Notre Temps N°597 – Septembre 2019

(Tuis.) #1

À LA RENCONTRE DE  Psy


dit que nous aurions tout intérêt à déminer
le terrain en amont! raconte Hubert, 61 ans. Nous
ne possédons pas de somptueuse villa à Saint-Barth,
mais tout de même... » ajoute-t-il malicieusement.
 Les potins pourraient-ils positivement nous inspirer  ?
L’anthropologue canadien Jerry Barkow en est persuadé :
dans ses travaux, il montre que les personnes s’intéressant
à la vie des autres et sachant en analyser de manière ration-
nelle les tenants et aboutissants, les succès et les échecs,
réussissent mieux dans la vie.
 « La vie des autres regorge d’expériences et de leçons que
nous pouvons nous approprier, susceptibles de nous faire
progresser dans notre propre existence », abonde Geneviève
Djénati. « Derrière un commérage peut également se cacher
un processus d’identif ication à une personne que nous
admirons. Ainsi, propager l’histoire de cette collègue ayant
vertement remis le chef à sa place après un propos douteux
n’a rien de malveillant. C’est une manière de louer son
courage et cela peut constituer un premier pas vers une
imitation féconde », note Samuel Lepastier. S’intéresser
de près aux faits et gestes d’autrui peut donc nous conduire
à trouver des sources d’inspiration pour nous améliorer.
Et si commérer n’était pas un vilain défaut mais une vraie
compétence sociale... à utiliser, sans en abuser! ■
(1) Auteur de L’Incommunication dans tous ses états, éd. CNRS.
(2) Auteure de Le Prince charmant et le héros. Hommes, femmes : le grand malentendu,
éd. Pocket.

quelque chose que vous ignorez”. L’expression de rigueur
“je le tiens de source sûre” – sous-entendant “je suis dans
le secret des dieux” – vise à confi rmer cette supériorité »,
analyse Geneviève Djénati.
 Lorsque les commérages concernent des célébrités, ils
peuvent même revêtir une vertu thérapeutique. « En dévoi-
lant les travers des grands de ce monde, le potin ramène
ces personnalités en vue à la condition humaine ordinaire.
En cela, il est très rassurant et renarcissisant. Je ne suis pas
le seul à être parfois défaillant, les autres aussi le sont et
même ceux qui ont si bien réussi », insiste Samuel Lepastier.
Et puis quand notre quotidien est un peu morne, se repaître
des frasques des autres peut aussi l’égayer : nous vivons par
procuration et projections, nous existons à travers autrui.


M’interroger sur mes valeurs
Un jour, j’ai rapporté à une amie que
le petit-fi ls d’une de nos amies communes
était homosexuel. Je venais de l’apprendre, j’étais
chamboulée, gênée ; je me disais que ça pourrait être
mon petit-fi ls et j’avais besoin d’en parler. Sa réponse
a été lapidaire : « Et alors? » Ces deux petits mots
m’ont recadrée, ils m’ont permis de m’extraire
de ma première réaction à chaud et d’enclencher
une réfl exion. Oui, après tout, qu’est-ce que
cela pouvait bien faire? » confi e Émilienne, 75 ans.
 Échanger quelques commérages avec nos proches n’est
pas forcément immoral, loin de là. Évoquer des événements
vécus par les uns ou les autres, ou des choix de vie qu’ils ont
faits, peut nous obliger nous-mêmes à nous positionner.
Qu’en pensons-nous? Aurions-nous agi de la même façon  ?
Une excellente occasion de passer en revue les valeurs qui
sont les nôtres et de les questionner, peut-être aussi de les
réviser si nous nous apercevons que nous avons évolué sur
tel ou tel sujet. « Le commérage, parce qu’il permet d’initier
un dialogue en chair et en os avec d’autres humains, nous
oblige à sortir de notre bulle, à confronter nos positions et
peut-être à renoncer à certains de nos préjugés. En cela, il
est radicalement diff érent des rumeurs et abominations
qui peuvent être colportées anonymement sur les réseaux
sociaux », souligne Samuel Lepastier.


Trouver de l’inspiration
L’autre jour, en écoutant mon coiffeur
me parler des derniers rebondissements
autour de l’héritage de Johnny Hallyday, j’ai réalisé
que ma femme et moi n’avions pris aucune disposition
claire pour notre succession. Et comme nous aussi,
nous sommes une famille recomposée, je me suis


LE POTIN BIENVEILLANT, MODE D’EMPLOI
Avant de dévoiler nos commérages, posons-nous les bonnes questions
afi n de ne pas risquer la malveillance. Avec qui? Un interlocuteur
qui saura rester dans la légèreté et surtout la discrétion pour ne pas
nuire à la personne dont nous lui parlons. À propos de qui?
De préférence des cibles éloignées de notre cercle relationnel, en tout
cas jamais des personnes fragiles sur qui tout le monde s’acharne
déjà. Quand? Pas trop souvent, pour que cela ne devienne pas un mode
d’expression exclusif, donc appauvrissant. Est-ce que j’apprécierais
que quelqu’un raconte ça sur moi? Si nous répondons non à
cette interrogation, remballons notre potin et gardons-le pour nous.

« L’EXPRE
SSION D
E RIGUEUR

“JE TIENS DE S

OURCE SÛ
RE”^

SOUS-ENTEND “JE SUI

S DANS^

LE SECRET DE

S DIEUX”

. UNE


POSITIO
N DE POUVO

IR... »

18 • NOTRE TEMPS • Septembre 2019

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