Echos - 2019-08-14

(coco) #1

08 // SÉRIES D'ÉTÉ Mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 Les Echos


éclate cette année-là va d urer huit ans. Huit
d’années de coups bas, d’escarmouches et
de règlements de comptes par presse inter-
posée, qui finissent par mettre en danger
l’avenir de Reliance et qui nécessitent
l’intervention des grandes figures du capi-
talisme indien et même celle du Premier
ministre. Après un premier accord en
2005, qui n’e mpêche pas le conflit de se
poursuivre, une solution est enfin trouvée
en 2010 : Mukesh devient PDG de Reliance
Industries, qui regroupe les activités gaz,
pétrole, pétrochimie et textile ; Anil pre-
nant, de son côté, la tête de Reliance Anil
Dhirubhai Ambani Group, présent dans
les télécommunications, les médias, la
construction, la distribution et la finance.

Se démarquer du frère cadet?
C’est dans ce contexte que Mukesh décide
la construction d’Antilia. Veut-il, lui le dis-
cret, l’homme sérieux et travailleur qui
n’aime guère les mondanités, attirer les
projecteurs sur lui, s’affirmer face au flam-
boyant Anil qui se met habilement en
scène dans les journaux, et afficher ainsi
son autorité et sa puissance financière?
C’est bien possible. Bien qu’il soit l’aîné,
Mukesh peine en effet à incarner la pour-
suite de la saga familiale commencée avec
le très respecté Dhirubhai. Peu de gens le
connaissent. Anil, lui, s’est littéralement
coulé dans le rôle au point d’être perçu

comme le véritable chef de famille. Dans
un pays où les symboles pèsent lourd, la
tour de Mukesh Ambani pourrait bien
n’être au final que « la dérisoire réponse
d’un frère aîné obnubilé par l’ombre que lui
fait son cadet », comme l’écrira « Paris-
Match » en 2011.
En 2005, Mukesh confie en tout cas le
projet à deux célèbres firmes américaines
d’architecture, Perkins and Will et Hirsch
Bedner Associates ; la construction de
l’édifice sera pour sa part réalisée par
l’entreprise australienne Leighton Hol-
dings. Quant au lieu, il est vite trouvé : ce
sera sur Altamount Road, dans le très chic
quartier résidentiel de Cumballa Hill, au
sud de Mumbai. Il y a là un terrain de plus
de 4.500 mètres carrés. Un orphelinat s’y
trouve, fondé jadis par un riche armateur
indien et qui accueille encore une soixan-
taine d’enfants. Mukesh achète le tout en
2005, pour 3 millions de dollars, un mon-
tant très en deçà de la valeur marchande du
bien, estimée à 20 millions de dollars.
Première polémique sur un projet qui
fera couler beaucoup d’encre... Une
seconde suit bientôt : la transaction s’est en
effet faite en violation de nombreuses
règles, à commencer par celle qui nécessite
l’accord de la fondation charitable qui a
jadis fait don du terrain, en théorie inalié-
nable. Or celle-ci n’a pas été consultée. Le
gouvernement de l’Etat du Maharashtra,

dont Mumbai est la capitale, tentera bien
de s’opposer au projet de Mukesh Ambani.
Mais il sera débouté devant la Haute Cour,
l’entrepreneur ayant entre-temps trouvé
un accord avec la fondation religieuse,
moyennant, bien sûr, une belle indemnité
financière. En 2008, les travaux d’Antilia
peuvent enfin commencer. Ils s’achèvent
deux ans plus tard, l’année même où
Mukesh Ambani parvient enfin à un
accord avec son frère Anil.

Immeuble hors normes
Le résultat? Un édifice extravagant de
27 étages qui culmine à 173 mètres de hau-
teur et dont le poids équivaut à un immeu-
ble de 60 étages! Tout est hors normes à
Antilia. A commencer par la conception
des étages eux-mêmes – ils sont tous diffé-
rents et ne sont pas agencés de la même
façon – et les matériaux : tout est en mar-
bre, et le bois précieux utilisé pour les huis-
series ne l’a encore jamais été dans l’his-
toire de l’architecture. Le reste est à
l’avenant.
Les six premiers étages peuvent abriter
200 voitures, dont les 168 véhicules de col-
lection appartenant au maître des lieux.
Un atelier de réparation – avec ses mécani-
ciens – et une station-service ont même été
prévus. Quatre autres étages sont entière-
ment occupés par des jardins suspendus et
un encore par un hôpital privé équipé du

Antilia, la folie de Mukesh Ambani


Tour privée de 27 étages édifiée en plein cœur de Mumbai, cette folie immobilière du patron de Reliance Industries


a été classée « résidence la plus chère au monde » par le magazine « Forbes ». Couvrant 37.000 mètres carrés au sol,
elle culmine à 173 mètres de hauteur et dispose de sa propre centrale électrique.

matériel le plus récent. Le bâtiment abrite
également quatre piscines – dont une
olympique –, un spa et un centre de
« fitness » dernière génération, une salle à
manger copiée sur celle d’un grand hôtel
new-yorkais, une salle de réception et de
bal, une dizaine de salons, un théâtre de
50 places, une salle de cinéma avec écran
géant, un temple privé, et trois héliports
aménagés sur le toit!
Antilia comprend en outre 29 suites
pour les invités et dispose de sa propre cen-
trale électrique! Les quatre derniers éta-
ges, qui permettent de « voir le soleil »
comme le dira Mukesh Ambani, sont
réservés à l’entrepreneur, sa femme et
leurs deux enfants. Ils offrent une vue
imprenable sur la mer d’Oman. L’ensem-
ble est desservi par neuf ascenseurs. Quant
au fonctionnement d’A ntilia, il est assuré
par... 600 personnes! Seule note de modé-
ration dans cet étonnant étalage de luxe et
de fantaisie : on ne sert, à Antilia, ni viande


  • Mukesh et sa famille sont en effet végéta-
    riens – ni alcool.


Mariage à 100 millions de dollars
Vu de loin, Antilia, avec son architecture
tout de verre et d’acier, ressemble à un
empilement de terrasses. Si l’objectif de
l’entrepreneur était de faire parler de lui,
c’est plutôt réussi. Mais pas forcément
comme il l’imaginait. Si une partie de la
« rue indienne » ne cache pas sa fascina-
tion – et même parfois sa fierté – devant
l’étalage d’une telle richesse, les pairs du
patron de Reliance se montrent plutôt

critiques. Président de Tata Group, le très
respecté Ratan Tata stigmatise ainsi un
« manque total d’empathie pour les plus
démunis », invitant Mukesh Ambani « à
regarder autour de lui la réalité dans laquelle
vivent la très grande majorité des Indiens ».
« Jamais Dhirubhai Ambani se serait ainsi
coupé de la ville où il travaillait et habi-
tait », prétendent de leur côté ceux qui ont
bien connu le fondateur de Reliance. Des
polémiques éclatent également concer-
nant les trois héliports d’Antilia, des instal-
lations normalement interdites sur les
toits des immeubles de Mumbai.
Mukesh Ambani ne paraît guère s’être
ému de ces polémiques. Il semble même
avoir pris goût aux pages des magazines
people et à la publicité faite autour de sa
personne. En décembre 2018, il a ainsi
dépensé 100 millions de dollars pour le
mariage de sa fille avec le fils d’un grand
capitaine d’industrie. La cérémonie a été
célébrée dans sa tour de 27 étages en pré-
sence notamment d’Hillary Clinton et de
Beyoncé. Un événement dont la presse a
fait des gorges chaudes et que n’aurait pas
renié son frère Anil... Il était d’ailleurs
présent.

Le bâtiment abrite quatre
piscines, un spa et un
centre de « fitness », une
salle de réception et de bal,
une dizaine de salons,
un théâtre de 50 places,
une salle de cinéma avec
écran géant, un temple
privé, et trois héliports
aménagés sur le toit!

U


n milliard de dollars, peut-
être même deux! C’est la
somme proprement pharao-
nique, dépensée par le mil-
liardaire indien Mukesh
Ambani, pour édifier sa tour privée de
27 étages en plein cœur de Mumbai,
l’ancienne Bombay. « Antilia » – tel est le
nom de cette véritable folie, inspirée d’une
île mythique des Antilles – a été classée
« résidence la plus chère au monde » par le
magazine « Forbes ». Couvrant
37.000 mètres carrés au sol – soit une
superficie équivalente à celle du château de
Versailles –, c’est aussi la plus grande... Il est
vrai qu’avec une fortune de 44 milliards de
dollars – ce qui fait de lui l’homme le plus
riche et la 13e fortune mondiale –, le patron
du groupe Reliance Industries a les
moyens de voir grand...
Lorsqu’il commence à mettre en œuvre
son projet, en 2005, Mukesh Ambani est en
plein conflit avec son frère Anil. Une lon-
gue guerre fratricide, dont l’enjeu n’est rien
de moins que la prise de contrôle du
groupe créé par leur père, l’emblématique
Dhirubhai Ambani. Celle-ci a commencé
en 2002 à la mort de ce dernier. A ses deux
fils, ce fils d’instituteur, qui s’est lancé dans
les affaires en 1958, laisse un gigantesque
conglomérat de 15 milliards d’euros de
chiffre d’affaires.
Spécialisé initialement dans l’importa-
tion de fibres de Nylon et l’exportation
d’épices depuis Aden, Reliance – « con-
fiance » en anglais – est devenu au fil des
années un groupe très diversifié présent
dans le textile, le pétrole, le gaz, la pétrochi-
mie, les services collectifs, les télécommu-
nications, l’assurance, la banque, et même
la production de denrées agricoles. Aîné
des deux fils, Mukesh, né en 1957 et tout
juste diplômé de l’université Stanford aux
Etats-Unis, y est entré dès 1981, suivi, deux
ans plus tard, de son frère Anil. En 1986,
Dhirubhai Ambani a confié à Mukesh la
stratégie, le pilotage des grands projets de
croissance et les opérations de diversifica-
tion, Anil héritant pour sa part des investis-
sements, des activités financières et de la
communication.


Le vieil entrepreneur est-il conscient
qu’en confiant à l’un de ses fils la stratégie et
les projets d’avenir et à l’autre les investisse-
ments au quotidien, il crée les conditions
du conflit entre les deux hommes? Sans
doute pas. Tout distingue pourtant
Mukesh de son frère. Alors que le premier
est sérieux au point de paraître un peu
terne et ne vit que pour les affaires, le
second est extraverti et n’aime rien tant que
les mondanités, les célébrités et la vie noc-
turne. On le voit régulièrement au bras des
actrices de Bollywood ; il finira d’ailleurs
par en épouser une. Les deux frères
s’entendent mal, la présence du vieux Dhi-
rubhai évitant pour l’heure que leur
mésentente s’expose publiquement.
Tout change en 2002. Le conflit qui


Tout distingue Mukesh


de son frère. Alors que


le premier est sérieux


au point de paraître un peu


terne et ne vit que pour


les affaires, le second est


extraverti et n’aime rien


tant que les mondanités,


les célébrités


et la vie nocturne.


parTristanGaston Breton
illustration :Pascal Garnier

6
Vendredi La maison mystérieuse
de Sarah Winchester

SÉRIED’ÉTÉ

8/ (^19) RÊVES DE MILLIARDAIRES 8/ 19

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