MONDE
D
ans son chariot, l’équivalent
de trois mois de papier toi-
lette, d’huile, de farine et
d’herbe à maté, cette infusion né-
cessaire à la survie de tout Argentin
qui se respecte. Angela plaisante:
«Je n’ai pas de quoi acheter des dol-
lars, alors je fais ce que je peux : des
stocks. Tous ces produits de base ne
vont pas tarder à augmenter consi-
dérablement.» Ceux qui peuvent en
ont acheté, de ces dollars qui ven-
drediencorevalaient45pesosetqui
en ce lundi noir ont culminé
à 60. Et pour ceux qui n’ont
pas accès aux banques ou ne
souhaitent pas passer par elles, la
rue a fait payer jusqu’à 69 pesos le
billet vert, si convoité et redouté.
Cela peut paraître paradoxal mais
c’est ainsi: lorsque leur monnaie
chute, les Argentins qui le peuvent
acquièrent des dollars, un dispen-
dieux refuge face à un futur incer-
tain. Demain, après-demain, il sera
encore plus cher, et avec lui c’est
tous les prix qui flamberont: du cré-
dit immobilier, qui a déjà plongé des
dizaines de milliers d’Argentins
dans la faillite (lire Libération du
10 août) jusqu’au papier toilette.
Avec une inflation qui frôle déjà les
50 % annuels, les Argentins
n’avaient pas besoin de ça. Lundi, la
main invisible des marchés finan-
ciers a violemment souffleté l’éco-
nomie argentine, la laissant groggy:
le peso a été dévalué de près de 30%
en quelques heures seulement mal-
gré un taux d’intérêt rehaussé en
catastrophe à 73%, un piteux re-
cord. Les valeurs boursières ont dé-
gringolé de 60%.
SAUF COUP TORDU
Cette violente réaction des marchés
est due aux résultats des élections
primaires, qui se sont tenues di-
manche. Pour certains analystes, il
s’agit d’une panique, pour d’autres
d’une punition pour avoir
«mal voté». Pourtant, ces pri-
mairesquin’ensontpasvrai-
ment, puisque chaque parti n’y pré-
sentait qu’un seul ticket
présidentiel, s’annonçaient plutôt
ennuyeuses: une répétition géné-
rale du scrutin du 27 octobre, visant
à départager quelques listes de dé-
putés de province et à écarter tout
candidat rassemblant moins de
1,5% des voix. Tous les sondages le
clamaient à l’unisson: le président-
candidat Mauricio Macri allait être
battu de deux points, peut-être trois
par son opposant péroniste Alberto
Fernandez. Rien qui ne puisse être
mis sur le compte de l’usure du pou-
voir, rien d’irrattrapable en mettant
un coup de collier avant octobre. On
Par
MATHILDE GUILLAUME
Correspondante à Buenos Aires
RÉCIT
Argentine
Le peso dégringole,
la rue s’affole
A deux mois de la présidentielle, la victoire
aux primaires du péroniste de gauche Alberto
Fernández a déclenché une nouvelle crise.
Inquiets, les habitants stockent des denrées
de base ou, s’ils le peuvent, achètent des dollars.
Un bureau de change à Buenos Aires, lundi. Les dollars qui, vendredi encore, valaient 45 pesos ont culminé ce jour-là à 60.PHOTO FEDERICO ROTTER. NURPHOTO
6 u Libération Mercredi^14 et Jeudi^15 Août^2019