Les Inrockuptibles N°1239 Du 28 Août 2019

(Romina) #1

UNE OMBRE PLANE SUR CETTE
RENTRÉE CINÉMA. Depuis un peu
moins d’un an, les modalités de
financement du cinéma français ont vécu
une série de bouleversements sans
précédent. Si les raisons de cette
reconfiguration remontent à plusieurs
années (arrivée sur le marché audiovisuel
de nouveaux acteurs comme Netflix
et recul du chiffre d’affaires des chaînes
de télévision), son premier coup d’éclat
remonte au 19 octobre 2018. Il est venu
du président du directoire de Canal+,
chaîne qui est, comme on le sait, le grand
argentier du cinéma français.
Dans une lettre adressée aux
organisations professionnelles du secteur,
Maxime Saada menaçait de quitter la
table des négociations du nouvel accord
(le précédent arrivant à terme fin 2019)
qui lie la chaîne cryptée et le cinéma
français. Le patron de Canal+ réclamait
certaines garanties sur la modification de
la chronologie des médias et une refonte
du calcul de la contribution de Canal+
au financement du cinéma. Cette
contribution étant liée au chiffre d’affaires
et au nombre d’abonnés de Canal+, tous
deux en baisse, elle avait logiquement
chuté au cours des deux dernières années,
passant de plus de 200 millions d’euros
en 2016 à 160 en 2017.
Le 6 novembre, Franck Riester,
ministre de la Culture, réunissait tout
le monde autour de la table et parvenait
à éviter le divorce. Le nouvel accord
signé entérine la baisse des revenus de
Canal+ en plafonnant l’aide de la chaîne
à 180 millions d’euros par an jusqu’à
fin 2022. D’un autre côté, la chaîne
garantissait à la profession un montant


Refonte de l’accord avec Canal+,
nomination de Dominique Boutonnat à la
tête du CNC et omnipotence de Netflix : le
système de financement du cinéma
d’auteur français traverse depuis un an une
crise d’adaptation inédite. Enquête pour
saisir les enjeux de ces mutations.

texte Bruno Deruisseau


minimum versé par abonné de 2,41 euros,
et ce quelle que soit la formule
d’abonnement. Pour Maxime Saada,
la situation n’a rien d’alarmant, même
à l’heure d’un plan social annoncé par
le groupe à hauteur de 20 % de ses
effectifs français. Il nous déclare : “Face
a la baisse de la contribution de Canal+
et les questions sur le financement du CNC,
le cinéma est en émoi et c’est naturel.
Mais Canal+ reste de très loin le premier
financeur du cinéma français et a vocation
à le rester, car le cinéma demeure la première
motivation d’abonnement. C’est pour cette
raison que nous avons renouvelé les accords
avec la profession, malgré la perte à ce stade
des droits de la Ligue 1. Pour moi, il n’y a
pas de crise, mais une nécessaire adaptation.
Le cinéma français reste l’un des plus
dynamiques et divers du monde. Il doit
veiller à préserver sa valeur et les acteurs qui
le soutiennent, à commencer par Canal+
et la salle.”
Interrogée par Les Inrockuptibles,
Marie-Ange Luciani, productrice
notamment de 120 Battements par minute,
va aussi dans le sens d’un apaisement :
“Canal+ et les chaînes de télévision sont
en train de s’adapter au nouveau contexte,
et notre intérêt est de les y aider. De façon
plus globale, la télévision n’est pas finie, elle
est simplement en train de se moderniser.
Arte + 7 représente par exemple une réussite
incroyable. La télévision peut devenir une
plateforme avec un catalogue magnifique,
mais pour cela il faut aussi que nous
producteurs lâchions des choses.”
Malgré cette baisse de l’investissement
des chaînes de télévision dans le cinéma
français, la production de films n’a pas
baissé en France et a même retrouvé

21 28.08.2019 Les Inrockuptibles
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