12 |économie & entreprise MERCREDI 21 AOÛT 2019
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Le géant chinois du
nucléaire placé sur liste
noire aux EtatsUnis
CGN, partenaire privilégié d’EDF, a été interdit
d’accès aux technologies américaines
E
n plein cœur de l’été, la dé
cision est passée inaper
çue : le département amé
ricain du commerce a placé, jeudi
15 août, plusieurs groupes nu
cléaires chinois sur sa liste noire,
qui interdit aux entreprises amé
ricaines toute activité commer
ciale avec ceuxci. Or le China
General Nuclear Power Group
(CGN, le plus grand groupe public
nucléaire chinois) est le principal
partenaire d’EDF en Chine, mais
aussi au Royaumeuni, où il as
sure un tiers du financement du
projet Hinkley Point, qui consiste
à édifier deux réacteurs de type
EPR dans l’ouest de l’île.
Le gouvernement Trump avait
déjà annoncé des restrictions à
l’export vers la Chine en 2018
pour les sociétés américaines. Il
va plus loin, en interdisant for
mellement l’accès à CGN à toutes
les technologies nucléaires amé
ricaines. Sur fond de guerre com
merciale entre Pékin et Washing
ton, le département américain du
commerce accuse ces groupes
d’avoir tenté « d’acquérir des tech
nologies nucléaires américaines
de pointe pour des usages militai
res en Chine ».
Problèmes de financement
En 2016, le département améri
cain de la justice avait accusé CGN
d’espionnage industriel et, en
août 2017, un ingénieur de l’entre
prise avait été condamné à deux
ans de prison aux EtatsUnis pour
avoir tenté de recruter des ex
perts nucléaires afin de dévelop
per des applications militaires.
Les conséquences de ce choix
risquent d’être importantes outre
Manche, où CGN joue un rôleclé
dans le développement du nu
cléaire. Les réacteurs britanniques
actuels arrivent en fin de vie et
doivent être fermés entre 2025 et
2035 (ils fournissent environ 20 %
de l’électricité du pays). Le gouver
nement a prévu plusieurs nou
veaux réacteurs, mais les difficul
tés se sont accumulées en raison
de problèmes de financement.
Le seul projet en cours de cons
truction se trouve à Hinkley
Point, dans le Somerset, à l’initia
tive d’EDF. Mais, pour pouvoir as
surer le financement colossal de
deux réacteurs EPR, le groupe
français a dû faire appel à son par
tenaire chinois CGN, qui assure
33 % de cet investissement à
24 milliards d’euros. Un engage
ment controversé au Royaume
Uni, mais qui a fini par recevoir le
soutien des autorités.
Contacté par Le Monde, EDF juge
que cette décision ne devrait pas
avoir d’impact sur le calendrier de
Hinkley Point. Le premier réacteur
doit démarrer en 2025. Le contrat
signé avec les autorités prévoyait
de travailler essentiellement avec
des soustraitants britanniques.
Mais les effets en chaîne que pour
rait provoquer la décision améri
caine sont mal connus.
Elle est susceptible d’avoir
d’autres incidences sur le déve
loppement du nucléaire britanni
que : outre Hinkley Point, CGN a
déposé un dossier auprès des
autorités pour faire valider son
propre modèle de réacteur (le
Hualong1) et le construire dans le
pays. Les investissements du
groupe au RoyaumeUni s’élèvent
à près de trois milliards d’euros.
En Chine même, CGN est un par
tenaire de longue date d’EDF et
exploite les deux seuls EPR en ac
tivité dans le monde, à Taïshan
(sudest). Le groupe public
chinois est en outre le partenaire
privilégié du groupe américain
Westinghouse, qui a construit
plusieurs réacteurs de conception
américaine en Chine, dont deux
sont déjà connectés au réseau.
Alors que plusieurs puissances
nucléaires occidentales dimi
nuent leurs investissements
dans le nucléaire civil, la Chine en
fait une priorité. Un tiers des cen
trales en construction dans le
monde se trouve dans ce pays.
Les autorités de Pékin ont fustigé
l’attitude des EtatsUnis et jugent
que Washington « abuse du con
cept de la sécurité nationale et de
la mesure du contrôle des expor
tations ». Certains médias chi
nois y ont vu un écho aux déboi
res du géant des télécommunica
tions Huawei.
nabil wakim
3,4 MILLIARDS
C’est, en euros, le montant du chiffre d’affaires lié à la vente de
211,1 millions de bouteilles de cognac durant la campagne 2018-2019,
selon le Bureau national interprofessionnel du cognac. Les ventes de
l’eau-de-vie charentaise, tirées par la demande américaine, ont connu
une cinquième année de croissance d’affilée, tant en valeur (+ 6,9 %)
qu’en volume (+ 2,5 %), a annoncé, lundi 19 août, l’organisme profes-
sionnel. Le cognac s’écoule à 98 % à l’export, la France ne représentant
que son cinquième marché. – (Reuters.)
I N T E R N E T
Les GAFA
dénoncent une taxe
numérique française
« discriminatoire »
Les représentants d’Amazon,
de Facebook, de Google et
d’autres leaders de l’Internet
ont protesté collectivement,
lundi 19 août, lors d’audi
tions à Washington, contre la
taxation française des Goo
gle, Apple, Facebook et Ama
zon (GAFA), dénonçant ré
troactivité, discrimination et
double imposition. La loi
française, promulguée le
11 juillet, crée un impôt sur le
chiffre d’affaires des GAFA
sur le territoire, alors que ces
sociétés sont, pour la plu
part, situées aux EtatsUnis,
où elles sont imposées sur
leur bénéfice. Une trentaine
de groupes réalisant au
moins 25 millions d’euros de
chiffre d’affaires en France et
750 millions d’euros dans le
monde devront s’acquitter
de cet impôt. – (AFP.)
T R A N S P O R T
En difficulté,
la compagnie low cost
Norwegian cède
ses actifs bancaires
La compagnie à bas coûts
Norwegian Air Shuttle, en
pleine tempête financière, a
annoncé lundi 19 août, la
cession de ses actifs bancai
res, qui lui permettra de
faire entrer 2,2 milliards de
couronnes (222 millions
d’euros) dans ses caisses. Le
transporteur va céder en
deux temps ses 17,47 % dans
la banque Norwegian Finans
Holding à des groupes finan
ciers nordiques. – (AFP.)
Washington accorde un nouveau sursis
au groupe de télécoms chinois Huawei
La firme peut poursuivre ses échanges avec des sociétés américaines jusqu’au 19 novembre
H
uawei peut encore souf
fler un peu. Les Etats
Unis ont accordé, lundi
19 août, un sursis supplémentaire
de trois mois au groupe chinois
pour poursuivre ses échanges
commerciaux avec les entrepri
ses américaines. La firme du mil
liardaire Ren Zhengfei, numéro
un mondial des ventes d’équipe
ments télécoms et bête noire des
EtatsUnis, se trouve sur la sellette
depuis le 16 mai, date à laquelle
Washington l’a officiellement
placée sur une liste noire, lui in
terdisant tout achat ou vente
auprès des entreprises du pays.
Face au tollé déclenché par cette
décision, qui avait pris de court à
la fois les fournisseurs et les
clients américains du géant chi
nois, un premier répit de quatre
vingtdix jours lui avait cepen
dant été octroyé en mai, mais il ar
rivait à son terme.
Soucieux de ne pas pénaliser les
sociétés américaines qui tra
vaillent avec le groupe de télé
coms, Washington a préféré tem
poriser et s’accorder un nouveau
délai de réflexion, la nouvelle
échéance étant fixée au 19 no
vembre. « Alors que nous conti
nuons d’exhorter les consomma
teurs à délaisser les produits de
Huawei, nous reconnaissons qu’il
faut plus de temps pour éviter
toute perturbation », s’est justifié
Wilbur Ross, le secrétaire améri
cain au commerce, dans un com
muniqué. De nombreux opéra
teurs ruraux aux EtatsUnis dé
pendent en effet des équipe
ments télécoms de la firme de
Shenzhen pour le déploiement de
leurs réseaux.
Ces dernières semaines, de
grands fournisseurs américains
de l’entreprise chinoise, à l’instar
de Qualcomm, Intel ou Google,
étaient également montés au cré
neau auprès du gouvernement de
Donald Trump, inquiets de voir
leur échapper un partenaire aussi
important. Le groupe de télécom
munications est un client de
poids : ses achats auprès d’entre
prises américaines atteignaient
plus de 11 milliards de dollars
(10 milliards d’euros) en 2018.
Le signe d’une détente?
Alors que les négociations com
merciales entre la Chine et les
EtatsUnis patinent depuis des
mois, Huawei est devenu l’un des
leviers de pression récurrents
dans l’épreuve de force qui op
pose les deux premières puissan
ces économiques mondiales,
Washington n’hésitant pas à
souffler le chaud et le froid.
Dimanche, le président améri
cain Donald Trump avait ainsi
une nouvelle fois laissé planer le
doute au sujet du champion chi
nois des télécoms. « Pour le mo
ment, il semble plutôt que nous
n’allons pas faire affaire (...). Je ne
veux pas du tout faire affaire [avec
Huawei], parce que c’est une me
nace pour la sécurité nationale »,
avaitil lancé devant la presse.
Fautil pour autant voir dans
l’annonce faite lundi le signe
d’une détente de la part des Etats
Unis? Le secrétaire au commerce
n’a pas manqué de rappeler les
multiples inquiétudes du gou
vernement américain quant à la
sécurité des équipements télé
coms vendus par le groupe de
Shenzhen, alors que la nouvelle
génération de téléphonie mo
bile, la 5G, commence tout juste à
être déployée un peu partout
dans le monde.
Washington, qui n’a cessé de
mettre en garde ses alliés euro
péens ces derniers mois, soup
çonne l’entreprise chinoise d’être
à la solde de Pékin et d’intégrer
des portes dérobées dans ses ma
tériels à des fins d’espionnage, ce
que Huawei dément formelle
ment. « Nous ne pouvons pas nous
permettre de prendre un risque,
alors que nous passons à l’ère de
l’Internet des objets, où tout sera
interconnecté », a insisté M. Ross.
Et si les autorités américaines
ont prolongé la période d’exemp
tion de Huawei, qui autorise des
« transactions spécifiques et limi
tées », elles ont par ailleurs étendu
la liste des filiales du groupe chi
nois inscrites sur leur liste noire.
« Nous avons décidé d’ajouter
46 autres filiales de Huawei à la
liste des entités (...). Nous avons
maintenant plus de cent filiales
dans la liste. L’ajout de ces filiales
rend plus difficile pour Huawei de
contourner les sanctions », a pré
cisé Wilbur Ross sur Fox Business.
Conscient du climat plus
qu’hostile des EtatsUnis à son en
contre et de la versatilité des déci
sions américaines, Huawei pré
pare la contreoffensive. Le
groupe dispose ainsi d’une im
portante réserve de composants
pour lui permettre de continuer à
produire ses smartphones mal
gré les restrictions.
Il a aussi accéléré la mise au
point de son propre système d’ex
ploitation, Harmony OS, dévoilé
le 9 août lors de sa conférence an
nuelle des développeurs, et des
tiné à remplacer au pied levé An
droid sur ses téléphones, si
d’aventure les EtatsUnis déci
daient de couper définitivement
les ponts le 19 novembre. Mieux
vaut prévenir que guérir.
zeliha chaffin
Brexit : chaos et pénurie en vue au
RoyaumeUni en cas de « no deal »
Le « Sunday Times » a publié des documents gouvernementaux confidentiels
prédisant des heures sombres dans l’hypothèse d’un divorce sans accord
londres correspondante
L’
hebdomadaire britan
nique Sunday Times a
réalisé un beau scoop,
dimanche 18 août, en
publiant des documents gouver
nementaux confidentiels qui pré
cisent les conséquences d’un « no
deal » (absence d’accord) pour le
RoyaumeUni, au lendemain du
Brexit, prévu le 31 octobre. L’opé
ration « Yellowhammer » (le nom
de code desdits documents) fai
sait encore les gros titres de la
presse nationale, lundi, tant ses
conclusions sur l’état à venir du
pays à partir du 1er novembre sont
alarmantes.
Les Britanniques doivent s’at
tendre à des pénuries de légumes
et de fruits frais, d’autant qu’à
cette période de l’année, la pro
duction intérieure s’épuise et que
les détaillants ont surtout recours
aux importations. Dans la me
sure où le RoyaumeUni devien
dra un « pays tiers », et où il devra
probablement réintroduire des
taxes sur les produits européens
importés sur son territoire, les
consommateurs doivent aussi
compter avec des hausses de prix
importantes. Cette inflation « pé
nalisera en premier lieu les classes
vulnérables », à faibles revenus,
prévient le document.
Autre incidence inquiétante
d’un tel scénario : le manque de
produits chimiques pour le retrai
tement des eaux, qui pourrait af
fecter des « centaines de milliers »
de personnes, précise le rapport.
Celuici évoque en outre le risque
de ruptures d’approvisionnement
dans les pharmacies et les hôpi
taux, alors que les « trois quarts »
des médicaments utilisés dans le
pays transitent par le tunnel sous
la Manche, où les embouteillages
s’annoncent considérables.
Ces engorgements pourraient
durer au moins trois mois, avant
que le trafic des camions s’amé
liore (un peu) : il ne reprendrait au
mieux début 2020 qu’à 50 % à
70 % de son niveau actuel. En ef
fet, 85 % des chauffeurs britanni
ques ne seraient pas prêts pour les
contrôles douaniers que la France
mettra en place dès le 1er novem
bre. Les retards à prévoir à l’em
barquement sur un ferry ou au
passage du Channel pourraient
atteindre deux jours et demi pour
un semiremorque britannique...
Une pénurie de carburant est
également à prévoir, notamment
à Londres et dans le sud de l’Angle
terre, à savoir les territoires le plus
densément peuplés du pays. Des
échauffourées entre pêcheurs
britanniques et européens (no
tamment français) ne sont pas à
exclure, sachant qu’à compter du
1 er novembre, plus de 280 bateaux
européens pêcheront illégale
ment dans les eaux britanniques.
Enfin, les responsables britanni
ques s’attendent au retour « inévi
table, sous quelques semaines »,
d’une frontière dure en Irlande,
rendue nécessaire pour éviter la
contrebande entre un territoire
de l’Union européenne (UE) – la
République d’Irlande – et l’Irlande
du Nord, rattachée au Royaume
Uni. Avec son corollaire : la réap
parition possible des troubles en
Irlande, l’absence d’une frontière
sur l’île étant l’une des composan
tes essentielles de l’accord de paix
nordirlandais de 1998.
Selon une source gouverne
mentale citée par le Sunday Ti
mes, ces cas de figure sont « réalis
tes ». « C’est la situation la plus pro
bable à laquelle les Britanniques
seront confrontés en cas de “no
deal”. » Ces révélations tombent
au mauvais moment pour Boris
Johnson, avant deux rencontres
capitales – avec la chancelière alle
mande, Angela Merkel, mercredi,
puis le président français, Emma
nuel Macron, le lendemain – et sa
participation au G7 de Biarritz, le
weekend prochain.
Tactique risquée
Depuis son entrée en fonctions, le
24 juillet, le premier ministre bri
tannique semble tout miser sur le
fait que les Européens, redoutant
un « no deal », finiront par céder et
accorder à son pays un meilleur
accord. Or, les révélations du Sun
day Times montrent que cette tac
tique est risquée, en soulignant la
grande vulnérabilité du Royau
meUni, qui dépend à presque
50 % des importations européen
nes, et son état d’impréparation.
En effet, les secteurs public et privé
avaient pris des dispositions pour
une sortie de l’UE le 31 mars, mais,
après deux reports successifs de la
date du divorce, ils ont été atteints
par une « EU Exit fatigue »...
La contreoffensive du 10 Dow
ning Street n’a pas tardé. Dès di
manche, l’entourage de M. John
son a accusé « d’anciens ministres
remainers [ceux qui voulaient
rester dans l’UE] », d’avoir orga
nisé les fuites pour « affaiblir la
position de négociation » du pays
face à Bruxelles. Premier visé : le
conservateur Philip Hammond,
exchancelier de l’échiquier, de
venu ces dernières semaines l’un
des fers de lance de la fronde « an
tino deal ». « Il ne s’agit absolu
ment pas de lui », a réagi l’entou
rage de M. Hammond, lundi. « La
sortie de l’UE sans accord ne se fera
pas sans quelques soubresauts en
chemin, a concédé Boris Johnson
luimême lundi matin, lors d’une
visite en Cornouailles. Mais je n’ai
absolument aucun doute sur le
fait que nous puissions être prêts. »
Le ministre Michael Gove,
chargé de planifier la sortie de
l’UE sans accord, a affirmé, de son
côté, que les documents étaient
« anciens » et dataient du temps
où le précédent gouvernement
faisait de l’obstruction à tous les
préparatifs nécessaires en cas de
« no deal ». Depuis sa prise de
poste, fin juillet, 2 milliards de li
vres (2,2 milliards d’euros) ont été
dégagés pour un divorce sans ac
cord, a souligné M. Gove.
Cependant, le Times enfonçait le
clou lundi matin, en notant que
les conclusions de l’opération
« Yellowhammer » dataient du
mois d’août. L’information était
la même du côté du site Politico :
les documents ont commencé à
circuler dès les premiers jours de
M. Johnson à Downing Street...
cécile ducourtieux
Cet article est le premier
de Cécile Ducourtieux en tant
que correspondante à Londres.
Les responsables
britanniques
s’attendent
au retour
« inévitable »
d’une frontière
dure en Irlande
Les achats de
Huawei auprès
d’entreprises
américaines
ont atteint plus
de 11 milliards de
dollars en 2018