LIBÉRATION DE LA PROVENCE
mercredi 14 et jeudi 15 août 2019 / La Marseillaise XI
Dès l’annonce du
débarquement, la Résistance
s’organise en entraînant derrière
elle la population. La
mobilisation pour contrer
les troupes allemandes
est visible autant dans
les entreprises que sur les
barricades jusqu’à la victoire.
L
ibérée à J+13 alors que les plans
le prévoyaient 27 jours plus tard!
À Marseille, dès la nouvelle du
débarquement connue, la Résistance
s’interroge sur la conduite à tenir. Mais
très vite, la voie de l’insurrection l’em-
porte. Simon Sabiani, l’homme fort des
Allemands et des collabos dans la ville,
a déjà entamé une fuite qui l’entraîne-
ra en Allemagne, en Amérique du Sud
et en Espagne. Nombre de collabora-
teurs les plus notoires suivent son exem-
ple. Les forces allemandes se barrica-
dent à Notre-Dame-de-la-Garde, au Cap
Janet, au fort Saint-Nicolas et dans l’ar-
chipel du Frioul qui devra être longue-
ment bombardé avant de se rendre. Les
meilleures troupes sont placées aux
« entrées » de la ville : à l’est, la vallée
de l’Huveaune, à partir d’Aubagne et
au nord au col de Septèmes-les-Vallons.
Grève générale à l’appel
de la CGT
Le 19 août, la CGT appelle à une grève
générale insurrectionnelle pendant
que des groupes FTP-MOI se répandent
en ville et bloquent les transports, dont
la gare Saint-Charles. Des membres des
milices patriotiques attaquent des pa-
trouilles allemandes un peu partout
dans la ville. Ils récupèrent également
des armes dans les commissariats. De
fait, quelques centaines de combattants
plus ou moins organisés entraînent la
population derrière eux dans l’insur-
rection. Le 21 août, la préfecture est oc-
cupée de l’intérieur par des Résistants
rejoints par des manifestants mal ar-
més. Le Comité Départemental de
Libération s’y installe. Des barricades
sont dressées place Castellane où vont
avoir lieu des combats très meurtriers
face à des occupants surar més. Les
Allemands coulent des bateaux dans
les entrées de ce port stratégique et dy-
namitent les piliers du Pont
Transbordeur.
Dans le même temps, l’avant-garde
de l’armée française fait sauter le ver-
rou d’Aubagne et atteint les faubourgs
de Marseille le 22 août avant d’y pénétrer
le lendemain pour des combats unis-
sant résistants et soldats qui vont du-
rer jusqu’au 28. De nombreux résistants
meurent dans ces combats. Le général
de Monsabert outrepasse les ordres de
son supérieur de Lattre et entre dans
la ville.
« En amenant son armée vers Marseille,
Monsabert nous a tiré une belle épine du
pied », racontait Jean Comte, alias Lévis,
chef départemental des Mouvements
Unis de la Résistance à 22 ans après
avoir fait partie du mouvement Combat.
« La différence d’armement était trop
forte pour que nous puissions tenir plu-
sieurs jours. Il y avait des barricades et
des affrontements un peu partout. On ne
savait plus qui tirait sur qui. Mon PC
était installé au lycée Michelet, et sans
téléphone ni aucun moyen de communi-
cation, la coordination était aléatoire.
Mon adjoint a été blessé, je lui ai fait un
garrot, je l’ai transporté jusqu’à notre
infirmerie, et finalement sa jambe a été
sauvée. Le 23 août, nous avons vu l’ar-
mée française arriver en plein centre-
ville, entourée de haies de spectateurs en
délire. Les soldats marchaient le long
des murs, en deux colonnes de part et
d’autre de la rue, l’arme à la bretelle. Les
combats ont continué plusieurs jours,
notamment pour la prise de Notre Dame
de la Garde. » D’autres témoignages
parlent des soldats tués sur la Canebière.
Après un périlleux mouvement à tra-
vers les collines, et notamment le pi-
lon du roi, le 7
e
Tirailleurs Algériens
avait en effet réussi à contourner l’ar-
mée allemande et à rentrer dans la ville
sans trop de résistance. L’accueil est
incroyable : « Le bataillon des Tirailleurs
Algériens qui pénétra le 23 août dans
Marseille se laissa aspirer par la foule mé-
ridionale », note De Lattre. Pendant ce
temps, l’armée française est chargée
de réduire les défenses allemandes,
d’Aubagne à Septèmes-les-Vallons. Face
à des troupes allemandes aguerries,
c’est là qu’auront lieu les combats les
plus furieux, l’objectif des Allemands
étant de tenir le plus longtemps possi-
ble dans le port et de terminer les des-
tructions.
« Dès la nouvelle du débarquement
connue, le rôle de la résistance provençale
a été d’entraver le plus possible les mou-
vements allemands », rappelle Michel
Caciotti, ancien responsable de la CGT
clandestine et combattant FTP à 17 ans,
avant d’être blessé d’une balle dans le
ventre dans les Alpes, où il combattait
dans les rangs du bataillon La
Marseillaise. « Et ce, autant dans les en-
treprises que sur les barricades. Les che-
minots ont fait sauter des voies, on chan-
geait les poteaux de directions... Avec
mon groupe de FTP, nous étions instal-
lés dans une brasserie du haut de la
Canebière. Notre mission était d’atta-
quer les camions allemands, en faisant
le plus de dégâts possible. Puis, nous
avons participé à divers combats sur
des barricades, place Castellane, à la
Porte d’Aix... J’ai installé ensuite notre
QG à la Belle de Mai, où nous avons fait
notre jonction avec l’armée régulière. »
Défilé de la victoire
sur la Canebière
« C’est une armée du peuple, extrême-
ment républicaine, qui s’est soulevée con-
tre les Allemands », retraçait Edmonde
Charles-Roux, alors infirmière pour la
Résistance, qui rejoindra ensuite le
quartier-général du général de Lattre
et le suivra jusqu’à l’occupation de
l’Allemagne. « À ce moment-là, Marseille
mourrait littéralement de faim. Les com-
bats ont été difficiles, et nous étions angois-
sés par la disproportion des forces, d’au-
tant que l’armée française était loin.
Marseille n’est pas tombée comme un
fruit mûr. Quand nous l’avons prise,
nous avons trouvé une prison à la pré-
fecture, avec des prisonniers très abîmés.
Cela a été un moment terrible. »
Les combats vont se poursuivre jus-
qu’au 28 août, notamment sur la colline
de Notre-Dame-de-la-Garde jusqu’à la
prise de la basilique où comme un si-
gnal flotte désormais le drapeau trico-
lore. Le char Jeanne d’Arc, toujours vi-
sible sur les lieux, est lui touché par un
obus lors de l’assaut.
Finalement, les garnisons alleman-
des se rendent les unes après les autres,
et le 28 au matin, le général Schaefer
commandant les troupes de Marseille ac-
cepte les clauses de la capitulation. Dès
le lendemain, l’armée française va oc-
cuper la Canebière et le Vieux-Port pour
un défilé de la victoire dans une am-
biance délirante.
M.B.
Marseille insurgée et
en armes hâte sa Libération
Malgré les durs combats, réunissant résistants et soldats, et laissant de
nombreuses victimes, le 28 août c’est le soulagement pour les Marseillais.
PHOTOS DR ET JULIA PIROTTE