Les Inrockuptibles N°1239 Du 28 Août 2019

(Romina) #1

court et long terme) de nos auteurs,
autant de qualités remisent en cause par
les rapports Boutonnat et Magne.
Si Canal+ ne pourra pas soutenir
le cinéma dans les mêmes proportions
que par le passé, il existe des solutions
pour combler la baisse de la contribution
de la chaîne cryptée. Dans le rapport
Boutonnat, Netflix est cité pas moins
de quatorze fois, Canal +, six fois. Quand
la chaîne cryptée a vu son nombre
d’abonnés en France passer sous la barre
symbolique des 5 millions en 2018,
Netflix a dans le même temps dépassé
les 5 millions d’abonnés dans l’Hexagone,
réalisant un impressionnant bond
de 1,5 million d’abonnés en un an
seulement. Autant dire que Netflix est
devenu, de ce point de vue-là, un acteur
majeur de l’audiovisuel français.
Pourtant, le champion du streaming
échappait jusqu’à il y a peu à toute
taxation dans notre pays. Un paradoxe
que souligne Emmanuel Chaumet,
notamment producteur des Garçons
sauvages (2017) : “Il semble logique que
taxer les plateformes comme Netflix puisse
être une solution pour combler la baisse
d’investissement des chaînes de télévision.”
Cette anomalie a été corrigée par
l’instauration d’une taxe vidéo applicable
depuis le 1er janvier 2018 et que doivent
payer les plateformes comme Netflix,
Amazon Prime, iTunes ou YouTube sur
la base de 2 % de leur chiffre d’affaires
réalisé en France. L’an dernier, elle aurait
rapporté selon Dominique Bredin,
ex-présidente du CNC, 10 millions
d’euros au cinéma français. Un montant
faible, comparé à la contribution des


L’imprévisibilité de la
réussite d’un film d’auteur est la
condition de l’audace de la
création française. La case des
films à moins de 50 000 entrées
est donc essentielle.

chaînes de télévision, mais qui a vocation
à augmenter dans les années à venir
puisque, rien qu’en ce qui concerne
Netflix, on estime le chiffre d’affaires
réalisé en France à au moins 500 millions
d’euros en 2019. De plus, Xavier
Lardoux, directeur du cinéma du CNC,
a précisé sur France Inter, le 7 mai,
qu’une hausse du taux de cette taxe était
envisagée par mesure d’équité fiscale
avec les chaînes de télévision.

A cette taxe s’ajoutera bientôt
la nouvelle directive sur les Services
de médias audiovisuels (SMA)
qui a été adoptée par l’UE en début
d’année et qui devrait entrer en vigueur
courant 2020. Elle prévoit que Netflix
et ses concurrents (Amazon Prime Video
et bientôt Disney+ et AppleTV+) devront
proposer 30 % d’œuvres européennes
dans leur catalogue (pourcentage qui se
situe plutôt autour de 20 aujourd’hui),
et surtout financer des productions
françaises sur la base d’un pourcentage
de leur chiffre d’affaires réalisé en France,
pourcentage qui doit être fixé par l’Etat
français dans les mois à venir.
Afin d’obtenir des précisions, nous
avons tenté de contacter un interlocuteur
chez Netflix France. Fidèle à l’opacité
qu’on lui connaît, la plateforme nous
a répondu, non pas par la voix d’un
porte-parole ou d’un dirigeant, mais par
la voix de l’entité même de Netflix.
Elle nous dit donc : “S’agissant des exigences
législatives et réglementaires, nous opérerons
dans le cadre qui sera fixé par la future loi
audiovisuelle. Et nous payons déjà la taxe
vidéo au CNC. Nous discutons bien sûr

de l’ensemble de ces sujets avec le ministère
de la Culture, le CNC et tous les acteurs
institutionnels concernés. Netflix entend être
un partenaire pour la création audiovisuelle
et cinématographique française. Concernant
la sortie en salle, nos membres financent
des films à travers leurs abonnements et nous
voulons nous assurer qu’ils puissent profiter
de ces films sur Netflix dès leur sortie. Pour
les consommateurs en France, nous voyons
Netflix comme un service complémentaire
aux salles de cinéma.”
De quoi voir l’avenir en rose? N’allons
pas trop vite en besogne, car plusieurs
interrogations demeurent. Tout d’abord,
il se peut que l’ensemble de ces nouvelles
mesures, qui s’inscrivent plus largement
dans la taxation des Gafa menée de front
par la France, se heurte à une fin de
non-recevoir par l’administration Trump.
Ce sujet a dû être au centre des débats
du G7 qui s’est achevé lundi à Biarritz.
Et même si la directive SMA est
définitivement mise en place, se poserait
la question de l’utilisation de cette
nouvelle enveloppe. Rien ne dit que
le CNC voudra, ou parviendra,
à imposer à Netflix les mêmes impératifs
de protection du droit d’auteur et
de diversité des œuvres respectés par
Canal +. Sans oublier que les œuvres
produites par le géant du streaming ne
seraient diffusées que sur leur plateforme,
donnée aujourd’hui incompatible avec
le système de financement français basé
sur l’exploitation en salle.
Il est évident que le cinéma français
est à un tournant de son histoire. Son
système de financement doit s’adapter
aux évolutions du secteur. Mais plutôt
que de tirer sur le cinéma d’auteur,
la majorité devrait veiller à sa protection.
Le cinéaste Olivier Assayas conclut :
“Il est évident que la façon dont on considère
possible de regarder des images a changé
de façon radicale. On est dans un moment
où il faut réinventer notre modèle. Le problème
est que c’est aux Etats et à l’UE de légiférer
pour faire en sorte que ceux qui bénéficient
de l’exploitation de plus en plus accrue des
images participent à leur fabrication et à leur
renouvellement. Le système de financement
français est très sain, mais il ne peut fabriquer
les anticorps à une globalisation du marché.
C’est une question de gouvernance nationale
et d’attachement à l’exception culturelle
française.”

Les Inrockuptibles 28.08.2019 24


rentrée cinéma
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