18 | DIMANCHE 11 LUNDI 12 AOÛT 2019
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Le royaume menacé
du Robinson de Franche-Comté
Il y a huit ans, Xavier Marmier a choisi
d’installer sa cabane dans une forêt du
Doubs. Un rêve écolo érigé sans permis
de construire sur une zone protégée.
La bataille judiciaire est engagée
Par Catherine Rollot
A
travers la futaie, l’esquif
suspendu se distingue à
peine, silhouette en
pointillé audessus d’une
mer d’arbres. On pense à
une cabane de chasse,
un poste d’observation pour ornitholo
gue, voire un terrain de jeu enfantin?
Rien de tout cela. Xavier Marmier en a
fait sa résidence principale. Le proprié
taire des lieux n’est ni ermite ni marginal
mais un avenant élagueur et monteur de
chapiteau, notamment pour le Cirque
Plume. L’homme aux faux airs d’Antoine
de Maximy, l’animateur de l’émission
« J’irai dormir chez vous » sur France 5, a
choisi il y a huit ans d’accrocher son logis
dans une forêt de ravins et de pentes du
Doubs, à quelques kilomètres de Cléron,
un petit village de 300 habitants au sud
de Besançon.
Loin des murs épais du château
de Cléron et de son décor de carte postale
qui se mire dans la Loue, une rivière à
truites, le royaume de Xavier tient sur un
hectare de forêt, acheté il y a une décen
nie, avec l’idée d’y vivre au plus près de la
nature. Un rêve perché et écolo – l’édifice
a été construit sans détériorer l’habitat
naturel –, aujourd’hui menacé de des
truction par une décision de justice car
érigé sans permis de construire et dans
une zone protégée.
Pour comprendre l’impérieux ap
pel de la forêt de ce Robinson de Franche
Comté, il faut crapahuter à travers un
bois de hêtres et de frênes, zigzaguer au
milieu des fougères et des asperges sau
vages, et s’accrocher pour ne pas perdre
l’équilibre. Le presque quinquagénaire
(48 ans) grimpe avec agilité le terrain,
malgré les litres d’eau douce qu’il trans
porte dans un sac à dos/citerne. « Ques
tion d’habitude », modèretil, tout en
prenant le temps d’écouter le bruisse
ment des ailes d’un oiseau de passage,
alors que l’on en profite pour reprendre
notre souffle. « Voilà, on y est. »
Sous la canopée, « la cabane »,
comme il la désigne, se détache, perchée
à plus de 7 mètres de haut. L’édifice en
bois s’enroule littéralement autour du
tronc d’un hêtre septuagénaire, dont la
cime culmine à plus d’une vingtaine de
mètres. L’accès se fait par un pont de
singe, sécurisé par une petite corde qui
sert de main courante. Posée sur un pla
teau, bordée par une terrasse sans garde
corps, la cabane propose alors une pièce
principale baignée de lumière grâce à de
grandes baies vitrées. A l’étage, une
chambre spacieuse. Au total, près de
30 m^2 , décorés dans un style campagnard
avec des meubles chinés chez Emmaüs.
Toute la maison a été construite
par Xavier Marmier, « à part les fenêtres
en double vitrage », et avec des matériaux
de récupération. Du bois essentielle
ment, dans un respect absolu de l’envi
ronnement. Pas de raccordement à l’eau
ni à l’électricité. Un panneau solaire as
sure l’énergie pour recharger les LED des
lampes et la batterie des téléphones
portables, préférés aux ordinateurs trop
gourmands. L’eau potable n’est pas à
portée de robinet, mais à quelques kilo
mètres de là, à une source. Disposés un
peu partout, citernes et arrosoirs récupè
rent l’eau de pluie, qui servira à la vais
selle ou, une fois filtrée, à la cuisine. Une
gazinière branchée sur une bouteille de
butane, des toilettes sèches, pas de dou
che mais un baquet et des heures de tra
vail pour couper et monter jusqu’à la ca
bane les cinq stères de bois issus de son
terrain, qui lui assureront le chauffage
pendant tout l’hiver.
Des conditions de vie spartiates
partagées depuis quelques années avec
sa compagne Line Ruelle, 45 ans, anima
trice commerciale dans les grandes sur
faces de la région. A les entendre, l’ab
sence de réfrigérateur ou de machine à
laver pèse peu face au bonheur de tu
toyer les étoiles et « d’avoir pour seuls voi
sins aux alentours, loirs, martres ou fau
cons pèlerins. » Si par temps calme, la ca
bane a les charmes rustiques d’un
sanctuaire végétal, les jours de bourras
que, elle prend des allures de navire dans
la tempête, tanguant à l’unisson des
branches qui la supportent. Pas de quoi
affoler le propriétaire des lieux, qui re
connaît pourtant que « son mode de vie
n’est pas à la portée de tout le monde ».
Outre une endurance physique,
ce choix nécessite un détachement ma
tériel, appris au cours d’une enfance un
peu bohème, entre Doubs et Lozère, où
les voyages et les livres avaient plus de
valeur que les biens matériels. Bac en po
che, un court détour par la fac de droit,
puis ce fils de professeurs de lettres suit
une formation de cuisinier, un métier
qui lui permet de vivre au RoyaumeUni,
en Turquie ou encore en Amérique la
tine. A son retour en France, « désireux
de ne plus être enfermé dans l’arrièrecui
sine d’un restaurant », ce grand sportif,
ceinture noire 3e dan d’Aikido mais aussi
excellent skieur de fond, apprend le
métier d’élagueur, « par amour de la bo
tanique et de la grimpe ».
En 2008, une rupture sentimen
tale le pousse à concrétiser un « rêve de
gosse », celui de construire une cabane
dans les arbres. Il acquiert une parcelle de
forêt au lieudit ChanteMerle, et s’attelle à
son grand œuvre pendant trois ans. Il sait
que son terrain n’est pas constructible. « A
l’époque, la maire de Cléron, Chantal Guet
Guillaume, m’a dit qu’elle ne s’opposerait
pas au projet et n’entamerait pas de procé
dure, tout en me prévenant des risques en
courus, » avouetil. Il décide de ne pas re
noncer à sa cabane, dans laquelle il emmé
nage en 2011. Trois ans plus tard, en 2014,
le maire de l’époque, Alain Galfione, exige
de Xavier Marmier un permis de cons
truire, qui lui est refusé. Depuis, les deux
parties s’opposent, la justice donnant rai
son à tour de rôle aux deux plaignants. En
avril 2018, le tribunal administratif estime
que les constructions sont suffisamment
respectueuses de l’environnement pour
ne porter atteinte « ni à la faune, ni à la
flore, ni à la destination naturelle de la
zone » et déboute la commune de sa de
mande, la condamnant même à verser à
Xavier Marmier 1 000 euros pour les frais
engendrés par la procédure.
Mais la municipalité dépose un
recours et le 26 mars 2019, la cour d’ap
pel infirme la décision de la première
instance. Le Robinson a six mois pour
abattre sa construction, avec une
amende de 100 euros par jour supplé
mentaire, et est condamné au paiement
de 3 000 euros à la commune. « L’érection
de constructions en pleine campagne,
dans le site naturel de la vallée de la Loue,
classé en zone Natura 2000, qui doit res
ter libre de toute construction et qui, en
outre, est répertorié en aléa très fort de
risque de glissements de terrain, lui cause
nécessairement préjudice », précise l’ar
rêt. Un coup de poignard pour celui qui
ne se dit « ni militant décroissant ni survi
valiste » mais un amoureux de la nature,
« en transition écologique. »
L’affaire n’est pas terminée. Une
pétition en ligne, « Sauver la cabane de Xa
vier », a déjà recueilli plus de 100 000 si
gnatures. L’élagueur a déposé un pourvoi
en cassation, un dernier recours qui de
vrait être examiné dans plusieurs mois.
En attendant, sur son arbre perché, Xavier
s’accroche, conscient que les robinsonna
des, ces récits d’aventure dans la nature,
ne se finissent pas toujours bien.
Prochain article Les cabanes urbaines
Xavier Marmier
et sa compagne,
Line, vivent
dans une cabane
à 8 mètres de haut,
à Cléron (Doubs).
RAPHAEL HELLE/
SIGNATURES
Pas d’eau
ni
d’électricité.
Des
conditions
de vie
spartiates
qui pèsent
peu face
au bonheur
de tutoyer
les étoiles
COMPLÈTEMENT PERCHÉS 4 | 5
ENQUÊTE
L’ÉTÉ DE L’ÉPOQUE