Echos - 2019-08-14

(coco) #1

Les Echos Mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 ENTREPRISES// 13


Dix millions d’euros ont été desti-
nés à l’indemnisation totale des
entreprises, travailleurs autono-
mes et sociétés qui se trouvaient à
proximité du pont, et 20 millions
pour les entreprises de transport.
Les autorités portuaires ont pour
l’instant recueilli 900.000 deman-
des d’indemnités, concernant
643 entreprises. L’avenir du port,
premier employeur de la ville en
donnant du travail à 10 % de sa
population active, était la princi-
pale source d’inquiétude après
l’effondrement du viaduc.

Il avait porté un coup d’arrêt à
son activité, qui avait enregistré
une hausse de 61 % ces dix derniè-
res années et de 15 % en 2017. Le
ralentissement n’aura été que
temporaire. « Le risque de chaos a
été conjuré grâce à une réaction
rapide et efficace des autorités loca-
les, estime Gian Enzo Duci, prési-
dent de Federagenti, l’association
nationale des agents maritimes.
L’“e ffet pont” que l’on redoutait
ne s’est pas vérifié grâce, notamment,
à des réponses alternatives qui
se sont révélées efficaces. Cela
n’empêche pas que les travaux de
reconstruction d’un pont sur lequel
passait quotidiennement 1.000 à
1.500 poids lourds doivent être
menés au plus vite. »

Incertitude économique
Il est en effet indispensable pour
consolider les bons résultats enre-
gistrés au mois de juin. Le trafic de
conteneurs a progressé de 11 %,
avec le record pour un seul mois
de 241.466 EVP (unité de mesure

des conteneurs), confirmant la
reprise enregistrée à partir du
deuxième trimestre 2019. Le pre-
mier semestre de cette année
accuse néanmoins un recul de
1,2 % comparé à la même période
en 2018. Paolo Emilio Signorini,
le président du port de Gênes, se
félicite de ces résultats, qui sont
d’autant plus positifs qu’ils s’inscri-
vent dans un contexte d’incertitude
économique au niveau internatio-
nal, avec les tensions entre la Chine
et les Etats-Unis.
« Mais nous avons su convaincre
les opérateurs de demeurer à Gênes
et d’augmenter leur p résence.
Hapag-Lloyd y a installé sa direction
pour le sud de l’Europe, et ONE ses
services vers l’Asie, les Amériques et
la Méditerranée. PSA, MSC, Maersk
et Cosco ont en outre confirmé leurs
investissements. Nous sommes con-
fiants dans notre capacité à repren-
dre le chemin de notre croissance
constante momentanément inter-
rompue par l’effondrement du pont
Morandi. » —O. T.

L’économie de la ville a résisté à l’effondrement


du pont Morandi


« L’économie de Gênes a tenu bon. »
Un an après l’effondrement du pont
Morandi, qui représentait la princi-
pale artère de la ville, son cœur, le
port, n’a pas cessé de battre. C’est le
constat dressé par Giovanni Mon-
dini, président de Confindustria
Genova, qui reconnaît néanmoins
un ralentissement de son activité.
« Elle a souffert d’évidentes difficul-
tés logistiques, mais les chiffres ne
sont pas aussi mauvais que l’on
aurait pu le redouter et les investisse-
ments prévus sont maintenus. Le sec-
teur du tourisme et du tertiaire
avancé a bien réagi également. Plus
que l’absence du pont, c’est le ralen-
tissement de l’économie nationale et
la conjoncture internationale qui
pèsent sur l’économie de la ville. »


Les scénarios
apocalyptiques annoncés
après la disparition
d’une artère indispensable
à la viabilité de la ville
et à l’activité de son port
ne se sont pas vérifiés.


L’effrondrement du viaduc, le 14 août 2018, avait fait 43 morts. Photo Vincenzo Pinto/AFP

« On retirera la concession auto-
routière à Atlantia, après cette
entreprise sera au bord de la
faillite. » Un an après la tragédie,
les menaces de Luigi Di Maio,
ministre du Développement éco-
nomique et de l’Industrie, à
l’encontre du groupe de la famille
Benetton, sont r estées lettres mor-
tes. En s’effondrant le 14 août 2018,
le pont Morandi a fait 43 victimes.
Il en a entraîné dans sa chute une
44 e : l’image de son concession-
naire autoroutier, Autostrade per
l’Italia, filiale d’Atlantia.
Le concessionnaire de l’auto-
route a été immédiatement
critiqué pour avoir été plus attentif
aux profits qu’à l’entretien et
à la sécurité du viaduc. Des accu-
sations confirmées par des
experts mandatés dans le cadre
de l’enquête judiciaire ouverte
pour établir les responsabilités.
Ils pointent les nombreuses négli-
gences d’Autostrade per l’Italia
dans la catastrophe.
« C’est aussi une catastrophe
médiatique pour le groupe, estime
Andrea Camaiora, administra-
teur délégué du cabinet de com-
munication The Skill, spécialisé
en situations de crise. On peut par-
ler de cas d’école d’“epic fail” qui
représente une exception en Italie,
où l’on est souvent accusé de ne pas
savoir travailler sur la prévention
des crises, mais où notre grande
capacité de réaction est reconnue. »
Tout l’inverse de ce qui s’est passé
avec Atlantia, dont l’attitude a,
dans un premier temps, profon-
dément choqué l’opinion.
Le premier communiqué de
presse publié est arrivé avec
retard, minimisant dans un pre-

mier temps les faits. De sèches
condoléances ne sont arrivées
que plus tard. A cela s’ajoute le
maintien par la famille Benetton
d’un grand barbecue mondain
prévu de longue date, le lende-
main de l’accident. Rien d’éton-
nant à ce que ses représentants
aient été copieusement hués lors
des funérailles des victimes.

Redorer son blason
avec Alitalia
« Atlantia est devenu le bouc émis-
saire idéal, p oursuit Andrea
Camaiora, mais il est stupéfiant
qu’un groupe gérant des infrastruc-
tures dans le monde entier, donc
confronté quotidiennement à des
accidents, n e dispose pas d’une unité
de crise, capable de répondre en
temps réel et de manière adéquate à
un événement d e cette ampleur. Il ne
suffit pas d’avoir de bons communi-
cants, il faut aussi des dirigeants qui
sachent faire preuve de tact et de
sensibilité. Cela a fait défaut à
Autostrade per l’Italia, dont l’admi-
nistrateur délégué, Giovanni C astel-
lucci, au lieu de faire profil bas, s’est
exposé médiatiquement immédia-
tement après sa rencontre avec le
maire de Gênes et le président de la
région, révélant avant eux la teneur
de leurs discussions. »
Atlantia cherche désormais à
troquer son statut de bouc émis-
saire contre celui de chevalier
blanc d’Alitalia. Il est disposé à
investir entre 300 et 400 millions
d’euros pour une participation de
35 % dans le capital de la compa-
gnie aérienne au b ord d e la faillite.
Un acte purement intéressé, selon
la presse italienne. Outre la tenta-
tive d’apaiser ses relations avec
le gouvernement, qui menace
toujours de lui retirer sa conces-
sion autoroutière, Atlantia, qui
contrôle Aeroporti di Roma,
a tout intérêt à un sauvetage
d’Alitalia. —O. T.

La réponse de la famille
Benetton à l’effondrement
du pont constitue
un cas d’école d’échec de
communication de crise.

La catastrophe a fait


chuter l’image d’Atlantia


placées sous l’égide de PerGenova,
consortium réunissant Fincantieri
et Salini-Impregilo, les deux géants
italiens des secteurs de la construc-
tion navale et des infrastructures.

« Un défi sans précédent »
« Le nouvel édifice aura quelque
chose d’un bateau, évoquant une
coque parce que c’est quelque chose
de Gênes, avait expliqué l’auteur
du projet, l’architecte star Renzo
Piano, en le présentant. Ce sera un
pont plus fin, qui aura une lumino-
sité à lui. Il sera en acier. » I l en faudra
24.000 tonnes, auxquelles s’ajou-
teront les 67.000 mètres cubes de
béton pour bâtir la travée longue de
1.067 mètres avec ses 19 piles princi-
pales. L es f ondations d e la première
ont été jetées le 25 juin dernier.

« Nous devons affronter un défi
sans précédent, explique Alberto
Maestrini, président de PerGenova
et directeur général de Fincantieri.
Nous devons prouver que nous
sommes capables de construire une
infrastructure complexe et moderne
sur un territoire fortement urbanisé,
dans un laps de temps très court.
C’est aussi l’opportunité d’innover et
d’élever la qualité, l’esthétique et les
standards de sécurité, qui pourront
servir de modèle pour les prochains
chantiers. Nous apporterons la
preuve que notre pays est encore doté
d’importantes capacités industriel-
les. » Comme en 1967, lorsque fut
inauguré le viaduc Morandi, qui
n’aura résisté que cinquante et
un ans. « Le nouveau pont durera
mille ans », assure Renzo Piano...n

lUn an après l’écroulement du viaduc Morandi, le chantier de la reconstruction a commencé.


lAprès des mois de chaos, l’indemnisation des entreprises a commencé et la première pile du nouveau pont a été posée.


Gênes attend un nouveau pont


au printemps 2020


Olivier Tosseri
— Correspondant à Rome


« Gênes aura un nouveau pont qui
sera inauguré en avril 202 0. » C’est la
promesse faite par Marco Bucci,
maire de la ville et commissaire
chargé de la reconstruction. Elle
a enfin commencé un an après
l’effondrement du viaduc Morandi,
qui avait fait 43 morts. Les débuts
ont été chaotiques, marqués par les
menaces du gouvernement italien
de révoquer la concession auto-
routière du groupe Atlantia pour
ses graves manquements à l’entre-
tien du pont. Se sont ajoutées une
série de polémiques et d’entraves
bureaucratiques pour nommer le
commissaire à la reconstruction
et adopter un décret d’urgence
de soutien à la population affectée
par la catastrophe.
Le « Decreto Genova » s’est avéré
dans un premier temps lacunaire,
notamment sur l’enveloppe d’envi-
ron 1 milliard d’euros prévue. Elle
était destinée à financer des allége-
ments d’impôts pour les entrepri-
ses qui accusaient plus de 422 mil-
lions d’euros de dommages et à
garantir les crédits logements des
281 familles dont les maisons
étaient désormais inhabitables.


L’état d’urgence prolongé
jusqu’en 2020
Après des mois de polémiques,
l’été 201 9 marque la véritable sortie
de l’é tat de crise. Le 28 juin, les
deux principales piles du viaduc
Morandi ont été détruites à l’explo-
sif à l’issue du démantèlement,
commencé en février, des tronçons
encore debout. Le versement des
indemnités pour les victimes
s’apprête à être lancé ; les entrepri-
ses seront intégralement rembour-
sées des dommages subis. Quant
aux familles déplacées, elles ont
toutes pu être relogées.
Le gouvernement a prolongé en
juillet l’état d’urgence pour Gênes
jusqu’au 15 août 2020, accédant
ainsi à la demande du commissaire
à la reconstruction pour l’aider à
achever sa mission. Le chantier du
nouveau pont a déjà été ouvert et
devra durer douze mois. D’un coût
estimé à 202 millions d’euros, il
emploiera plus de 1.000 personnes


BTP


Les chiffres clefs


281
FAMILLES IMPACTÉES
dont les maisons sont inhabi-
tables depuis la catastrophe.

24.
TONNES
d’acier seront nécessaires
à la reconstruction du pont.

202
MILLIONS D’EUROS
Le coût estimé du chantier.

« Les travaux
de reconstruction
doivent être menés
au plus vite. »
GIAN ENZO DUCI
Président de Federagenti
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