Echos - 2019-08-14

(coco) #1

Les Echos Mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 PME & REGIONS// 17


LES REDRESSEURS D’ENTREPRISE


SÉRIED’ÉTÉ
8/ 9

Stanislas du Guerny
— Correspondant à Rennes


L


es belles marques patri-
moniales de prêt-à-por-
ter, Stéphane Collaert
en a fait sa passion
depuis des lustres. Elle
lui vient de son père, longtemps
propriétaire des ceintures et autres
accessoires Collaert L’Aiglon.
Après plusieurs années, alors que
sa famille n’était plus aux manettes
de L’Aiglon, Stéphane Collaert a été
nommé directeur général de cette
société, qu’il a dirigée pendant plus
d’une décennie avant de vouloir la
racheter. Refus de l’actionnaire.
Mais c’était sans compter sur la
détermination de celui qui s’est fait
une réputation de spécialiste du
retournement des marques.
Aujourd’hui âgé de cinquante ans,
il ne veut plus être l’homme du
redressement d’entreprises de prêt-
à-porter appartenant à d’autres. Son
expérience, il la met désormais à son
propre profit.


Reconquête de la clientèle
Premier acte de cette évolution de
carrière, il a tout récemment repris
avec son confrère et ami Thierry
Le Guénic, et avec le chausseur bre-
ton Royer, la célèbre marque de
blousons en cuir et de doudounes
Chevignon, qui appartenait à
Vivarte. Le même tandem vient
aussi de lui racheter son enseigne
de chaussures Cosmoparis
distribuées dans 75 points de vente.


Pour ces différentes marques, Sté-
phane Collaert commence à appli-
quer sa méthode bien rodée de
reconquête de la clientèle. « Cela
passe, indique-t-il, par un diagnostic
complet des potentialités commer-
ciales et des équipes afin d’identifier
ceux qui sont prêts à nous accompa-
gner dans les changements radicaux
à entreprendre. »
Chez Chevignon, l’ambition du
repreneur consiste à totalement
revoir son positionnement com-
mercial pour lui redonner son lus-
tre passé de marque premium. Une
nouvelle collection est en prépara-
tion. Les boutiques seront rénovées
et un musée Chevignon pourrait
être créé à Paris. Et il n’est pas exclu
que des chaussures de chez Royer
puissent être signées Chevignon.
Chez Cosmoparis, les deux
nouveaux actionnaires entendent
renforcer le positionnement euro-
péen de ces chaussures haut de
gamme pour femmes.
Stéphane Collaert et Thierry Le
Guénic, tous deux diplômés en
finances à l’université de Paris-
Dauphine, où ils se sont rencon-
trés, ont déposé une offre exclu-
sive de reprise de la marque de
lingerie Lejaby. « Nous disposons
de la trésorerie nécessaire pour réa-
liser en deux ans les changements,
tant chez Chevignon, Cosmoparis
que Lejaby », confie Stéphane Col-
laert. Il a d’autant moins de temps
à perdre que lui et son associé étu-
dient déjà d’autres rachats poten-
tiels. « D’autres marques sont à

l’étude », continue le dirigeant. Les
différents redressements réussis
de marques françaises plaident en
faveur de l’homme d’affaires.
Après L’Aiglon, dont il a triplé
l’activité en un peu plus de dix ans,
Stéphane Collaert a passé
plusieurs années chez le maroqui-
nier breton Texier, désormais
remis sur les rails. La société avait
déposé son bilan, les salariés crai-
gnaient u ne fermeture. « Ce type de
redémarrage se fait avec l’assenti-
ment du personnel, qu’il faut savoir
rassurer par des actions c oncrètes et
immédiates », insiste celui qui a
aussi relancé l es célèbres chaussu-

res montantes Pataugas, propriété
du groupe Hopps.

Un pari un peu « fou »
Chevignon et Lejaby génèrent un
chiffre d’affaires annuel cumulé de
45 millions d’euros. Cosmoparis
présente une recette annuelle de
20 millions d’euros. « L’objectif est
de doubler les ventes de l’ensemble
dans les trois ans », continue
Stéphane Collaert. Amis et connais-
sances jugent parfois ce pari un peu
« fou », mais le dirigeant qui a
démarré sa carrière chez Andersen
comme consultant à la cellule res-
tructuration et réorganisation

garde la tête sur les épaules. Toutes
les marques françaises iconiques
ne sont pas susceptibles d’être
reprises, estime l’homme d’affaires
à l’allure plutôt décontractée, jean
et blouson... Chevignon! Il a été
récemment contacté par un admi-
nistrateur judiciaire pour le rachat
éventuel de Sonia Rykiel, en très
grande difficulté. « La perte est
colossale, nous n’avons pas les
moyens financiers suffisants »,
reconnaît Stéphane Collaert. Il a
aussi regardé le dossier de Scottage,
une enseigne de prêt-à-porter du
groupe malouin Beaumanoir, mais
n’a pas non plus donné suite.

Stéphane Collaert, le bon goût des marques françaises


Après avoir repris Chevignon,


ce spécialiste du retournement des


marques françaises de prêt-à-porter


vient de racheter les chaussures


Cosmoparis et Lejaby.


Contrôle de la qualité des pièces de lingerie Lejaby. Photo Stéphane Audras/RÉA

Dates clefs


1994 Stéphane Collaert
intègre l’équipe
d’Arthur Andersen
dédiée aux
restructurations.
2015 Rachat de la
maroquinerie Texier.
2018 Il s’associe avec
Thierry Le Guénic afin
de créer un groupe
susceptible de porter,
d’ici à trois ans, 5 en-
treprises françaises
à marques iconiques.
2019 Rachat
de Chevignon et
de la Maison Lejaby.

Il est guidé d ans ses choix par son
épouse, qui a longtemps été cadre
chez Kenzo et gère aujourd’hui une
boutique Gérard Darel. Quant à
l’une de ses filles, étudiante à
l’Edhec, elle se passionne aussi
pour les belles marques délaissées
en étant membre de La Made In
France BBA Edhec, une association
qui fait la promotion des entre-
prises de l’Hexagone. Bref, une
histoire de famille.
6
Vendredi Patrice Duceau,
chevalier blanc des patrons
invisibles

Frank Niedercorn
— Correspondant à Bordeaux


Survoler le vignoble. Rencontrer
virtuellement un maître de chai
ou un tonnelier. Jouer avec les dif-
férentes senteurs du cognac. La
société Martell, filiale du groupe
Pernod Ricard, a conçu un nou-
veau circuit de visite dans ses
anciens chais inutilisés depuis
quinze ans, mais dont les murs
noircis sentent encore l’alcool.
Imaginé par Nathalie Crinière, le
parcours fait appel de façon sobre
à la technologie. Pédagogique et
ludique, il rappelle l’histoire de
Jean Martell et d’une maison de
plus de 300 ans, mais aussi la tech-
nique de production du cognac.
En Charente, l’œnotourisme
ou spiritourisme est tout sauf
anecdotique et l’office de tou-
risme estime que la moitié des
240.000 touristes se rendent cha-
que année dans l’une des grandes
maisons à Cognac et alentour. Et
la compétition est vive. A l’image
de Hennessy (appartenant à
LVMH propriétaire des
« Echos »), qui a renouvelé son


NOUVELLE-
AQUITAINE


La marque, propriété
du groupe Pernod
Ricard, rénove
le circuit de visite
de ses chais et
son ancienne usine
d’embouteillage.


offre il y a deux ans, et de Baron
Otard dans le château natal de
François Ier ou de Rémy Martin.
Pour se distinguer de la con-
currence, Martell a vu les choses
en grand. A côté de la visite des
chais, l’entreprise a rénové son
ancienne usine d’embouteillage,
imposante bâtisse de 1928 inspi-
rée du Bauhaus allemand et
désaffectée depuis 2005. Au som-
met, un toit-terrasse tendance
permet de déguster des cocktails
avec vue sur la Charente. « C’est
une façon de montrer aux visiteurs
les nouveaux modes de consom-
mation du cognac », insiste Laura
Sileo Pavat, directrice de l’hospi-
talité de la maison Martell.

Fondation
d’art contemporain
En pleine rénovation, le bâti-
ment, qui offre six niveaux et
6.000 mètres carrés, va être
investi par une fondation consa-
crée à l’art contemporain.
Martell n’a jamais dévoilé le mon-
tant investi dans s on projet, sinon
que 1 million d’euros ont été
dépensés pour détruire
3.500 mètres carrés de bâtiments
industriels autour de l’é difice
principal. « Le projet est très a mbi-
tieux et vise le public intéressé par
la culture, plus large que celui des
spiritueux. Cela sied assez bien au
statut que veut se donner une mar-
que de luxe. Quant au “rooftop”
assez branché, il donne cette
dimension s upplémentaire
autour du “lifestyle” », analyse
Sylvain Dadé, cofondateur de
l’agence de marketing Sowine.n

A Cognac, Martell parie


sur l’œnotourisme,


la culture et l’art de vivre


« La Voix du Nord » accélère la numérisation


de ses titres


Nicole Buyse
—Correspondante à Lille
et Guillaume Roussange
— Correspondant à Amiens

1,5 million de vues pour l’article sur
la conductrice violentée par des
« gilets jaunes » à Saint-Quentin.
Un record pour « Le Courrier
picard », qui cette année a vu son
audience Web augmenter de 40 %,
avec 400.000 v isiteurs u niques c ha-
que semaine. D e quoi encourager la
rédaction à faire preuve d’inventi-
vité pour transformer ces bonnes
performances en abonnés. Moder-
nisation du site Internet, articulé
autour d’informations gratuites et
d’un espace payant, vidéos, applica-
tion mobile plus ergonomique... La
recette de cette stratégie numéri-
que est testée depuis deux ans par
« La Voix du Nord », la maison mère
du journal (groupe Rossel). « Nous
comptons 18.000 abonnés numéri-
ques, soit 5.000 de plus qu’en 2018. Et
nous visons les 9.000 supplémentai-
res cette année, c e qui nous p lace dans
nos objectifs », confirme Gabriel
d’Harcourt, directeur général délé-
gué de « La Voix du Nord ».
A Amiens, « Le Courrier picard »,
qui totalise 3.000 abonnés Web,

HAUTS-DE-FRANCE


Deux ans après
« La Voix du Nord »,
leur maison mère,
« Le Courrier picard »
et sa filiale, « L’Aisne
nouvelle », lancent
leur nouvelle stratégie
numérique.

veut s’inspirer de « La Voix du
Nord », qui a ouvert une plate-
forme interrogeant ses lecteurs sur
leurs attentes. En septembre, la
rédaction du « Courrier picard »
lancera « Pic’Avenir », une consul-
tation des lecteurs sur l’avenir de la
région.
Durant neuf semaines, ceux-ci
seront amenés à donner leur point
de vue sur l’emploi, l’environne-
ment ou encore la place d’Amiens,
l’ex-capitale régionale, au sein de la
grande région. Basé sur l’utilisation
de la plate-forme Cap Collectif,
l’outil du grand débat, ce travail
donnera lieu à la rédaction d’un
Livre blanc, soumis ensuite aux
élus. « Notre volonté est d’être un
acteur du débat public. La Picardie
n’est pas le seul territoire à s’être senti
déclassé par la fusion des régions. Ce

constat étant fait, la question est de
savoir quel avenir on souhaite inven-
ter », explique Mickaël Tassart,
rédacteur en chef du journal.

Reconquête
Cette initiative illustre la nouvelle
relation que les titres de presse ten-
tent d’inventer face à la baisse, et
pour certains à l’hémorragie, du lec-
torat. S’inspirant des réseaux
sociaux, les titres de « La Voix » veu-
lent davantage s’adresser aux com-
munautés d’intérêt qui existent sur
les territoires. « Parmi elles, on trouve
les chasseurs, les dance clubs ou les
footballeurs amateurs. Nous devons
proposer des contenus utiles et inté-
ressants pour ces différentes typolo-
gies de lectorat », complète Samir
Heddar, rédacteur e n chef de
« L’Aisne nouvelle ». Ce travail de ter-

rain semble fonctionner, le quadri-
hebdomadaire progressant de 60 %
sur le Web depuis le début de
l’année.
Reste la question des moyens
humains nécessaires à ces straté-
gies. A Amiens, deux p ersonnes ont
été recrutées à la rédaction Web, et
les équipes marketing, renforcées.
« La Voix du Nord », elle, veut déve-
lopper son offre ciblée, en fonction
du profil du lecteur, de son âge et de
ce qu’il aime, un chantier dans
lequel elle se lancera l’année pro-
chaine. Pour cela elle va créer un
laboratoire de données pour mieux
connaître les attentes de ses lec-
teurs. Cette stratégie numérique a
pour but d’enrayer l’érosion chroni-
que de la diffusion papier, en recul
de 2,1 % en 2018, contre –4,94 % un
an plus tôt.n

S’inspirant des réseaux sociaux, les titres de « La Voix du Nord » veulent s’adresser aux communautés
d’intérêt des territoires. Photo Sipa
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