4 |international VENDREDI 9 AOÛT 2019
Donald Trump attise les tensions à Dayton et El Paso
Lors de ses visites aux villes touchées par les massacres, le président s’en est pris à ses adversaires politiques
washington correspondant
L
es visites effectuées mer
credi 7 août par Donald
Trump à deux villes en
deuillées par des massa
cres survenus au cours du week
end précédent n’ont pas permis
de créer l’unité nationale à la
quelle le président des EtatsUnis
avait pourtant appelé le 5 août. A
Dayton (Ohio) comme à El Paso
(Texas), des manifestants ont
même protesté contre sa venue,
lui reprochant d’attiser les ten
sions par sa rhétorique souvent
incendiaire, notamment à pro
pos des migrants.
Lundi, au cours de la courte allo
cution qu’il avait alors prononcée,
Donald Trump avait notamment
invité les Américains à mettre de
côté les querelles partisanes pour
« condamner d’une seule voix le ra
cisme, le sectarisme, et le supréma
cisme blanc ». Il n’a cependant pas
cessé, tout au long de la journée,
de riposter avec virulence aux cri
tiques de ses adversaires démo
crates, aux dépens du rôle de con
solateur en chef qui revient tradi
tionnellement au président.
Avant de s’envoler pour Dayton,
puis pour El Paso, Donald Trump
a tout d’abord affirmé que ses
propos controversés ont pour ef
fet, selon lui, de « rassembler » ses
concitoyens avant d’assurer que
ses détracteurs tentaient de tirer
un « bénéfice politique » de leurs
accusations. Après sa visite à l’hô
pital de Dayton où sont soignées
des victimes, le président des
EtatsUnis, une fois à bord de l’Air
Force One, s’en est pris sur son
compte Twitter à la maire
Nan Whaley et au sénateur de
l’Ohio, Sherrod Brown – tous
deux démocrates –, qui l’avaient
accompagné sur place.
Immobilisme
Il les a accusés d’avoir livré un ré
cit déformé de son passage dans
l’établissement hospitalier au
cours d’une conférence de presse.
Ils avaient pourtant loué l’un
comme l’autre le geste de Donald
Trump sans pour autant masquer
leur frustration à propos de son
manque d’empressement à s’atta
quer au contrôle des armes à feu.
Le président a ensuite vanté la
chaîne conservatrice One Ame
rica News Network (OANN),
comme il l’avait déjà fait en tout
début de journée, pour avoir af
firmé que le tireur de Dayton, tué
au cours de l’attaque visant un
quartier réputé pour sa vie noc
turne, était proche de l’aile gau
che du Parti démocrate. Puis, il
s’est attaqué à l’ancien viceprési
dent Joe Biden, candidat à l’inves
titure démocrate pour la prési
dentielle de 2020, qui a rappelé
dans un discours musclé ses mul
tiples ambiguïtés.
Il a encore défendu comme il l’a
fait à de nombreuses reprises – la
dernière fois au cours d’un entre
tien accordé à la chaîne conserva
trice Fox News, le 6 juin – l’emploi
du terme « invasion » pour quali
fier l’immigration en provenance
d’Amérique centrale.
Ce mot a été martelé dans plus
de deux cents publicités de cam
pagne publiées sur le réseau so
cial Facebook par l’équipe chargée
de sa réélection depuis le début de
l’année, selon le New York Times.
Le quotidien précise que ladite
équipe a déjà dépensé plus de
1 million de dollars (au moins
890 000 euros) pour dénoncer
cette supposée « invasion ».
Le tireur d’El Paso a utilisé la
même expression dans le mani
feste qui lui a été attribué, publié
avant son passage à l’acte et dans
lequel il déplore « une invasion
hispanique du Texas ». Il y précise
cependant que ses vues sur l’im
migration sont « antérieures » à
l’accession au pouvoir de Donald
Trump. L’auteur du massacre
perpétré dans une synagogue de
Pittsburgh (onze morts en octo
bre 2018), Robert Bowers, avait
également dénoncé des « enva
hisseurs ».
Mercredi, l’immobilisme de
Donald Trump sur l’encadrement
des armes à feu a aussi été vive
ment critiqué. Ce débat lancinant
est relancé à chaque tragédie sans
qu’il produise pour l’instant le
moindre résultat même si deux
élus républicains de l’Ohio, le gou
verneur Mike DeWine et le repré
sentant Mike Turner ont annoncé
soutenir désormais des mesures
restrictives.
Avant de quitter Washington, en
début de matinée, le président
des EtatsUnis a ainsi écarté l’idée
de rétablir l’interdiction de la
vente des armes semiautomati
ques qui avait été en vigueur de
1994 à 2004 alors qu’elles sont
employées dans la quasitotalité
des tueries. Donald Trump a jugé
qu’il n’y avait pas d’« appétit poli
tique » au Congrès pour une telle
disposition.
Le locataire de la Maison Blan
che s’est montré plus ouvert à
propos d’une mesure très popu
laire dans l’opinion américaine, y
compris auprès des détenteurs
d’armes : la vérification des anté
cédents des acheteurs. Un précé
dent relativise cependant le sou
tien affiché par le président. Après
la tuerie de Parkland, en Floride,
en février 2018, il avait convoqué à
Washington des élus des deux
camps pour parvenir à une ré
forme de la législation concernant
les armes à feu. Sans le moindre
résultat. Selon les experts du
Congrès, il n’existe pas pour l’ins
tant de majorité qualifiée au Sénat
pour faire adopter cette vérifica
tion des antécédents.
Président tout sourire
La Chambre des représentants,
où les démocrates sont majoritai
res, a pourtant voté depuis le dé
but de l’année une série de pro
jets de loi visant à encadrer plus
drastiquement l’accès aux armes
à feu. Le président est cependant
opposé à ces projets ambitieux,
tout comme le responsable de la
majorité républicaine au Sénat,
Mitch McConnell, qui a refusé
jusqu’à présent à les inscrire à
l’ordre du jour de la Haute Assem
blée du Congrès.
La seule piste plausible reste
pour l’instant la possibilité qui se
rait donnée aux forces de l’ordre
de confisquer préventivement les
armes de personnes dont le com
portement est jugé inquiétant.
Un sénateur républicain, Lindsey
Graham (Caroline du Sud), et un
démocrate, Richard Blumenthal
(Connecticut) ont décidé de
s’unir pour tenter d’y parvenir. Ils
peuvent miser sur l’affaiblisse
ment du principal lobby des ar
mes, la National Rifle Associa
tion, actuellement en proie à des
querelles internes liées à la ges
tion contestée de son inamovible
directeur exécutif, Wayne La
Pierre, mais dont Donald Trump
reste un fervent supporteur. Mer
credi, le président des EtatsUnis
n’a pas abordé ces questions avec
les blessés des deux fusillades. Il
s’est, en revanche, appesanti sur
l’accueil qui lui a été réservé, se
lon lui, loin des manifestants.
La presse avait été tenue à
l’écart, officiellement pour res
pecter la dignité des victimes, ce
qui n’a pas empêché la Maison
Blanche de publier de nombreu
ses photos et vidéos montrant un
président tout sourire, les pouces
souvent pointés, entouré de
membres du personnel soignant
ou des forces de l’ordre.
« Les médias “fake news” ont fait
des heures supplémentaires pour
me dénigrer, moi et mes deux
voyages, mais ça n’a pas marché.
L’amour, le respect et l’enthou
siasme étaient là, visibles de tous »,
a écrit Donald Trump sur son
compte Twitter à la fin de sa visite
à El Paso. En arrivant au Texas, il
avait déjà mis en avant « l’amour »
et « le respect pour la fonction pré
sidentielle » également ressenti
dans l’Ohio.
gilles paris
Sofia s’en prend à un journaliste bulgare vivant en France
Le parquet antiterroriste demande à la justice française d’enquêter sur Atanas Tchobanov, qui a dénoncé des faits de corruption dans son pays
L’
affaire est qualifiée de
« cyberterrorisme » par
les autorités bulgares car
elle aurait eu pour but de déstabi
liser le plus haut niveau de l’Etat.
Mais pour Atanas Tchobanov,
rédacteur en chef du site d’inves
tigation Bivol, il s’agit plutôt
d’une nouvelle forme des « pres
sions » qu’il dit subir pour freiner
ses multiples enquêtes sur la cor
ruption des élites locales.
Jeudi 1er août, le parquet national
bulgare a annoncé avoir formelle
ment demandé à la France – pays
de résidence de M. Tchobanov de
puis près de trente ans – la coopé
ration de sa justice pour enquêter
sur le journaliste dans le cadre
d’un mystérieux piratage des
données fiscales de millions de
contribuables bulgares.
Selon le bref communiqué,
M. Tchobanov, ingénieur au CNRS
en parallèle de ses activités jour
nalistiques, serait en mesure
d’apporter des « faits pertinents »
sur cette fuite. « On n’a pourtant
rien à voir avec le piratage, on a
simplement reçu les fichiers
comme d’autres médias, mais
on n’a rien publié. On les utilisera
peutêtre un jour, mais il faut
d’abord tout vérifier », conteste
ce spécialiste des bases de don
nées âgé de 51 ans.
Le parquet français a un mois
pour répondre à cette « décision
d’enquête européenne » qui peut
potentiellement inclure des
écoutes, des perquisitions ou des
filatures. La branche bulgare de
l’Association des journalistes
européens appelle la France à
refuser de donner suite à la de
mande de Sofia, s’inquiétant du
risque de voir Bivol subir « des
pressions illégales et dispropor
tionnées » pour révéler ses sour
ces. Interrogés mercredi 7 août, le
parquet national antiterroriste et
le parquet de Paris ont affirmé
n’avoir pour l’instant rien reçu
des autorités bulgares.
Toute l’affaire est partie d’un
mystérieux email envoyé le
15 juillet à Bivol, mais aussi
à d’autres rédactions bulgares et
internationales – le message
mentionne la BBC et Reuters.
Emanant d’une adresse hébergée
sur le site russe Yandex, ce cour
riel donne accès à des fichiers
contenant les numéros d’identifi
cation, les revenus et certaines
données fiscales d’environ
cinq millions des 7,1 millions de
Bulgares, y compris celui de leur
premier ministre, Boïko Borissov.
« Votre gouvernement est retardé.
Votre Etat de cybersécurité est une
parodie. Libérez Julian Assange »,
proclame(nt), dans un anglais
approximatif, le (ou les) auteur(s)
de ce qui est le plus gros piratage
de l’histoire du pays.
Pirater le système d’arrosage
Dans la foulée, le parquet bulgare
annonce l’arrestation de trois per
sonnes, toutes employées d’une
société de cybersécurité bulgare,
TAD Group, et les met en examen
pour terrorisme. « Le but ultime
des activités criminelles des accu
sés était de créer une instabilité
dans le pays, de réagir contre le sys
tème politique actuel et le gouver
nement, et de semer la confusion et
la peur parmi la population », jus
tifie le parquet spécialisé de Sofia
dans un communiqué, le 31 juillet.
La procureure antiterroriste
assure même que le groupe avait
projeté de pirater le système
d’arrosage autour du Parlement
pour le faire fonctionner au
passage des délégations officiel
les et ridiculiser ainsi le sommet
de l’Etat bulgare...
Le ministre de l’intérieur a im
médiatement lié ce piratage à la
Russie en évoquant la récente dé
cision de l’armée bulgare d’ac
quérir des F16 américains. Mais
le procureur général adjoint a, lui,
impliqué le parti d’opposition
Bulgarie démocratique, aux posi
tions ouvertement proocciden
tales. Signe supplémentaire de
confusion autour de ce dossier,
les trois suspects, qui contestent
les faits, ont été libérés sous cau
tion par les juges malgré les réqui
sitions du parquet demandant
leur maintien en détention.
Sans le mettre formellement en
accusation à ce stade, le parquet
spécialisé de Sofia reproche à
Atanas Tchobanov d’avoir tra
vaillé avec le groupe de pirates
présumé bien avant les révéla
tions. Il a notamment publié une
capture d’écran de la conversa
tion Telegram qu’un des pirates
présumés aurait eue avec le jour
naliste, quinze jours avant l’envoi
du fameux courriel.
« Début juillet, j’ai été effective
ment en contact avec un type qui
se présentait comme cyberexpert
et qui disait que le site de la CNIL
bulgare avait une grosse faille de
sécurité. Je ne connaissais pas
l’identité du correspondant, mais
j’ai vérifié ce qu’il disait et averti
l’agence. Ils ont fermé la faille en
nous remerciant pour notre signa
lement », avance le journaliste
pour expliquer cet échange.
Pour lui, cette demande de col
laboration adressée à la France ne
peut être qu’une « vengeance »
des autorités bulgares pour ses
multiples révélations de ces der
niers mois sur des acquisitions
immobilières à prix bradés de
plusieurs responsables politiques
et hauts magistrats, y compris du
procureur général. Ces révéla
tions ont déclenché une vague de
démissions au sein du pouvoir.
Le journaliste, qui dit être prêt à
répondre à une convocation de la
justice française, demande toute
fois à Paris de ne pas s’exécuter
car il craint que le vrai but de la
demande soit de saisir les ser
veurs de son site, basés en France.
La directive européenne prévoit
qu’une justice nationale puisse
refuser de coopérer si une de
mande formulée par la justice
d’un Etatmembre est contraire
« aux principes fondamentaux »
du droit européen.
jeanbaptiste chastand
Soupçonné
d’avoir travaillé
avec des pirates,
le journaliste
dénonce une
« vengeance »
des autorités
Manifestation lors de la venue de Donald Trump à El Paso, au Texas, le 7 août. JOSE LUIS GONZALEZ/REUTERS
M. Trump a écarté
l’idée de rétablir
l’interdiction
de la vente des
armes semi-
automatiques
en vigueur
de 1994 à 2004
Il a encore
défendu l’emploi
du terme
« invasion »
pour qualifier
l’immigration
d’Amérique
centrale