ailleurs. Selon eux, ces échanges dériveraient du toilettage

DE SI DÉLICIEUX

CANCANS

ISABELLE GRAVILLON

NICK VEDROS/GETTY IMAGES


Septembre 2019 • NOTRE TEMPS • 17
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