Investir, le Journal des Finances / N° 2379 / 10 août
12 / INTERNATIONAL
FranceItalie, des relations
économiques tumultueuses
Europe La perspective d’élections législatives anticipées en Italie inquiète les investisseurs et fait flamber
le rendement des emprunts d’Etat italiens. Mais qu’en estil des relations entre les entreprises cotées des
deux pays ? Notre analyse au travers de cinq alliances prometteuses, déjà nouées ou encore incertaines.
I
taliens et Français ont en commun un légitime
patriotisme, un attachement viscéral à une
culture ancrée dans une histoire prestigieuse et
inscrite dans des paysages et des patrimoines
architecturaux incomparables. Cette fierté partagée
serait-elle paradoxalement un frein à la construction
européenne? Signe encourageant, le 26 juillet, après
de vifs débats politiques, l’Italie a informé l’Union
européenne (UE) qu’elle s’engageait à mener à bien
le chantier du TGV Lyon-Turin. Pour les entreprises
du BTP, les appels d’offres du promoteur public fran-
co-italien Telt (Tunnel Euralpin Lyon Turin) sont
lancés. Ce projet, imaginé il y a trente ans, est estimé
à 20 milliards d’euros (dont 40 % pour l’UE, 35 %
pour l’Italie et 25 % pour la France), dont 8,6 mil-
liards pour le tunnel de 57,5 kilomètres creusé dans
les Alpes. L’intérêt écologique de remplacer des
camions par des trains est évident. En outre, cette
infrastructure facilitera les échanges commerciaux
et les investissements des deux voisins, et stimulera
une croissance économique insuffisante (voir l’info-
graphie ci-contre).
LE MARIAGE FIATRENAULT RELANCÉ
Autre signe encourageant : cette semaine, on a appris
que Fiat Chrysler Automobiles (FCA) serait ouvert à
une reprise des discussions en vue d’une fusion avec
Renault, qui y est favorable. On se souvient que cette
proposition de FCA, formulée le 27 mai, avait été
retirée le 5 juin car l’Etat français, qui détient 15 % du
capital de Renault (et 28,6 % des droits de vote),
entendait s’assurer d’abord du soutien de Nissan au
projet, pour ne pas mettre en danger l’alliance fran-
co-japonaise. Les discussions en ce sens pourraient
aboutir avant la fin de l’année, voire dès septembre.
Cela impliquerait notamment que Renault allège
sa participation de 43,4 % chez Nissan en cédant de
5 % à 10 %. Une alliance élargie au groupe présidé
par John Elkann, petit-fils de Gianni Agnelli, crée-
rait le premier constructeur mondial. L’effet de
taille aiderait à résister à la percée attendue des
concurrents chinois et à investir dans les voitures
électriques et autonomes.
ESPOIRS DÉÇUS POUR VIVENDI
L’autre grand projet en suspens depuis avril 2016
est celui, imaginé par Vivendi (Canal +), sous
l’impulsion de son actionnaire Vincent Bolloré, de
créer un producteur et distributeur de contenus
audiovisuels de culture latine, sur le modèle de
l’américain Netflix. L’accord avec Mediaset a été
rompu, puis Vivendi s’est adjugé à la hussarde
28,8 % du TF1 italien, présent aussi en Espagne. En
réaction, le groupe familial Berlusconi a verrouillé
son capital et a repris le projet à son compte, cette
fois en position de leader. Début août, son adminis-
Croissanceéconomique,en %
Desdivergencessignificatricesentrelesdeuxnations
PlusdecroissanceenFrance...
En %duPIB,en
...etmoinsdedettes
Echangescommerciauxen 2018
L’Italieexporteplus...
Stockdesinvestissementsréalisés
... maisinvestitmoinsquela France
Indices Cac 40 FTSEMIB,base 100
LaBoursedeMilantrèsenretard
Source
:FMI, juillet
2019.
Source
:Douanes
françaises.
Source
:Banque
de France.
Source
:Eurostat.
2018 2019 est. 2020 est. 2018 2019 est. 2020 est.
FRANCE ITALIE
1,
1,
1,
0,
0,
0,
FRANCE
Déficit budgétaire
Dettepublique
Tauxdesemprunts
à10ans
NotationStandars
&Poor’set perspective
ITALIE
–2,5% –2,1%
98,
%
132,
%
- ,
% 1,7^8
%
Stable
Stable
AA
Stable
Négative
BBB
FRANCE ITALIE
36,
Mds€
43
Mds€
FRANCE ITALIE
66,
Mds€
21,
Mds€
(1.925entreprises
souscontrôlefrançais)
(1.650filiales
de sociétésitaliennes)
200809 10 11 12 13 14 15 16 17 18 2019
108,
60,
120
110
100
90
80
70
60
50
40
30
ESSILORLUXOTTICA
Mariage difficile
mais potentiel colossal
L
a naissance du champion
mondial de l’optique, issu
du mariage entre le français
Essilor et l’italien Luxottica, s’est
réalisée dans la douleur en raison
d’un équilibre des pouvoirs ban-
cal. Leonardo Del Vecchio, fonda-
teur de Luxottica, détient en effet,
via son holding Delfin, 32 % du
capital du nouveau groupe. La
crise de gouvernance, au
deuxième trimestre, s’est surtout
concentrée sur les dissensions
entre les deux présidents, Hubert
Sagnières et Leonardo Del Vec-
chio, reflétant les difficultés d’une
gouvernance bicéphale. Toute-
fois, la trêve signée juste avant
l’assemblée générale du 14 mai a
rassuré. Les deux présidents ont
décidé de déléguer une partie
de leurs responsabilités à leurs
bras droits respectifs, Laurent
Vacherot et Francesco Milleri.
Vingt chantiers de synergies aux
montants estimés d’ici à 2020-
2021 entre 400 et 620 millions
d’euros sont en œuvre et avancent
rapidement. EssilorLuxottica dis-
pose, par son mariage, d’une puis-
sance de feu accrue.
Le rachat de GrandVision pour
7 milliards d’euros va permettre
au groupe de combler un point
faible : une quasi-absence dans la
distribution optique en Europe.
« Ce n’est qu’un premier pas, d’autres
acquisitions sont prévues, notam-
ment dans la distribution en ligne et
les lunettes solaires », a annoncé,
mardi, Hubert Sagnières. Avec
34 milliards de fonds propres et
seulement 4,7 milliards de dettes
nettes, EssilorLuxottica a les
moyens de ses ambitions. - A. B.
NOTRE CONSEIL
l
ACHETER : pour jouer
la montée en puissance
des synergies et les perspectives
de croissance du groupe soutenues
par des acquisitions stratégiques.
Le secteur est défensif.
Objectif : 150 € (EL).
Prochain rendezvous : le 25 sep
tembre, journée investisseurs.
EssilorLuxottica
En €
70
80
90
100
110
120
2014 15 16 17 2019
128,
STMICROELECTRONICS
Un délicat équilibre
à trouver
L
e fabricant de semi-conduc-
teurs est sans doute le plus
italien des groupes français.
Sa double nationalité remonte à sa
création, en 1987, issue de la fusion
du français Thomson Semi-
conducteurs avec l’italien SGS
Micrœlettronica. Sur onze sites de
production, trois sont dans
l’Hexagone (à Crolles, à Rousset
et à Tours) et deux en Italie (à
Agrate et à Catane), et environ
10.000 salariés des deux côtés.
Les deux Etats détiennent, ensem-
ble et à parité, 27,5 % du capital du
groupe, via un holding. Chacun
doit proposer le même nombre de
membres du conseil de sur-
veillance, soit six représentants au
total sur neuf. Le président du con-
seil de surveillance a la nationalité
opposée de son vice-président, et
inversement tous les trois ans. Les
actionnaires étatiques doivent
aussi s’accorder sur la nomination
du comité exécutif. L’an dernier, le
PDG français, Jean-Marc Chery, a
succédé à l’Italien Carlo Bozotti,
en poste pendant treize ans...
Les tensions entre nationalités, y
compris au niveau des dirigeants,
n’ont pas épargné le groupe. Ce fut
notamment le cas lorsque la
société a connu des difficultés, il y
a six ans par exemple, compte
tenu des enjeux sur l’emploi. Plus
récemment, la presse se faisait
l’écho de tensions en interne. Les
syndicats français réclamaient la
prime Macron, mais la direction
craignait une contagion à l’Italie.
Pourtant, l’idée d’un nouveau
mariage transnational refait régu-
lièrement surface, associant, cette
fois, STMicroelectronics à l’alle-
mand Infineon, pour créer un
champion européen. Le schéma
pourrait s’avérer compliqué. - D. T.
NOTRE CONSEIL
l
VENTE : le titre pourrait
souffrir avec son secteur en
raison de la guerre commerciale
sinoaméricaine (STM).
Prochain rendezvous : en octo
bre, résultats trimestriels.
STMicroelectronics
En €
0
5
10
15
20
2014 15 16 17 2019
15,
COVIVIO
Cap sur l’immobilier
de bureaux à Milan
C’
est en 2007 que Charles
Ruggieri, fils d’immigré
italien arrivé en France
dans les années 1950, acquiert
35 % de la foncière de bureaux
Beni Stabili auprès de Delfin, la
société de Leonardo Del Vecchio.
Il paie en actions Foncière des
Régions (devenu Covivio), qu’il a
créé en rachetant à bas prix les
actifs immobiliers des sidérurgis-
tes lorrains. Dès lors, le fondateur
de Luxottica devient le premier
actionnaire avec, depuis, une par-
ticipation renforcée à 26,4 %.
Mais il se contente du poste de
vice-président et de deux sièges
sur quinze au conseil, plus un
poste de censeur. Pour sa part,
Covivio a accru ses intérêts chez
Beni Stabili, finalement portés,
Covivio
En €
50
60
70
80
90
2014 15 16 17 2019
92,
fin 2018, de 59,9 % à 100 %. Covi-
vio, coté à Paris et à Milan, est à la
tête d’un patrimoine estimé à
15,7 milliards d’euros sur la base
d’un rendement locatif de 5 %. La
part de l’Italie sera ramenée entre
15 % et 20 %, contre 21,5 %
fin 2018, tout en portant la pro-
portion située à Milan de 73 % à
100 %. Cela concerne les immeu-
bles loués à Telecom Italia, qui ne
sont localisés que pour un quart
dans la cité lombarde. Il s’agit
aussi d’investir dans la capitale
économique du pays, où la
demande d’immeubles neufs ou
restructurés est forte. Sur
l’emprise foncière de Covivio au
sud de la ville, dans la zone Sym-
biosis, un quartier d’affaires est en
création. Un immeuble est en
exploitation, et deux autres sont
livrables en 2020 et en 2021.
- J.L. C.
NOTRE CONSEIL
l
RESTER À L’ÉCART : très
prisé des investisseurs, le
titre Covivio cote audessus de
l’actif net réévalué, estimé à
90,20 € fin juin. Le rendement
de 5 % n’est pas très élevé pour
une foncière (COV).
Prochain rendezvous : le
24 octobre, revenus trimestriels.
trateur délégué, Pier Silvio Berlusconi, a en effet
révélé des discussions tendant à créer un « Euro-
flix » avec l’allemand ProSiebenSat.1 (dont Media-
set a ramassé 9,6 % du capital), voire avec TF1. De
fait, la production de films et séries, gourmande en
capitaux, n’est vraiment rentable qu’en s’appuyant
sur une vaste base d’abonnés dans plusieurs pays,
comme l’a prouvé Netflix, suivi par Amazon et
Disney.
Vivendi s’y est tout aussi mal pris avec Telecom
Italia, l’équivalent d’Orange de l’autre côté des
Alpes, censé fournir une base d’abonnés pour ses
contenus. Malgré une participation de 17,15 %
(23,94 % des droits de vote), le français a perdu le
contrôle du conseil d’administration, en se met-
tant à dos l’Etat italien, le fonds activiste Elliott et
les cabinets de conseil de vote. Bien que dépréciée
de plus de 1 milliard d’euros en 2018, cette ligne est
encore au bilan de Vivendi pour 3,1 milliards, soit
0,86 € par action pour un cours récent de 0,49 €.
Outre ces alliances délicates à concrétiser, vous
trouverez ci-dessous notre avis sur trois rappro-
chements franco-italiens déjà effectifs.
- JEANLUC CHAMPETIER