Echos - 2019-08-14

(coco) #1

Les Echos Mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 IDEES & DEBATS// 07


art&culture


Pavane pour une Hollywood


défunte


Brad Pitt et Leonardo DiCaprio, un duo d’acteurs de la fin des années 1960
dans un Hollywood qu’ils ne reconnaissent plus. PhotoSony Pictures

Thierry Gandillot
@thgandillot

Jake Cahill (DiCaprio) est
une vedette du petit écran
où il s’est fait une spécialité
de méchant dans la série
western « Bounty Law ». Sa
carrière est e n perte de vitesse, il boit comme
un trou, ce qui n’arrange pas les c hoses. Il fait
équipe avec son pote Cliff Booth (Brad Pitt),
ancien cascadeur, sa doublure, avant qu’un
drame, suivi d’un séjour en prison, ne tienne
ce dernier écarté des plateaux. Booth sert
aussi d’homme à tout faire dans la villa de
Jake, qui jouxte celle de Roman P. et Sharon
S.. C’est un type dangereux sous des allures
hyper cool au moins aussi dangereux que
son chien de combat – elle est super, elle
s’appelle Brandy et, à juste titre, a remporté
la palme Dog.
Une jolie frimousse entraîne Cliff vers le
Spahn Ranch, ancien décor de cinéma où
des « enculés de hippies » – c’est ainsi qu’on
parle chez Tarantino, peut-être sa manière à
lui de fêter les 50 ans de Woodstock? – ont
fondé une secte, dont le chef se prénomme
Charles. Vous avez dit Charles?

Chemises hawaïennes
Le film donne l’occasion à Tarantino d’une
promenade nostalgique dans les studios où
Jake essaie de surnager avant d’accepter
d’aller passer six mois en Italie j ouer dans des
westerns spaghettis. Son meilleur rôle, il l’a
tenu dans un improbable « Nebraska Jim »

(dont le titre fait écho au
« Navajo Joe » de Sergio
Corbucci, on imagine). On
rappellera pour les plus
distraits que : 1. Corbucci a
réalisé un film qui s’appelait
« Django », dont « Django
Unchained » de Tarantino
s’est inspiré et que 2. Sergio Leone a réalisé
un film qui s’appelait « Once Upon a Time in
America » – chef-d’œuvre crépusculaire
absolu. Fin de la parenthèse « Monsieur
Cinéma ».
L’ambiance est aux néons, aux « dîners »,
aux chemises hawaïennes et aux bagnoles
flanquées c omme des paquebots. La bande-
son passe « Hush », « The Letter », « Mrs
Robinson » ou « California Dream ». Les
références abondent : Sharon Tate com-
mande chez son libraire « Tess d’Uber-
ville » dont on sait que, plus tard, Polanski
tirera un film ; elle se regarde elle-même à
l’écran donner la réplique à Dean Martin
dans une salle qui passe « The Wrecking
Crew ». Jolie scène en abîme.
Malgré des moments brillants, dont un
hilarant avec Bruce Lee, Tarantino sombre
sous sa cinéphilie et peine à donner du
rythme à un film dont on ne voit pas claire-
ment l’intérêt. Il a déclaré qu’il s’arrêterait à
son dixième film. Si on le croit – on n’est pas
obligé... – il ne lui resterait plus qu’une car-
touche à tirer. On parle d’un « Kill Bill 3 »,
d’un « Star Treck » tendance « Pulp Fiction »
ou d’un « Bounty Law » revisité. Mais lui seul
connaît le vrai scénario.n

FILM AMÉRICAIN
« Once Upon a Time...
in Hollywood »
de Quentin Tarantino
avec Brad Pitt, Leonardo
DiCaprio, Margot Robbie,
Al Pacino... 2 h 40.

Burlesque dans les Vosges


Olivier De Bruyn
@OlivierBruyn

Le commissaire Pierre Per-
drix exerce dans un village
des Vosges où il ne se passe
jamais rien. Ou si peu... Son
quotidien est bouleversé le jour où apparaît
dans le paysage Juliette Webb, une jeune
femme au tempérament volcanique. Vic-
time du vol de sa voiture – un vol effectué
par un gang de nudistes qui sévit dans les
parages – l’héroïne porte plainte dans le
commissariat de Perdrix et, peu à peu,
apprend à connaître ce dernier et sa famille
de doux dingues : sa mère, qui, chaque nuit,
joue les psychologues sur les ondes de sa
propre radio locale, son frère et sa sœur, qui
semblent fâchés avec les règles sociales.
Entre Perdrix, le flic placide, et Webb, la
jeune fille tempétueuse, une étrange rela-
tion voit le jour, prélude, peut-être, à une
histoire d’amour singulière et profonde.
Une histoire à laquelle s’oppose la famille
de Perdrix qui communie sur l’autel d’un
entre-soi liberticide et plusieurs événe-
ments incongrus, entre autres des attaques
imprévisibles de la bande d e nudistes et une
reconstitution d’une bataille de la Seconde
Guerre mondiale qui sème la pagaille dans
la région...
Pour son premier film, Erwan Leduc opte
pour la fantaisie et on ne s’en plaint pas. En
racontant l a romance d élirante e ntre u n flic

de province, prisonnier de
sa famille, de ses silences
et de ses névroses, et une
femme insaisissable qui,
depuis toujours, consigne
dans des carnets ses expé-
riences quotidiennes, his-
toire de « ne pas se perdre de vue » (sic), le
cinéaste néophyte, aussi inspiré dans son
scénario que dans sa mise en scène, invente
un univers atypique où il privilégie
l’humour, le « nonsense », les décalages
inattendus et une poésie jamais mièvre.

Méditation sur l’absurdité
de l’existence
Aux antipodes du sacro-saint réalisme si
souvent privilégié par les jeunes auteurs du
cinéma hexagonal, Erwan Leduc, quelque
part e ntre un David Lynch décontracté et un
Elia Suleiman de la France profonde, tire le
meilleur parti des décors naturels inquié-
tants des Vosges pour entraîner le specta-
teur dans une méditation sur l’absurdité de
l’existence et sur la nécessité de l’émanci-
pation (de son passé, de ses proches, des
normes désolantes du quotidien). Remar-
quablement interprété par des acteurs
enchantés d’arpenter des territoires de fic-
tion si surprenants – Swann Arlaud, Maud
Wyler, Fanny Ardant –, « Perdrix », en toute
discrétion, s’impose comme l’un des films
les plus étonnants offerts ces derniers mois
par le cinéma français.n

FILM FRANÇAIS
Perdrix
d’Erwan Leduc
Avec Swann Arlaud,
Maud Wyler,
Fanny Ardant. 1 h 39.

LE POINT
DE VUE


de Jean-Marie Bockel


Il faut un nouvel élan


à la décentralisation


P


our sortir de la crise des « gilets
jaunes » d’avant l’été, l’une des
pistes à explorer est celle d’une
décentralisation revivifiée. Dans ce
domaine comme dans bien d’autres,
dégainer une n ouvelle l oi ne saurait être
une panacée. L’inefficacité de notre sys-
tème résulte des nombreux chevauche-
ments de compétences entre l ’Etat et l es
collectivités, qui rendent l’action publi-
que illisible par les citoyens et diluent
les responsabilités, par exemple en
matière d’action sociale ou de forma-
tion. La loi a déjà tranché, mais elle n’est
pas suivie d’effets.
En la matière, ce n’est donc pas d’une
nouvelle loi dont nous avons besoin,
mais de faire appliquer la décentralisa-
tion. Peut-être faut-il frapper un grand
coup : inscrire dans la Constitution
l’interdiction de tels d oublons e t la créa-
tion d’un mécanisme de contrôle de
leur suppression, qui pourrait se tra-
duire par un examen régulier confié
aux délégations aux collectivités terri-
toriales des deux Assemblées.
Par ailleurs, l’obstacle majeur au
dynamisme local est souvent le trop-
plein de lois. Depuis plusieurs années,
nous menons au Sénat une action de
simplification destinée à réduire cet
obstacle. Nous avons notamment pro-
posé d’alléger le droit de l’urbanisme
que les maires, consultés, avaient
pointé comme une source essentielle
de complexité.
Si une loi sur les territoires peut être
utile, c’est donc à une triple condition.


gué : il faut désormais passer sur l’autre
rive. Fondé sur le principe de subsidia-
rité, qui réserve à l’Etat ce que les autres
acteurs ne peuvent réaliser de manière
plus efficace, ce nouveau pas doit ren-
forcer la responsabilité des collectivités
et des citoyens.
S’il faut engager une nouvelle vague
de transferts de compétences vers les
collectivités, par exemple pour l’ensei-
gnement supérieur ou l’emploi, il faut
aussi renforcer la capacité des acteurs à
dialoguer entre e ux. Pour s ortir de la c ul-
ture administrative du travail en silo. Ce
qui suppose d’en finir avec les program-
mes décidés à Paris, structurellement
centralisateurs, ponctuels et souvent
instables, qui ne compensent que très
partiellement les rigidités et les coûts
structurels imposés aux collectivités.
Au contraire, il faut, au plus près du
terrain, desserrer les contraintes juridi-
ques paralysantes et redonner aux col-
lectivités une véritable autonomie
financière et fiscale conjuguée à des
mécanismes d e péréquation redessinés
pour plus d’efficacité. Plus encore, il est
temps d’ouvrir, par la Constitution, des
espaces de différenciation entre les ter-
ritoires, en donnant l a possibilité d’édic-
ter des règles juridiques différentes
selon les territoires. L’exécutif est-il prêt
à jouer le jeu?

Jean-Marie Bockel, sénateur
(Union centriste), est président
de la délégation au Sénat
aux collectivités territoriales.

Elle doit être simple. Elle doit ensuite
faciliter la vie des élus qui veulent déve-
lopper leurs territoires et celle des habi-
tants et entrepreneurs de ces territoires.
Elle doit surtout ouvrir la voie à une
nouvelle étape de la décentralisation.
Une loi sur les territoires devrait donc
prendre la forme d’une loi-cadre, claire
et c ourte, qui laisse le maximum d’agilité
et de capacité de manœuvre aux acteurs
qui auront à l’appliquer, bref le contraire
de la loi NOTRe. Les dispositions com-

plexes ou ambiguës, illisibles à force
d’être précises, sont des nids à interpré-
tations divergentes et à contentieux.
Le volet simplificateur d’une loi sur
les territoires doit permettre de libérer
les énergies locales en écartant les nor-
mes inutiles, en permettant aux collec-
tivités de déroger à des textes réglemen-
taires relatifs à leurs compétences ou
encore en autorisant, sous un contrôle
du Sénat destiné à éviter les abus
locaux, des dérogations, sollicitées par
les collectivités, à des lois.
Surtout, la décentralisation donne
l’impression d’être restée au milieu du

L’ inefficacité
de notre système résulte
largement des nombreux
chevauchements
de compétences entre
l’Etat et les collectivités.

LE POINT
DE VUE


de Guillaume-Olivier Doré


Epargne : il faut des


solutions personnalisées


aux Français


L


e sujet central et l égitime du pou-
voir d’achat n’a été traité jusqu’ici
qu’à travers la question fiscale
et salariale, faisant fi du potentiel
qu’aurait pu représenter une véritable
réforme de notre modèle d’épargne.
Il s’agit d’un sujet majeur pour des
millions de Français, y compris modes-
tes, qui immobilisent, via l’épargne, des
sommes considérables. Le patrimoine
financier des Français représente en
effet près de 5.100 milliards d’euros l’an
dernier, dont près des deux tiers dor-
ment sur les comptes courants et sur
des livrets réglementés.
L’épargne est devenue naturelle chez
nos concitoyens : dès lors qu’ils le peu-
vent et quelle que soit leur catégorie
sociale, elle constitue une réelle réponse
à un besoin de sécurité. Elle permet de
prévoir aussi bien l’imprévu que de pré-
parer le futur. Beaucoup de Français,
parfois même sans le savoir, ont dans
leur portefeuille personnel des produits
d’épargne. C’est d’ailleurs dans le con-
texte de mobilisation des « gilets jau-
nes » que le président de la République et
le gouvernement avaient souhaité enga-
ger des discussions avec le secteur ban-
caire sur les finances personnelles. Le
sujet de l’épargne n’avait pas été abordé.
Repenser l’épargne, ça n’est pas la
remettre en cause, mais bien au con-
traire réfléchir à la transformer, pour
exploiter tout son potentiel en termes
de pouvoir d’achat. Cette responsabi-
lité, elle incombe avant tout aux acteurs
du secteur.


d’argent qui sort directement de la
poche des épargnants et qui est
aujourd’hui inefficacement et injuste-
ment prélevé.
Rendre cet argent aux Français
reviendrait soit à leur permettre de pla-
cer 5 milliards d’euros supplémentai-
res, soit de récupérer directement ce
montant, qui est astronomique. C’e st
dans tous les cas autant de pouvoir
d’achat en plus.
Affirmons que les acteurs de l’épar-
gne ont les moyens de proposer un ser-
vice moins coûteux – donc plus trans-
parent – et mieux adapté aux besoins
des Français. Nous en avons surtout la
responsabilité.
L’absence de l’épargne dans les con-
clusions du grand débat représente une
opportunité rare pour chacun d’entre
nous, professionnels de l’épargne : elle
nous donne le devoir de nous réformer
de l’intérieur. Nous devons saisir cette
chance pour nous prendre en main,
changer et rationaliser nos pratiques.
Faute de quoi le législateur finira légiti-
mement par s’y atteler en plaquant sur
nos organisations une réglementation
stricte.
En France, l’épargne peut profiter à
tous, y compris et même d’abord à l’éco-
nomie réelle. Il appartient aux acteurs
du secteur d’attirer plus de monde
encore. Nous le ferons si nos pratiques
s’adaptent.

Guillaume-Olivier Doré est fondateur
de Mieuxplacer.com.

C’est aux épargneurs professionnels
et non aux épargnants à qui il doit être
demandé de revoir leur copie et de parti-
ciper à l’effort national collectif. Dans un
pays où l’on compte 33 millions de con-
trats d’assurance-vie, soit plus que de
foyers fiscaux, ce sujet est primordial.
Il nous faut dans un premier temps

fournir de véritables solutions person-
nalisées pour chaque ménage. Si
l’argent doit être immobilisé, il doit l’être
dans l’intérêt de l’épargnant, en prenant
totalement en compte son quotidien.
Pourtant, trop souvent, trop longtemps,
dans notre secteur, l’intérêt de nos usa-
ges a primé sur l’intérêt de tous les
ménages. Pourquoi, aujourd’hui,
peut-on résilier un abonnement télé-
phonique sans frais et ne peut-on pas
résilier un placement sans perte?
Répondre, par l’épargne, à l’enjeu du
pouvoir d’achat, c’est aussi prendre à
bras-le-corps la question des frais. Là
aussi, il est temps. Les frais de commer-
cialisation représentent aujourd’hui
plus de 10 milliards d’euros par an. Ces
frais, qui sont en partie justifiés, pour-
raient être réduits de 50 %. C’est autant

Les acteurs de l’épargne
ont les moyens
de proposer un service
moins coûteux et mieux
adapté aux besoins
des Français.
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