VENDREDI 9 AOÛT 2019 international| 5
Cachemire : le Pakistan
hausse le ton contre l’Inde
Islamabad a expulsé l’ambassadeur indien
et suspendu les échanges commerciaux
A
u regard du conflit histori
que existant entre le
Pakistan et l’Inde sur le
Cachemire, la discrétion d’Islama
bad après la décision de New Delhi
de révoquer, lundi 5 août, l’auto
nomie constitutionnelle de la par
tie sous contrôle indien avait
quelque peu surpris les ob
servateurs. Trois jours plus tard, le
Pakistan a décidé de hausser le ton
sur un sujet qui a déjà causé plu
sieurs guerres entre les deux pays.
Le ministre des affaires étrangè
res, Shah Mehmood Qureshi, a in
diqué que son gouvernement
avait décidé d’expulser l’ambassa
deur indien à Islamabad et de rap
peler le sien de New Delhi. Il a
ajouté que son pays suspendait le
commerce avec son voisin.
Le Pakistan, qui revendique,
depuis la partition avec l’Inde
en 1947, le JammuetCachemire,
aujourd’hui sous contrôle indien,
avait dans un premier temps sim
plement qualifié d’« illégale » la dé
cision de New Delhi. Le premier
ministre pakistanais, Imran Khan,
avait ensuite annoncé, mardi, qu’il
porterait la question devant les
instances internationales. « Nous
nous battrons contre cette [me
sure] devant toutes les instances, y
compris au Conseil de sécurité de
l’ONU », avait affirmé M. Khan
devant les parlementaires pakista
nais, ajoutant que son gouverne
ment comptait aussi saisir la Cour
pénale internationale. Jeudi, l’Inde
a répondu que « le Cachemire
[était] une affaire interne ».
Rassemblements peu suivis
Le chef du gouvernement pakista
nais a tenté, par ailleurs, de mettre
la pression sur la communauté in
ternationale : « Si le monde n’agit
pas aujourd’hui (...) alors la situa
tion atteindra un stade dont nous
ne serons pas responsables. »
L’Inde et le Pakistan sont deux
puissances nucléaires. Fin février,
les deux pays s’étaient affrontés
militairement, sous forme de
combats aériens limités, après une
attaquesuicide au Cachemire in
dien, revendiquée par un groupe
islamiste pakistanais ayant tué
quarante paramilitaires indiens.
Mercredi se tenait une nouvelle
réunion du comité de sécurité
nationale, à laquelle ont participé
les principaux ministres et des gé
néraux pakistanais pour qui la
question du Cachemire reste le su
jet le plus sensible du pays, loin de
vant l’instabilité de l’Afghanistan
ou des zones tribales. Le chef
d’étatmajor de l’armée pakista
naise, le général Qamar Javed Ba
jwa, s’était exprimé la veille dans
un Tweet assurant que les forces
armées du pays « se tenaient fer
mement » aux côtés des habitants
du Cachemire. Il ajoutait : « Nous
sommes prêts et nous ferons tout
pour remplir nos obligations. »
La rue pakistanaise est restée jus
quelà peu réactive à la décision
prise par New Delhi. Mardi, quel
que 500 personnes se sont réu
nies, à Muzaffarabad, la plus
grande ville du Cachemire pakista
nais, mais les rassemblements
prévus à Lahore (est), Karachi (sud)
et à Islamabad ont été peu suivis.
Les parlementaires pakistanais
ont, pour leur part, entamé un dé
bat sans véritable passion sur la
meilleure réponse à apporter à
New Delhi. Le milieu des affaires
n’a pas, non plus, exprimé d’in
quiétude excessive après l’an
nonce de la suspension des rela
tions commerciales. Cette mesure
est, en effet, toute relative au re
gard du faible niveau d’échange
entre les deux voisins.
La seule manifestation concrète
de la tension entre les deux pays
est relevée sur la Ligne de contrôle
(LOC), la frontière de facto entre
Inde et Pakistan, où les accrocha
ges n’ont cessé de se multiplier ces
dernières années. Les autorités pa
kistanaises recensaient, en 2015,
168 incidents (frappes de mortiers,
échanges de tirs ou infiltrations)
puis 390 en 2016, et plus de 2 000
en 2018. Des chiffres qui corres
pondent aux tendances enregis
trées par le Groupe d’observateurs
militaires non armés des Nations
unies pour l’Inde et le Pakistan
(UNMOGIP), chargé, en théorie, de
veiller sur les termes du cessezle
feu de 1971.
Le 4 août, à la veille de l’annonce
de la révocation de l’autonomie
constitutionnelle du Cachemire
indien, le premier ministre pakis
tanais accusait encore l’Inde de
« nouvelles actions agressives », qui
pourraient « se transformer en
crise régionale ». L’armée in
dienne, le même jour, annonçait
qu’elle avait déjoué une tentative
d’infiltration sur son territoire
d’un groupe composé de soldats
pakistanais et de civils, tuant « cinq
à sept » assaillants. Islamabad reje
tait ces allégations, les qualifiant
de « sans fondement ».
jacques follorou
Pékin qualifie de « révolution de couleur »
le mouvement de protestation
La priorité du gouvernement chinois est de « mettre fin aux violences » à Hongkong
hongkong envoyé spécial
J
usqu’ici seule la presse natio
naliste chinoise qualifiait le
mouvement de protestation
qui secoue Hongkong depuis
deux mois de « révolution de cou
leur ». Désormais, les officiels chi
nois n’hésitent plus à employer
l’expression, une « ligne rouge »
dans la Chine de Xi Jinping. Mer
credi 7 août, Zhang Xiaoming, le
directeur du bureau des affaires
de Hongkong et Macao à Pékin,
soit le « M. Hongkong et Macao »
au sein du gouvernement chinois,
a jugé, devant 500 responsables
économiques et politiques réunis
à huis clos à Shenzhen, que ce qui
se passait à Hongkong présentait
« les caractéristiques évidentes
d’une révolution de couleur ».
Selon le quotidien South China
Morning Post, qui rapporte les
propos d’une participante, ces ré
volutions qui ont secoué l’exem
pire soviétique et le MoyenOrient
au début du XXIe siècle se caracté
risent par le rôle éminent joué par
la jeunesse et par les Eglises. Par
ailleurs, les dirigeants chinois
sont convaincus qu’elles sont fo
mentées par l’Occident. « La tâche
primordiale la plus pressante est
désormais de mettre un terme à la
violence et au chaos afin de proté
ger notre patrie et d’éviter que
Hongkong ne tombe dans
l’abîme », a jugé Zhang Xiaoming.
La « bataille pour l’avenir de Hon
gkong » est « une question de vie
ou de mort », a renchéri son homo
logue Wang Zhimin, le directeur
du bureau de Pékin à Hongkong.
Cinq revendications
Selon un participant, Zhang Xiao
ming a précisé qu’il ne saurait être
question de tolérer que Hongkong
perturbe les célébrations du
70 e anniversaire de l’arrivée des
communistes au pouvoir qui se
dérouleront dans toute la Chine le
1 er octobre. « Le plus tôt sera le
mieux », a résumé Ip Kwokhim,
un membre de l’Assemblée natio
nale populaire, présent à cette réu
nion. Evidemment, pour Pékin,
qui a donc désormais choisi de
dramatiser la situation, il ne sau
rait être question d’accepter les re
vendications des « révolutionnai
res ». Cellesci sont au nombre de
cinq : retirer officiellement le pro
jet de loi sur les extraditions, no
tamment vers la Chine continen
tale, et qui n’est que « suspendu »,
lancer une commission d’enquête
indépendante sur les violences
policières, libérer les centaines de
personnes arrêtées, cesser de qua
lifier le mouvement d’« émeutes »
et lancer un processus de réforme
politique de Hongkong.
Contrairement aux promesses
faites lors de la rétrocession de
cette ancienne colonie britanni
que de 7,3 millions d’habitants à la
Chine en 1997, Hongkong n’est pas
une véritable démocratie et les li
bertés publiques, bien qu’infini
ment supérieures à celles accor
dées en Chine continentale, sont
remises en cause par Pékin.
Zhang Xiaoming a juste envisagé
la création d’une commission
d’enquête, une fois le calme re
venu. Sans doute conscient de l’ef
fet désastreux qu’aurait une inter
vention des forces de l’ordre, voire
de l’armée chinoise, à Hongkong,
Pékin a, sembletil, demandé à
plusieurs de ses ambassadeurs
(comme à Rome, Londres, La Haye
et Madrid) d’intervenir publique
ment pour expliquer que la prio
rité du gouvernement chinois
était de mettre fin aux violences.
Mercredi a également été mar
qué par une manifestation pacifi
que d’environ 3 000 profession
nels de justice (juges, avocats...)
qui, au nom de « la loi, l’ordre, la
justice et la paix », ont dénoncé les
« poursuites politiques » à l’encon
tre des manifestants. En fin de soi
rée, des centaines de manifes
tants se sont rassemblés devant le
Musée de l’espace, projetant des
pointeurs laser sur le dôme de ce
luici afin de dénoncer l’arresta
tion, la veille, d’un leader étudiant
qui avait acheté dix pointeurs la
ser, considérés comme des « ar
mes » par la police.
frédéric lemaître
A Hongkong, les Eglises
chrétiennes au cœur de la révolte
Plusieurs figures du mouvement de contestation revendiquent leur foi
catholique, tandis que le diocèse apporte son soutien aux manifestants
hongkong correspondance
P
armi les surprises du
mouvement de protesta
tion à Hongkong, l’irrup
tion du chant de messe
Chante Alléluia au Seigneur dès les
premières « barricades » a d’abord
fait sourire. Il révèle néanmoins
comment les Eglises chrétiennes,
et notamment la catholique, se
sont retrouvées impliquées dans
la crise politique déclenchée par
l’opposition farouche de la popu
lation à un projet de loi d’extradi
tion vers la Chine.
« La plupart des gens qui le chan
tent ne font pas vraiment atten
tion aux paroles. Ils aiment bien la
mélodie », minimise le jeune pas
teur Wong, en tenue cléricale,
avec étole et croix pectorale, alors
qu’il passe dans la foule efferves
cente de jeunes rassemblés de
vant le Parlement, le 1er juillet au
soir, quelques heures avant que
des manifestants en forcent l’en
trée. « Il y a beaucoup de tensions.
Je les encourage à garder espoir.
Chanter apaise », ditil.
Contrairement à la Chine popu
laire, où la pratique religieuse est
étroitement contrôlée par le
Parti communiste, elle est à Hon
gkong un « droit fondamental »
garanti par la Constitution du
territoire. Un peu plus de 5 % de la
population est catholique
(400 000 personnes sur 7,4 mil
lions d’habitants), et environ
autant protestantes – pour plus
de quatre fois plus de bouddhis
tes et de taoïstes (2 millions).
« Soutien moral »
Tout au long de la contestation,
des stands de veillées de prière et
des chapelles de campagne sont
apparus à proximité des points
chauds. L’évêque auxiliaire de
Hongkong, Joseph Ha, 60 ans, a
lui même activement participé
aux veillées de prières œcuméni
ques face au LegCo, le Parlement
de Hongkong. Nombre de tee
shirts portent la « marque » « Je
sus », en grosses lettres.
Quelques heures avant la mani
festation du 28 juillet à Yuen Long
contre l’attaque des triades une
semaine plus tôt dans la station
de métro du quartier, le député
prodémocratie Ray Chan twee
tait : « Les amis, soyez malins.
Echappezvous avant que les flics
ne perdent la tête. Moi je serai sur
place pour prêcher l’Evangile. »
Au cours des affrontements des
dernières semaines, des groupes
de jeunes croyants se sont retrou
vés les yeux fermés et les mains
jointes, nez à nez avec un mur de
policiers en tenue antiémeute.
« Dis donc à ton Jésus de descendre
nous voir! », avait d’ailleurs lancé
un policier le 12 juin à un manifes
tant. Le commentaire fit polémi
que. Une plainte fut déposée, fi
nalement classée sans suite, fin
juin. Depuis l’incident, des pan
cartes humoristiques avertissent
les policiers : « Si vous sortez en
core les bâtons, nous recommen
cerons à chanter Alléluia! »
Les organisations chrétiennes
se sont aussi mobilisées à la suite
des quatre morts (dont au moins
trois suicides avérés) associées au
mouvement de contestation ac
tuel. Et catégorisés par les autori
tés sanitaires comme « une épidé
mie de dépression » dans la jeu
nesse. L’un des prospectus distri
bués lors des manifestations, avec
en prime une petite croix faite de
grosses perles en plastique rose,
liste une dizaine de numéros d’as
sistance à contacter « en cas de
problèmes de stress » et men
tionne des extraits de la Bible.
« Une croyance religieuse peut
apporter un soutien moral aux
gens qui sont désespérés et sans re
cours, parfois porteurs de haine.
Les Eglises sont très proactives
pour offrir un soutien psychologi
que sans jugement », observe le di
recteur du centre sur la préven
tion du suicide de l’université de
Hongkong, Paul Yip. « Hier soir
[5 août], des jeunes qui cherchaient
refuge sont entrées pacifiquement
dans les églises de Chun Wan et de
Tuen Mun. Ils y ont passé la nuit et
les prêtres les ont accueillis », ré
vèle un prêtre étranger qui pré
fère ne pas être identifié.
Dans sa quête éperdue de démo
cratie, la jeune génération semble
inspirée par les valeurs chrétien
nes. Avec plus de 2 500 baptêmes
de catéchumènes en 2018, le dio
cèse de Hongkong baptise plus
d’adultes chaque année à Pâques
que la France tout entière. Joshua
Wong, 22 ans, l’icône de la jeu
nesse rebelle de Hongkong, a de
longue date revendiqué sa foi pro
testante comme moteur de son
engagement politique.
Lutte pour la démocratie
Le leader politique Edward Leung,
condamné à six ans de prison
ferme en 2018 pour son rôle dans
une « émeute » en 2016, a, lui, pu
blié de sa cellule il y a quelques
jours une « Lettre à Hongkong »
sur Facebook appelant ses conci
toyens « non pas à s’opposer [au
gouvernement] avec nos précieu
ses vies mais, par nos sacrifices, à
pratiquer la persévérance et l’es
poir », une citation presque litté
rale de la Lettre de saint Paul apô
tre aux Romains.
Plusieurs ecclésiastiques sont
de longue date en première ligne
de la lutte pour la démocratie à
Hongkong. Les deux plus célèbres
sont le cardinal Zen, 87 ans, an
cien évêque de Hongkong et anti
communiste invétéré, et le pas
teur anglican, Chu Yiuming,
75 ans, condamné à seize mois de
prison en avril, avec deux ans de
suspension, pour son rôle dans le
« mouvement des parapluies » de
l’automne 2014. C’est en partie
grâce au réseau éducatif (environ
250 institutions) que l’Eglise ca
tholique a un tel impact sur la so
ciété hongkongaise.
Alors que les écoles jésuites, no
tamment le très élitiste collège
Wah Yan, ont beaucoup formé les
« gouvernants », les écoles protes
tantes produisent des travailleurs
sociaux. Bon nombre de person
nalités de la vie politique hong
kongaise catholiques ou sympa
thisantes appartiennent au camp
prodémocratie. A l’exception de
Carrie Lam, la chef de l’exécutif
dont les manifestants exigent la
démission : cette catholique fer
vente et pratiquante est d’une
loyauté sans faille à Pékin. Elle fit
sa scolarité chez les Canossien
nes, congrégation d’origine ita
lienne. Persuadée, selon ses pro
pres dires, que sa mission politi
que est un appel de Dieu, elle avait
souhaité, après son élection, rece
voir la bénédiction du cardinal
Tong, alors évêque de Hongkong,
avant même d’aller à Pékin. Ce qui
ne l’a pas empêchée d’ignorer les
appels à abandonner le projet de
loi controversé que lui lancèrent
tant sa propre école que le diocèse
catholique de Hongkong.
Les convulsions actuelles inter
viennent à un moment délicat
pour l’Eglise catholique à Hon
gkong, sans évêque depuis jan
vier : l’engagement du diocèse
aux côtés des manifestants pour
rait coûter sa promotion à l’évê
que auxiliaire, Mgr Ha, en lice pour
porter la mitre de l’évêque de
Hongkong. Bien que Hongkong
soit techniquement exclu, en rai
son de son statut spécial, des ac
cords secrets passés entre le Vati
can et Pékin en 2018 sur la nomi
nation des évêques en Chine, les
proches du dossier sont persua
dés que « quelqu’un de plus conci
liant » sera choisi.
Il faut dire que l’entente entre
Rome et les autorités communis
tes sur les évêques chinois a
dressé contre elle toute une partie
du diocèse de Hongkong, derrière
son critique le plus virulent, le car
dinal Zen. « Les Eglises chrétiennes
ont de bonnes raisons de se sentir
concernées par le mouvement ac
tuel car elles savent comment les
chrétiens chinois sont traités par le
gouvernement chinois en Chine.
C’est pour cela qu’elles soutiennent
aussi activement les participants
au mouvement », estime Paul Yip.
A Hongkong se joue ainsi une
autre bataille d’influence, entre
Pékin et le Vatican.
florence de changy
Un peu plus
de 5 % de
la population
est catholique
et environ autant
protestante
« Nous nous
battrons contre
cette mesure
devant toutes
les instances »
IMRAN KHAN
premier ministre du Pakistan
CORRESPONDANCE
Une lettre de Thorbjorn Jagland
A la suite de l’article intitulé « L’espion russe du Conseil de l’Europe »
(« Le Monde » du 2324 juin), nous avons reçu du secrétaire général
du Conseil de l’Europe le courrier suivant :
Le secrétaire général du Conseil de l’Europe a pris connaissance du
passage suivant dans l’article « L’espion russe du Conseil de l’Eu
rope », signé de M. Jacques Follorou, dans Le Monde daté du diman
che 23 juinlundi 24 juin 2019 : « Quand il prend ses fonctions de consul
général de Russie à Strasbourg, en 2015, Levitsky dispose déjà (...) d’un
accès privilégié à Thorbjorn Jagland, réélu, en 2014, secrétaire général
du Conseil. »
Le secrétaire général du Conseil de l’Europe conteste fermement
cette allégation totalement erronée et indique que M. Levitsky n’a
jamais eu d’accès privilégié à M. Thorbjorn Jagland, secrétaire géné
ral du Conseil de l’Europe. Il n’a jamais fait partie de ses connaissan
ces et il n’a jamais eu d’entrevue avec lui.
Islamabad
New Delhi
Lahore
Muzaarabad
Ligne de contrôle
INDE
JAMMU-ET-
CACHEMIRE
AFGHANISTAN CHINE
PAKISTAN
300 km
CACHEMIRE