Investir, le Journal des Finances / N° 2379 / 10 août
ÉVÉNEMENT / 05
Pensezvous que la guerre
commerciale va se calmer,
ou peutelle empirer ?
Le dernier épisode, l’annonce de
Donald Trump de sa volonté de
relever les taux de droits de
douane sur 300 milliards de dol-
lars de produits chinois à partir du
1
er
septembre, a cassé les anticipa-
tions d’un accord rapide. Pour
autant, il faut rester constructif.
Dans une négociation, il y a tou-
jours des moments de forte ten-
sion. Le président américain doit
être prudent sur l’impact de cette
guerre à l’approche de l’échéance
politique de l’élection présiden-
tielle. Il est sensible à l’évolution
économique et des marchés
financiers. Les Chinois ne veulent
pas non plus d’un dérapage alors
que leur économie est moins
flamboyante. La récente escalade
doit donc être considérée comme
une alerte significative, mais non
comme la fin des négociations.
La baisse des marchés peutelle
se poursuivre ?
Nous constatons, après une phase
favorable qui s’est caractérisée
par une appréciation de la prise
de risque, un mouvement de
flight to quality impressionnant,
matérialisé par la baisse des taux.
La baisse de décembre 2018 avait
eu lieu dans la foulée de la dégra-
dation des indices manufactu-
riers. La reprise s’était faite sur la
confiance des consommateurs
américains, qui ont non seule-
ment consommé mais aussi épar-
gné. La question pour les trois
mois à venir est de savoir si la
perte de moral des industriels
va l’emporter et peser sur le com-
portement des ménages ou si,
au contraire, ces derniers, via la
consomma-
tion, vont
permettre
au domaine
manufacturier
de repartir de l’avant. Pouvons-
nous entrer en récession dans le
contexte des taux bas actuels ou
pouvons-nous l’éviter? L’inten-
sité de la guerre commerciale
le déterminera.
Quels secteurs sont à privilégier ?
L e p r o b l è m e e s t c e l u i d e
la forte valorisation des valeurs
de croissance, considérées
comme défensives. Il est peut-
être trop tôt pour revenir sur
les cycliques si la guerre commer-
ciale s’intensifie, mais elles
offrent un potentiel significatif
si la consommation prolonge
le cycle. Sinon, il reste la value
et le rendement.
DIDIER BOUVIGNIES, ROTHSCHILD AND CO
Pensezvous que la guerre
commerciale va se calmer,
ou peutelle empirer ?
Avec la Chine, les tensions sont
en place. J’anticipe plutôt une stabilisation. Mais
le G7, fin août, pourrait traduire une montée des
différends entre les Etats-Unis et l’Europe. En
effet, Donald Trump a l’industrie automobile
allemande dans le collimateur, sans compter le
problème de la taxation des Gafa par la France.
Enfin, il va vouloir aider Boris Johnson au détri-
ment de l’Union européenne.
La baisse des marchés peutelle se poursuivre ?
Même si une grande partie du recul est derrière
nous, je pense qu’il existe encore un peu de marge
pour descendre à proximité des 5.100 points, soit
légèrement au-dessous du plus-bas de fin mai.
Mais je ne pense pas que le Cac 40 baissera plus,
car les investisseurs qui avaient été trop optimis-
tes sur les négociations commerciales ont déjà
lâché prise. En revanche, ceux qui sont sous-in-
vestis et qui ont raté la hausse de ces derniers
mois sont à l’affût pour renforcer leurs positions.
Quels secteurs sont à privilégier ?
Je m’intéresse aux technologiques comme
Capgemini ou Atos, car elles sont les premières
à rebondir. J’ai profité de la baisse du secteur du
luxe pour renforcer Kering. BNP Paribas, très
faiblement valorisée et qui offre un rendement
de plus de 7 %, est aussi attrayante, car je pense
que les banquiers centraux feront quelque
chose à la rentrée pour les banques, très pénali-
sées par les taux d’intérêt très bas. Enfin, les
pétrolières, par exemple Total, offrent de gros
rendements, et certaines industrielles comme
Michelin, qui a dévissé, ou Schneider Electric,
qui a révisé à la hausse ses perspectives
bénéficiaires, ne manquent pas d’attrait.
ÉRIC BLEINES, SWISS LIFE GESTION PRIVÉE
Pensezvous que la guerre commer
ciale va se calmer, ou peutelle empirer ?
La guerre commerciale a empiré car, pour
la première fois, la Chine a riposté fortement en faisant
baisser le yuan, en arrêtant les importations de produits ali-
mentaires américains et en proférant des menaces voilées
sur les terres rares. Même s’il reste presque un mois avant
l’entrée en vigueur du renchérissement des droits de
douane américains, je ne crois pas à une amélioration d’ici
là. Quand un conflit n’avance pas, une escalade est possible,
surtout lorsque deux grands ego se confrontent. Au pas-
sage, je remarque qu’il n’est pas innocent que le président
américain ait relancé la guerre commerciale le lendemain
de l’intervention de Jerome Powell. Il dramatise la situa-
tion pour favoriser une baisse des taux d’intérêt.
La baisse des marchés peutelle se poursuivre ?
La faiblesse des volumes de transactions en août constitue
un problème. Elle rend possibles des mouvements exagé-
rés en réaction à de mauvaises nouvelles. Une poursuite du
conflit pourrait ramener le Cac 40 vers ses prochains sup-
ports chartistes, à savoir 5.150 points, voire 5.020 points.
A ces niveaux-là, il faudra réfléchir à des achats.
Quels secteurs sont à privilégier ?
Je mets l’accent sur les secteurs résilients au conflit com-
mercial et qui bénéficient de la baisse des taux d’intérêt.
Il s’agit principalement de valeurs domestiques comme les
immobilières, les concessions et les télécoms.
CHRISTIAN GINOLHAC,
Pensez GASPAL GESTION
vous
que la guerre
commerciale va se calmer,
ou peutelle empirer ?
A ce stade, nous n’avons aucune
idée sur l’intensité ni le timing.
Entre maintenant et novem-
bre 2020, beaucoup d’événe-
m e n t s p e u v e n t e n c o r e s e
produire. La Chine a besoin de
soutenir son économie pour
faire accepter sa politique,
alors que Donald Trump a
besoin d’agir politiquement
pour maintenir l’économie
dont le cycle n’est pas terminé
mais bien avancé.
Le sujet de fond actuel est le
déplacement du problème de
la guerre commerciale vers le
change. Cette évolution est
dangereuse avec le risque de
déboucher sur une spirale
déflationniste si tous les pays
utilisent l’arme de la dépré-
ciation monétaire. Dans un tel
scénario, il y a toujours une ou
deux monnaies qui servent de
v a l e u r r e f u g e e t q u i , a u
contraire, s’apprécient.
La volatilité du marché des
changes réduit considérable-
IGOR DE MAACK,
DNCA
ment la visibilité des entrepri-
ses. L’exemple du secteur du
luxe, qui devient moins à la
mode, est parlant.
La baisse des marchés
peutelle se poursuivre ?
N o u s s o m m e s d a n s u n e
période où les marchés réagis-
sent à la moindre information,
au moindre tweet de Donald
Trump. Dans ce contexte, il est
difficile de faire un pronostic
sérieux. Parallèlement, nous
avons une révision à la baisse
d’environ 5 % des estimations
de bénéfice des sociétés, ce qui
me paraît normal, et en tout cas
sain pour que les investisseurs
soient tentés de revenir sur
le marché.
Quels secteurs sont
à privilégier ?
Nous assistons d’ores et déjà à
un début de rotation en raison
de la très forte surperformance
d e s va l e u r s d e c ro i s s a n c e
depuis des années. Les sociétés
value et domestiques devraient
s’en tirer mieux que les autres.
Les banques et les télécoms
pourraient en être les gagnants.
L’AVIS DE HUIT GÉRANTS
Pensezvous que la guerre
commerciale va se calmer,
ou peutelle empirer ?
Une guerre commerciale est
négative pour tout le monde. Je
pense qu’il y a un ralentisse-
ment de la croissance qui fragi-
lise l’économie mondiale. Les
négociations actuelles pèsent
donc sur la tendance. Mon
espoir est que tout cela se
calme, mais je suis inquiet. La
dégradation des relations entre
la Chine et les Etats-Unis peut
s’intensifier. C’est bien pour
cette raison que les marchés ont
réagi violemment ces derniers
jours. Si l’escalade se poursuit
- ce qui n’est pas impossible –, il
sera difficile de trouver un
accord, même a minima, dans
un délai rapide. Or, au-delà des
questions de balance commer-
ciale, les problèmes de fond
résident dans le transfert de
technologies et les droits à la
propriété intellectuelle.
Les incertitudes actuelles sont
donc importantes et peuvent
aboutir à ce que les chefs d’entre-
prise freinent leurs investisse-
ments, ce qui pourrait provoquer
un ralentissement important.
STÉPHANE DÉO,
LA BANQUE POSTALE
La baisse
des marchés
peutelle se
poursuivre ?
La trajectoire des marchés
pourrait être heurtée pour les
investisseurs qui souhaitent se
positionner à moyen terme. De
plus, un certain nombre d’indi-
cateurs avancés sont moins bien
orientés, tels que les comman-
des durables, les créations
d’emplois ou encore les PMI du
secteur manufacturier, depuis
quelques mois déjà. Si une crise
de confiance devait se confir-
mer, cela pourrait avoir un
impact négatif important sur
la Bourse.
Quels secteurs sont
à privilégier ?
Les valeurs les plus cycliques
- industrie, matériaux, etc. –
devraient souffrir. Les défensi-
ves sont très chères. Paradoxale-
ment, les values ont commencé à
s’apprécier. C’est contre-intuitif
puisqu’il faut les éviter si l’éco-
nomie ralentit. Cette contradic-
tion est pour moi le symptôme
d’une valorisation extrême du
marché, surtout en Europe.
Pensezvous que la guerre
commerciale va se calmer,
ou peutelle empirer ?
Nous sommes entrés dans un nouveau
chapitre des tensions commerciales.
La prochaine reprise économique, que
nous avions prévue pour le début 2020,
après une stabilisation cette année, est remise en question du
fait de ces nouvelles incertitudes. Tout ce qui se passe pour-
rait aboutir à une appréciation du dollar et à une entrée pos-
sible dans une guerre des monnaies.
La baisse des marchés peutelle se poursuivre ?
L’incertitude politique est actuellement très élevée. Pour
autant, le pire n’est pas certain. En cas de trop forte dégra-
dation de l’économie chinoise, les autorités du pays pour-
raient accroître le stimulus fiscal au-delà de ce qu’ils ont
annoncé. Par ailleurs, les banques centrales sont aussi à
la manœuvre.
Quels secteurs sont à privilégier ?
Si la reprise économique devait être différée, il est alors
trop tôt pour se repositionner sur les cycliques. Il faut aussi
faire attention à éviter une exposition trop forte aux pays
émergents, qui pourraient subir une sortie de capitaux si le
dollar devait s’apprécier. Enfin, la sélection des devises sera
primordiale.
GERGELY MAJOROS,
CARMIGNAC GESTION
Pensezvous que la guerre
commerciale va se calmer,
ou peutelle empirer ?
Nous sommes clairement dans un
scénario d’amplification des ten-
sions diplomatiques. Les Chinois
n’ont plus confiance dans la politique du
président américain, et ce dernier est persuadé que
l’économie américaine est assez résiliente pour qu’il
mène une stratégie offensive et un discours « faucon »
afin d’aboutir à un accord de grande envergure pour son
pays. Or, la réalité est différente. Ils ont tous deux intérêt
à se mettre d’accord, mais actuellement la déraison
l’emporte.
La baisse des marchés peutelle se poursuivre ?
Tous les moteurs qui permettent d’alimenter la Bourse
font défaut. Malgré tout, existe-t-il un risque fort? Je ne
le pense pas. Les marchés sont protégés par les banques
centrales. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que
leur marge de manœuvre est réduite. Elles peuvent atté-
nuer les chocs, mais pas éliminer la totalité des risques.
Quels secteurs sont à privilégier ?
Le scénario qui prime depuis plusieurs mois n’est pas
modifié. La prise de risque en faveur des actions est
nécessaire, et les valeurs de croissance devraient rester
les plus recherchées malgré leur valorisation.
CHRISTIAN PARISOT, AUREL BGC
Pensezvous que la guerre
commerciale va se calmer,
ou peutelle empirer ?
A court terme, elle peut empirer.
Mais je ne suis pas trop inquiet à
moyen terme, car tout le monde
a intérêt à un accord. Donald
Trump sait parfaitement que sa
réélection est tributaire d’une
économie en bonne santé. Mais
il ne peut pas gagner sur tous les
tableaux, avec un dollar faible,
des taux d’intérêt très bas et une
conjoncture florissante. Il a d’ores
et déjà perdu sur le dollar, qui s’est
apprécié face au yuan. A cet égard,
j’anticipe une stabilisation au
niveau actuel.
La baisse des marchés peutelle
se poursuivre ?
Un recul complémentaire com-
pris entre 3 % et 5 % est possible,
mais je suis persuadé que l’on ter-
minera l’année sur des niveaux
plus élevés que les cours actuels.
J’ai apprécié que le repli se soit fait
rapidement, car cela a permis
de refermer des gaps laissés
ouverts pendant la hausse récente.
Cela constitue pour moi un signal
ARMIN ZINSER,
SOCIÉTÉ DE GESTION PRÉVOIR
positif. Je ne
pense pas du
tout que nous
soyons dans une situation com-
parable à celle de 2008-2009, car,
si la croissance mondiale est
en phase de ralentissement, elle
restera en 2019 supérieure à
2,5 %. La baisse actuelle est donc
purement politique.
Quels secteurs sont à privilégier ?
A mon retour de vacances, lundi
dernier, j’ai vendu le fabricant alle-
mand de puces Infineon pour
acheter l’éditeur néerlandais Wol-
ters Kluwer. Ces prochains jours,
j’anticipe de renforcer le secteur
immobilier, avec par exemple
l’allemand Vonovia et l’autrichien
S-Immo, qui profite de taux
d’intérêt très bas. D’une façon
générale, je pense réduire la pon-
dération des cycliques au bénéfice
de valeurs plus défensives. Je suis
depuis longtemps totalement à
l’écart du secteur automobile, à
l’exception de la société belge
Melexis, qui est positionnée sur le
créneau porteur de la voiture
autonome.