Les Inrockuptibles N°1239 Du 28 Août 2019

(Romina) #1
plus sur les mêmes fondamentaux que
l’écosystème actuel : notamment du fait de
l’évolution des usages liée au numérique et à
l’émergence de plateformes de dimension
internationale (Netflix, Amazon etc.). (...)
Tout l’écosystème du cinéma et de la
production audiovisuelle doit opérer sa
mutation dans un délai de trois à cinq ans,
de façon à créer des conditions de marché
capables d’intéresser des financiers privés.
(...) Il est clairement inenvisageable que les
financements publics viennent compenser
toute baisse des autres sources de
financement, notamment privées, non
seulement en raison des contraintes qui
pèsent sur le budget de l’Etat, de l’absence de
perspective de nouvelles mesures fiscales et de
la trajectoire financière prévisible du CNC à
terme.”

En clair, Dominique Boutonnat a
été embauché pour remettre de
l’ordre dans un établissement public
jugé trop laxiste par la majorité.
Avant même sa nomination, il prévient la
profession que le CNC n’aura pas
vocation à combler la baisse
d’investissement des chaînes de télévision.
A grands coups d’anglicismes, ce rapport
agite le spectre d’un désengagement de
l’Etat vis-à-vis du cinéma français. Il
préconise le recours à de nouveaux
investisseurs privés et une
reconcentration du marché autour des
acteurs les plus puissants du secteur. Le

rapport Boutonnat suggère également
une refonte de la chronologie des médias
afin d’éviter les temps morts dans
l’exploitation d’un film et de sortir plus
facilement une œuvre directement en
VàD (vidéo à la demande). In fine, il
implique la disparition de cette
chronologie, lui préférant une négociation
film par film. Enfin, il pointe du doigt,
comme le rapport Magne, le modèle de
préfinancement qui impliquerait que les
fonds d’avance sur recettes récoltés pour
un film futur serviraient en fait à financer
le film précédent, entraînant une course
en avant et une politique nataliste des
films, au détriment de l’exploitation
commerciale sur toute la durée de vie
d’une œuvre.
A travers ces deux rapports et la
nomination de Dominique Boutonnat, il y
a une menace orchestrée par la majorité
gouvernementale à l’encontre du cinéma
d’auteur français. En plaçant un proche
d’Emmanuel Macron (les
“MacronLeaks” ont révélé que Boutonnat
avait fait don de 7 500 euros, soit le
maximum autorisé, lors de la campagne
du futur Président), partisan d’un cinéma
assujetti à une logique de rentabilité,
l’exécutif somme le cinéma d’auteur de se
plier à un contexte économique plus
libéral. Sans parler des conflits d’intérêts
et du copinage politique que cette
nomination soulève, c’est l’avenir du
cinéma d’auteur français et
l’indépendance du CNC qui se jouent.
Les réactions ne se sont pas fait
attendre. Alors que la nomination de
Dominique Boutonnat n’était pas encore
officielle, plusieurs tribunes et lettres
ouvertes d’organisations du secteur ont
été adressées à Emmanuel Macron et
signées par des centaines de
professionnel.le.s, dont les réalisateur.ice.s

le sommet historique de 2015 avec
300 films agréés en 2017 et en 2018.
C’est logiquement le coût moyen de
production d’un film qui a chuté depuis
deux ans, passant d’environ 5 à 4 millions
d’euros.
A partir de là s’est répandue l’idée
selon laquelle il y aurait trop de films en
France. Affirmation qui est partagée par
de nombreux acteurs du secteur. Mais
lorsque se pose la question des films en
trop, c’est évidemment toujours de ceux
des autres qu’il s’agit. Il y en a pourtant
une pour qui la cible est claire. Le 6 juin
dernier, la députée LREM Céline Calvez
s’appuie sur le rapport Magne, qui évalue
l’efficacité des dépenses publiques pour le
cinéma, pour pointer le manque de
transparence du CNC. Elle regrette
surtout une surproduction de films dont
la moitié réalise moins de 50 000 entrées
en salle et préconise de nouveaux critères
d’attribution des aides du CNC basés sur
la capacité des films à incarner un soft
power français exportable à l’international.
C’est Frédérique Bredin, alors en
campagne pour sa reconduction à la tête
du CNC, qui est visée par ce rapport,
mais c’est surtout tout le cinéma d’auteur
qui est accusé de ne pas être assez
rentable.
Sans surprise, elle ne sera pas
reconduite, et Dominique Boutonnat,
jusqu’ici producteur (notamment
d’Intouchables) et fondateur d’une Sofica
(Société de financement du cinéma et de
l’audiovisuel), est nommé à sa place le
25 juillet. C’est la première fois qu’un
membre de la profession est nommé à ce
poste, jusque-là occupé par de hauts
fonctionnaires. Il est l’auteur d’un autre
rapport, dévoilé mi-mai pendant le
Festival de Cannes, tout aussi
controversé. Ce rapport part de
l’obsolescence du système de financement
du cinéma actuel pour en appeler à une
série d’adaptations : “L’horizon qui se
dessine est radicalement différent et ne repose


“Avant de parler de rentabilité,
il y a pour nous urgence
à réformer la surexploitation des
plus gros films au détriment
du cinéma d’auteur”
BERTRAND BONELLO

Les Inrockuptibles 28.08.2019 22


rentrée cinéma
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