LE TEMPS LUNDI 19 AOÛT 2019
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C
lassique. Vêtu d’un costume
gris à carreaux, d’une chemise
blanche et de chaussures
noires, Alain Dehaze n’a rien
d’un patron excentrique. Mais
son petit luxe, sa petite liberté,
c’est l’absence de cravate. Y
a-t-il définitivement renoncé?
«Cela dépend des situations»,
précise-t-il dans un sourire
sincère, mais qu’il semble affi-
cher en toutes circonstances. Contraire-
ment à ce que cette
réponse pourrait lais-
ser penser, le direc-
teur général d’Adecco
n’est pas Normand.
De nationalité belge,
le patron du numéro
un mondial du place-
ment de personnel porte encore parfois
cet apparat autour du cou. Mais les occa-
sions se font de plus en plus rares. «La
tenue que l’on porte envoie un message.
Et aujourd’hui, l’authenticité compte
davantage que par le passé.»
C’est valable pour lui, mais c’est aussi ce
qu’il observe dans le monde du travail,
dont il scrute évidemment les transfor-
mations avec attention. Mais en termes
de changements, il y a plus systémique que
l’évolution des codes vestimentaires.
L’union de la tech et du talent
Cette révolution, Adecco, 34 000 employés
et 1 million de personnes placées chaque
jour, y est confronté au quotidien. Plus
personne ne peut le contester, la numéri-
sation massive de l’économie provoque de
profonds bouleversements. Des pans
entiers de compétences sont désormais
réalisables par des robots et des algo-
rithmes. Et la maturation de l’intelligence
artificielle (IA) amplifie encore le mouve-
ment. «Le défi, ce n’est pas la technologie,
c’est la transition technologique, balaie
Alain Dehaze. Mais même si tout s’accélère
aujourd’hui, les gens ont besoin de temps
pour s’adapter, il faut une génération pour
digérer des changements d’une telle
ampleur... Un exemple: aucun de mes
quatre enfants ne va plus à la banque.»
Mais, contrairement à d’autres, il ne faut
pas compter sur lui pour s’inquiéter des
effets de cette nouvelle révolution indus-
trielle. L’IA et ses dérives potentielles?
«Quand l’électricité est arrivée, elle a per-
mis de travailler de nuit. Il y a eu des excès,
mais on a fini par réglementer cette nou-
velle donne. Il se passera la même chose
avec l’IA. Elle va nous ouvrir de nouveaux
pans industriels.»
On l’a compris, Alain Dehaze, 56 ans, dont
vingt années de carrière dans les ressources
humaines et le recrutement, est plutôt de
ceux qui se réjouissent de la numérisation.
«La technologie permet d’amplifier le
talent. Et elle-même est amplifiée par le
talent.» Un slogan?
Non, un credo. Evidem-
ment, son métier, c’est
de proposer les bons
profils à ses clients, les
employeurs en quête
de compétences. La
formation continue,
l’employabilité, c’est donc son modèle d’af-
faires. Et, à titre un peu plus personnel, c’est
même son mantra. «On perd 40% de nos
compétences tous les trois ans. En dix ans,
si on ne fait rien, on devient obsolète!»
«Des acteurs de la vie locale»
Voilà pour les paroles. Pour les actes, Alain
Dehaze, qui vient de terminer son mandat
à l’Organisation internationale du travail
(OIT) en tant que membre de la Commission
mondiale sur le futur du travail, milite pour
que la formation soit considérée comme un
investissement en capital, et non plus
comme des charges. Concrètement, cela
implique que le traitement fiscal soit allégé
pour les entreprises. Le Belge imagine aussi
la création d’une sorte de 4e pilier dédié à
la formation. Un fonds dans lequel, à l’image
du système de prévoyance, employés et
employeurs cotisent et qui sert à financer
la mise à niveau systématique de tous les
travailleurs. Alain Dehaze a également
passé trois ans à la tête du Global Appren-
ticeship Network (GAN). «Il y a désormais
16 pays qui ont mis en place un système
d’apprentissage semblable à celui de la
Suisse», se félicite-t-il.
Cet engagement, Alain Dehaze l’estime
nécessaire. Et plus que jamais dans l’air
du temps. Quand on lui fait remarquer que
le grand public ne connaît plus les grands
directeurs du pays, il se dit surpris. «La
société, plus qu’auparavant, a besoin de
patrons qui soient acteurs de la vie sociale,
économique et politique.»
Pourtant, Alain Dehaze doit le concéder,
il passe plus de temps à l’étranger que dans
son pays d’adoption. Un ratio de 60/40,
précise-t-il sans hésiter, comme s’il s’agis-
sait d’une règle qu’il s’est imposée. Mais
deux jours par semaine en Suisse, c’est
déjà beaucoup, poursuit-il. «Nous ne réa-
lisons que 2% de notre chiffre d’affaires
mondial ici.» Il est désormais domicilié à
Zurich, où il vient d’acheter une maison.
Mais c’est la deuxième fois qu’il vit en
Suisse. A la fin des années 1980, il a tra-
vaillé pour Henkel, à Pratteln. Sa fille est
d’ailleurs née à Soleure. Et ce n’est pas son
seul attachement à ce pays, dont il s’est
amouraché. «La Suisse est très mûre, mul-
ticulturelle et très moderne dans son sys-
tème. Avec sa démocratie directe, elle est
à l’avant-garde. On le voit aujourd’hui, les
nouvelles générations ne veulent plus seu-
lement accepter, ou non, ce qu’on leur
propose. Elles veulent participer à l’éla-
boration des mécanismes. Ma femme et
moi apprécions beaucoup ces valeurs.»
Le patron d’Adecco, citoyen belge
qui s’est amouraché de la Suisse,
est un des plus grands ambassadeurs
du système d’apprentissage.
Il milite aussi en faveur d’un 4e pilier
pour financer la formation
SERVAN PECA t @servanpeca
Alain Dehaze,
la tête
de l’emploi
LES GRANDS DU SMI (1/5)
Salaire: 2,5 millions de francs
En poste depuis: 4 ans
Evolution de l’action: -18,57%
Nombre d’employés: 34
Alain Dehaze: «On perd 40% de nos compétences tous les trois ans. En dix ans, si on ne fait rien, on devient obsolète!» (DOMINIC BÜTTNER POUR LE TEMPS)
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