Les Echos - 19.08.2019

(avery) #1

lLa place financière asiatique,


pilier économique du territoire,


sort d’une décennie de boom.


lLes manifestations, sur fond de


ralentissement économique, risquent


de faire dérailler cette dynamique.


Hong Kong : la finance en état d’alerte

Thibaut Madelin
@ ThibautMadelin
Laurent Thévenin
@ laurentthevenin
Etienne Goetz
@ etiennegoetz


Après onze semaines de manifes-
tations à Hong Kong, les banques
commencent à s’inquiéter pour
les perspectives de ce centre
financier de premier rang. Avec
son accès privilégié au marché
chinois et asiatique, qui a connu
un boom ces dernières années,
mais sans les contraintes du
régime communiste, l’ancienne
colonie britannique a longtemps
été une vache à lait.
La situation est de plus en plus
tendue. Après le blocage de l’aéro-
port, les appels de manifestants à
retirer leur argent aux distribu-
teurs ou à le convertir en dollars
américains se sont multipliés à
Hong Kong, afin de créer une
panique bancaire ou « bank-run »
en anglais. Les banques étant pré-
parées, les effets devaient rester
limités.
Mais les c ontestations i nédites
risquent de faire dérailler une
dynamique d éjà fragilisée par un
contexte de tensions commer-
ciales sino-américaines et de
concurrence croissante des ban-
ques chinoises. Vendredi, l’admi-
nistration de Hong Kong a nette-
ment réduit sa prévision de
croissance pour cette année :
d’une échelle de 2 à 3 % à un
rythme supérieur à 0 %.


Recul des banques
en Bourse

Pilier économique du territoire
avec plus de 250.000 employés, la
finance est en première ligne.
HSBC, la banque britannique née
à Hong Kong, a vu son cours recu-
ler de 13 % en trois semaines. BOC
Hong Kong Holdings a baissé de
12 % depuis le début du mois.
« Nous voyons de plus grands ris-
ques concernant les bénéfices des
banques de Hong Kong
», écrivent
les analystes de Citigroup.
« Est-ce que nous nous atten-
dons à un impact
[des manifesta-
tions, NDLR] au second semestre,
s’est interrogé, le 5 août, Ewen
Stevenson, directeur financier
d’HSBC. Oui, inévitablement, il y
en aura un. »
Les effets possibles
sont multiples, allant de la baisse
des crédits vers la Chine à la fuite
d’une nouvelle clientèle fortunée
chinoise, cible privilégiée des
grandes banques privées.
Les analystes d’UBS observent
des effets concrets sur le marché
de l’immobilier professionnel.
Ils ont constaté des « suppres-
sions d’emplois dans la banque


PROTESTATIONS


troisième place, notamment
grâce à une forte dynamique
dans les introductions en Bourse
de sociétés chinoises.

Quatrième sur le marché
des changes
Sur les devises, le plus grand
marché au monde où s’échange
quotidiennement la somme
astronomique de 5.100 mil-
liards de dollars, Hong Kong
est quatrième au coude-à-
coude avec Singapour. Selon la
dernière étude triennale de la
Banque des règlements inter-
nationaux, il s’échange en
moyenne tous les jours à Hong
Kong l’équivalent de 437 mil-
liards de dollars, contre

517 milliards à Singapour. New
York (1.272 milliards) et Lon-
dres (2.406 milliards) se
situent loin devant.
Hong Kong a longtemps été
l’unique porte d’entrée vers l’ex-
empire du Milieu. Mais la Chine
continentale s’ouvre de plus en
plus au reste du monde. Le mar-
ché londonien et celui de Shan-
ghai sont par exemple connec-
tés, permettant à des sociétés de
la Bourse chinoise d’être égale-
ment cotées dans la capitale bri-
tannique. L’internationalisation
des marchés boursiers chinois a
par ailleurs franchi un autre cap
important avec l’intégration des
actions A dans l’indice MSCI
Emerging Markets. — E. Go.

La troisième place financière au monde


De la guerre de l’opium à son
transfert à la Chine, Hong Kong
est resté l’un des points du négoce
mondial les plus importants.
Aujourd’hui, la cité-Etat est la
troisième place financière au
monde après New York et Lon-
dres, selon le Global Financial
Centres Index, une référence
dans le secteur sur la compétiti-
vité des places. L’ex-colonie bri-
tannique talonne même Londres.
La performance de la place de

La cité-Etat
est au coude-à-coude
avec Londres pour être
la deuxième place
financière mondiale,
derrière New York.

Hong Kong est toutefois variable
selon la classe d ’actifs concernée.
Pour les actions, elle se situe à la
quatrième place derrière le
Japon. Les soubresauts de la
guerre commerciale entre Pékin

et Washington ayant lourde-
ment fait chuter la capitalisation
boursière hongkongaise, à
4.863 milliards de dollars. Au
printemps, le centre financier
avait pourtant ravi à Tokyo la

Pour les actions,
Hong Kong se situe
à la quatrième place
derrière le Japon.

Po ur les établissements financiers
occidentaux présents à Hong
Kong, les manifestants leur impo-
sent un exercice d’équilibriste :
soutenir leur cause pro-démocra-
tie de manière trop visible risque-
rait de les mettre en porte-à-faux
vis-à-vis de Pékin, dont ils cher-
chent les faveurs pour se renforcer
sur le marché chinois ; interdire à
leurs employés de manifester ris-
querait, au contraire, de les mettre
en contradiction avec leurs pro-
pres valeurs et de s’aliéner une
partie de leur personnel local.
« Nous laissons à chaque
employé la liberté de faire ce qu’il
veut, dès lors qu’il ou elle est en con-

formité avec la loi », souligne une
banque française, qui préfère res-
ter anonyme. Lors de la grève géné-
rale du 5 août, les salariés grévistes
ont dû poser un jour de congé.
Pour les établissements français, la
question est tout sauf théorique.
BNP Paribas emploie 2.500 sala-
riés à Hong Kong, Société Générale
et AXA plus de 1.000.
Sur le plan purement pratique,
la plupart ont mis en place des
mesures de télétravail ou
demandé à leurs salariés de
repousser des déplacements qui
peuvent attendre. Au-delà, l’enjeu
est stratégique. Troisième place
financière mondiale, Hong Kong
est un foyer de résultats qui com-
pense, en partie, les difficultés
qu’ils éprouvent sur leurs mar-
chés domestiques européens,
malgré certains nuages récents.

Mais à l’instar de la compagnie
aérienne Cathay, dont le patron a
démissionné vendredi suite aux
pressions de Pékin, elles doivent à
la fois préserver leur assise à Hong
Kong et ne pas insulter leur avenir
sur le marché chinois g éant, censé
s’ouvrir davantage aux étrangers.

Le précédent UBS
Société Générale a ainsi réalisé u n
produit net bancaire (l’équivalent
du chiffre d’affaires) de 760 mil-
lions d’euros sur le territoire l’an
dernier, pour un résultat avant
impôt de 410 millions, contre res-
pectivement 60 et 18 millions en
Chine. BNP Paribas réalise un
produit net bancaire de 720 mil-
lions d’euros à Hong Kong, contre
163 millions en Chine. Avec sa
filiale AXA Tianping, qu’il con-
trôle désormais à 100 %, AXA
engrange 1 milliard d ’euros de pri-
mes en Chine mais comptabilise
3,3 milliards de chiffre d’affaires à
Hong Kong.

Alors que les manifestations
durent depuis onze semaines, les
établissements gardent en tête
les déboires d’UBS, contraint de
suspendre en juin dernier son
économiste en chef monde, criti-
qué après avoir tenu des propos
maladroits sur la peste porcine
en Chine. Les excuses de la ban-
que suisse n’avaient pas suffi à
calmer l’un de ses c lients c hinois,
Haitong International Securities
Group, qui avait menacé de rom-
pre ses relations commerciales
avec elle.
— T. M.

L’exercice d’équilibriste de la finance française


dans la cité-Etat


Les grandes banques
et assurances françaises
sont fortement implantées
sur le territoire,
mais ne veulent pas
mettre en danger
leurs perspectives
sur le marché chinois.

ANAL YSE


760

MILLIONS D’EUROS
Le chiffre d’affaires de Société
Générale à Hong Kong,
contre 60 millions d’euros
réalisés en Chine.

d’investissement, un ralentisse-
ment de la croissance des entrepri-
ses chinoises et une fuite de capi-
taux de Hong Kong, malgré un
taux de vacance faible au centre ».
Dans la presse, on peut lire que le
rival asiatique Singapour serait
en train d’en profiter.
Selon Bloomberg, plusieurs
entreprises chinoises sont par
ailleurs en train de revoir leurs
projets d’introductions en
Bourse à Hong Kong et envisa-
gent de se rabattre sur New York.
« L’instabilité sociale et politique a
eu un effet sur la perception des
gens », a déclaré à l’agence de
presse David Cho, associé au
cabinet d’avocats Dechert LLP à
Hong Kong.

L’assurance aussi touchée
Le secteur de l’assurance est lui
aussi touché. Selon le « South
Morning China », le mouvement
de protestation aurait des réper-
cussions sur l’activité. Les ventes
d’assurance auraient chuté de 10
à 20 % au cours des deux der-
niers mois, d’après Altruist
Financial Group, un intermé-
diaire d’assurances cité par le
quotidien. Celles-ci auraient été
plombées par la baisse du nom-
bre de visiteurs venus de Chine
continentale, qui sont de gros
acheteurs de contrats d’assuran-
ce-vie ou santé.
« Nous n’avons pas constaté
d’impact sur nos ventes en juillet,
qui sont restées s ur leur trajectoire
de croissance positive, mais, bien
sûr, nous surveillons l’évolution
[de la situation, NDLR] au jour le
jour » , a affirmé de son côté
l’assureur britannique Pruden-
tial le 14 août, lors de la présenta-
tion de ses résultats semestriels.
Ping An, le premier assureur chi-
nois par la capitalisation bour-
sière, a, lui déclaré vendredi qu’il
continuait « de croire en Hong
Kong comme une plate-forme
importante ». « Cette année, nous
avons encore davantage de compa-
gnies à Hong Kong que l’an der-
nier » , a déclaré à Reuters l’une de
ses dirigeantes.

(


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« No us voyons
de plus grands
risques concernant
les bénéfices
des banques
de Hong Kong. »
LES ANALYSTES
DE CITIGROUP

FINANCE & MARCHES


Les Echos Lundi 19 août 2019

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