LUNDI 19 AOÛT 2019 LE TEMPS
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Il n’a pas exprimé d’in-
térêt pour ce portrait.
Ses séances de photos
sont un supplice. Et le
questionnaire de Proust
auquel Le Temps avait
tenté de le soumettre
l’année dernière s’est
révélé totalement
dépourvu de sponta-
néité. Mark Schneider
(bientôt 54 ans) n’est pas du genre à se livrer.
Encore moins à improviser.
Le directeur opérationnel de Nestlé
(308 000 employés) n’est pas de ceux dont on dit
qu’ils sont nés pour commander. Chez lui, le
charisme ne semble pas inné. «C’est un directeur
qui n’a pas peur de se taire», nuance un cadre de
Nestlé. Comme lors de ce déjeuner de printemps
2018 où il avait convié la presse à l’Alimentarium
de Vevey pour y défendre la pizza allégée et les
nouveaux burgers aux lentilles, tout en établis-
sant un premier contact.
Dans sa première interview pour un média
romand, il s’était décrit dans Le Temps comme
«déterminé, constant et doté
d’un certain sens de l’hu-
mour». Les journalistes et
analystes auront rarement eu
l’occasion de vérifier cette
dernière assertion. Mais une
ancienne voisine de La Tour-
de-Peilz, où il a acquis une
villa les pieds dans l’eau, lui
concède volontiers un «humour très British, fin,
un peu pince-sans-rire».
Son style? «Il a pris soin de n’établir des liens
avec personne à l’interne, soutient un cadre de
Nestlé qui n’a pas souhaité être nommé. Il se tient
à l’écart des courtisans pour garder l’esprit clair.»
C’est évident: Mark Schneider est un métho-
dique. Il observe, apprend, tranche, puis va de
l’avant. D’abord au sein de Fresenius, le groupe
allemand spécialisé dans les soins médicaux. En
treize ans (2003-2016), il a multiplié ses ventes
par quatre et ses profits par douze. Puis à la tête
de Nestlé, où il s’est accordé quatre mois de stage
d’observation avant de prendre ses fonctions le
1er janvier 2017. Le calme avant la tempête.
La suite est connue: Nestlé se sépare de divisions
qui pèsent des milliards et licencie. Y compris en
Suisse, où tombe un tabou. Jusqu’ici, le berceau
du groupe fondé en 1866 avait toujours échappé
aux restructurations. Mais Mark Schneider manie
aussi le chéquier pour réaliser des acquisitions
stratégiques. Le tout avec une constance qui
déconcerte. En deux ans et demi, Nestlé a rema-
nié 10% de son portefeuille: 9 milliards de francs
de ventes, 10 milliards d’acquisitions.
La constance du jardinier
Il faut dire que le directeur de Nestlé sait où il
va. «C’est exactement le mandat qui m’a été attri-
bué [par le conseil administration]», ne se lasse-
t-il pas de répéter. Concrètement, le groupe se
concentre sur son cœur d’activité: nourriture et
boissons, avec un fort accent sur les produits
bios et véganes. Un mode de vie que le directeur
a lui-même adopté. S’il admet manger de la
viande une à deux fois par semaine (lors de ses
déplacements), Mark Schneider ne se déride que
pour parler de smoothies aux légumes. Quand
on est directeur de Nestlé, peut-on se laisser
influencer par son régime alimentaire? «C’est
une bonne question», lâche un porte-parole. On
s’en contentera, en se remé-
morant avec quelle légèreté
il a condamné la marque alle-
mande de charcuterie Herta
lors de la présentation des
résultats annuels en février.
A la tête d’une multinatio-
nale présente dans 190 pays,
Mark Schneider voyage
quelque 100 jours par an. Le reste du temps, il
le passe en Suisse, où il a fait ses études de
finance et d’administration (à l’Université de
Saint-Gall) et dont il vante encore les qualités de
rigueur et de ponctualité. Sa patrie de cœur reste
cependant les Etats-Unis, un pays dont il a acquis
la nationalité en 2003, après un MBA à Harvard.
«C’est un Allemand qui se prend pour un Amé-
ricain, dit un cadre de Nestlé. Ne l’appelez sur-
tout pas Ulf.» Il a en tout cas réussi à effacer son
premier prénom de toutes les communications
de Nestlé. ■ ADRIÀ BUDRY CARBÓ
En tapant le nom de
Severin Schwan sur Goo-
gle, la plupart des infor-
mations personnelles
liées à son profil
concernent son salaire.
Le patron de Roche est
connu pour être un des
dirigeants les mieux
payés de Suisse, voire
d’Europe, avec une rému-
nération annuelle de 11,7 millions de francs. Ce
chiffre lui colle à la peau. Mais au-delà du salaire,
qui est ce Germano-Autrichien de 51 ans?
Difficile d’en savoir plus.
Officiellement par manque
de temps, Severin Schwan
refuse de répondre aux ques-
tions personnelles. Son
entourage le décrit comme
un homme sérieux, affichant
une grande simplicité. Son
service de presse conseille de se référer à une
interview accordée à l’Aargauer Zeitung, publiée
en mai 2019. On y apprend notamment que le
directeur général du groupe pharmaceutique
bâlois vit à Riehen (BS) avec sa femme et ses
trois enfants et qu’il considère la Suisse comme
sa deuxième patrie.
Vélo électrique
Mais au-delà de son vélo électrique avec lequel
il se rend au travail, difficile de connaître sa
position face au réchauffement climatique.
Seule information disponible: le groupe qu’il
dirige a réduit ses émissions de CO2 de plus de
60% au cours des douze dernières années en
améliorant l’efficacité énergétique et en passant
au renouvelable. «Mais nos efforts vont bien
au-delà. Le développement durable est un élé-
ment essentiel de la stratégie. En 2018, Roche
a été nommé société pharmaceutique la plus
durable dans l’indice de durabilité Dow Jones
pour la dixième année consécutive», note le
service de presse du groupe bâlois.
Severin Schwan – aussi appelé Docteur
Schwan – a fait toute sa carrière chez Roche en
démarrant comme stagiaire au département
financier du siège à Bâle. Auparavant, le Tyro-
lien avait étudié l’économie et le droit à Inns-
bruck. Il a suivi une ascension continue, occu-
pant successivement les fonctions de chef des
finances à Bruxelles ou en Allemagne, de res-
ponsable mondial des finances et des services
de Roche Diagnostics ou de
responsable de la région
Asie-Pacifique à Singapour
pour l’entité Roche Diagnos-
tics. Sa carrière a été couron-
née, en 2008, par son acces-
sion au poste de directeur
général.
Sous son impulsion, le groupe se dirige vers
la médecine personnalisée et n’hésite pas à
débourser des milliards pour racheter à l’ex-
terne les compétences qui lui manquent, à
l’exemple de l’entreprise américaine Spark,
qui veut corriger les gènes responsables de cer-
taines maladies. Et pour faire face à l’expiration
de brevets, Roche dépense annuellement 11 mil-
liards de francs en recherche et développement.
Or, chaque année, seulement deux nouveaux
médicaments environ sont approuvés. Un
risque qui se reflète dans les marges et le prix
élevé de certains anticancéreux. ■
GHISLAINE BLOCH
Patrick Frost,
directeur général du
groupe Swiss Life,
est un Bâlois d’ori-
gine qui a toujours
été intéressé par les
liens entre les
sciences naturelles,
les mathématiques
et les perspectives à
long terme. Son
intérêt pour l’assurance était logique. «J’ai
toujours été fasciné par la capacité à prévoir
l’avenir à long terme, à le financer, à trans-
férer les risques d’assurance sur les marchés
financiers», déclare-t-il. En fait, c’est un
intellectuel qui, dans sa jeunesse, a été attiré
par le jeu d’échecs et qui a suivi par plaisir
des cours de latin, de philosophie, et même
de reconnaissance d’avions afin d’entrer
dans la défense aérienne militaire.
A 51 ans, il fête ses cinq ans à la tête du
groupe d’assurance, à l’exception des cinq
mois qui l’ont obligé à se retirer temporai-
rement pour affronter un cancer. Numéro
un de l’assurance vie, Swiss Life est le plus
grand propriétaire immobilier privé du pays,
et même d’Europe. La croissance a été la plus
forte dans cette division. Aujourd’hui,
30 milliards de francs d’actifs sont inscrits
au bilan (20% du total des actifs) et 80% des
collaborateurs de l’asset management sont
spécialisés dans la pierre. «Nous sommes
investisseurs immobiliers parce que nos
engagements sont à très long terme. Or il y
a peu d’obligations à très long terme dans
lesquelles on peut investir», affirme-t-il.
En tant que leader dans les solutions de
prévoyance, Swiss Life contribue à ce que,
en Suisse, «les gens puissent vivre une vie
autonome. C’est notre raison d’être», avoue-
t-il. Le but est d’assurer les risques finan-
ciers des gens pour qu’ils se concentrent sur
ce qu’ils peuvent faire le mieux ou le plus
volontiers, ou les
deux. «Notre contri-
bution au pays
consiste à favoriser
la division du tra-
vail», lance-t-il.
Les paramètres de
la prévoyance se
détériorent à cause
de l’espérance de vie
en hausse et des bas
taux d’intérêt.
«Nous avons besoin
d’un système
durable», dit-il. Or, aujourd’hui, le système
subventionne massivement les retraités au
détriment des actifs, à un niveau de 7 mil-
liards par an, indique-t-il.
Le plus grand chantier du pays
«En tant que premier propriétaire du
pays, nous avons une responsabilité par
rapport à la construction de ce pays. Nous
participons à son plus grand chantier, le
Circle, à l’aéroport de Zurich», indique
Patrick Frost.
Il dit assumer ses responsabilités envi-
ronnementales. «Je suis locataire et
consomme moins de surface que la
moyenne avec ma famille de cinq per-
sonnes. Nous n’occupons que 32 m² par
personne, à Zoug», avance-t-il. Patrick
Frost utilise les transports publics pour
venir au bureau, n’a pas de voiture d’entre-
prise – mais une pour la famille – et passe
ses vacances surtout dans les environs.
Swiss Life a signé les principes des
Nations unies (UNPRI), qui demandent de
respecter les critères ESG de responsabi-
lité sociale et gouvernementale dans les
placements. Le management des bâtiments
s’oriente sur une norme internationale
pour la durabilité, les standards GRESB.
Swiss Life tient à respecter les standards
Minergie, où cela a du sens, avoue Patrick
Frost. Ces dernières années, l’assureur a
maintenu la qualité de son portefeuille
immobilier et, grâce à l’entretien annuel,
il a amélioré massivement son bilan éner-
gétique, dit-il. Pour les cinq prochaines
années, Swiss Life a imposé à ses
immeubles un programme énergétique
visant à réduire les émissions de CO2 et la
consommation d’énergie d’environ 8%.
Mais cela prend beaucoup de temps, d’au-
tant qu’il est rallongé par les oppositions.
■ EMMANUEL GARESSUS
Mark Schneider, la rigueur du flexitarien
Chez Nestlé, le Germano-Américain reste
en retrait des mondanités, pour «garder
l’esprit clair» et mieux trancher dans le gras
Patrick Frost,
la passion
du long terme
Le numéro un de l’assurance vie et de
l’immobilier Swiss Life est un locataire
très conscient de ses responsabilités
environnementales
Severin Schwan, le plus célèbre des salariés
Discret, le patron germano-autrichien
du groupe pharmaceutique Roche considère
la Suisse comme sa deuxième patrie
Salaire: 9,01 millions de francs
En poste depuis: 2,5 ans
Evolution de l’action: +35,47%
Nombre d’employés: 308
Salaire:
4,25 millions
de francs
En poste
depuis: 5 ans
Evolution de
l’action: +129%
Nombre
d’employés:
8624
Salaire: 11,7 millions de francs
En poste depuis: 11 ans
Evolution de l’action: +34%
Nombre d’employés: 94
Puisqu’il en vient au jeu des valeurs natio-
nales: chocolat belge ou chocolat suisse?
«Belge, répond-il du tac au tac. Mais les
deux sont excellents.» Mais il n’a pas
hésité. ■
Demain: Gilles Andrier de Givaudan,
mystérieux comme un parfum
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