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avec nos sens fait partie des luttes que nous devons mener. »
Dans les années 1980, alors agronome au département de
l’Agriculture portoricain, elle réalise que les gouverne-
ments local et fédéral appliquent des méthodes bien diffé-
rentes de celles de la ferme familiale. « J’ai vu nos agricul-
teurs empoisonner leur terre et leur eau avec les herbicides et
les insecticides. Mon travail entrait en conflit avec ce que mon
grand-père m’avait appris. » Elle démissionne et découvre
l’agroécologie, ses pratiques, ses revendications. Elle de-
vient professeure au sein du programme agricole de l’école
Botijas-I, en place depuis 1932. Les enfants ne passent que
cinq minutes en classe, le temps d’enfiler leurs bottes. Le
cours a lieu sur la parcelle qui leur est attribuée, où ils
plantent, surveillent et cueillent de joufflus haricots noirs,
du chou rouge, des carottes, des oignons verts ou le sou-
verain plantain, indispensable à la préparation du mofon-
go, plat emblématique de la cuisine portoricaine. Dalma
Cartagena milite pour que cet enseignement devienne
obligatoire dans tous les établissements de l’île. Elle pense
aussi créer des ateliers similaires pour le troisième âge,
majoritaire dans les villages. « Nous sommes riches tant que
nous avons notre terre, notre eau et que nous connaissons
leur valeur. Sans ça, nous sommes perdus. »
Autour de l’école, impossible de rater les panneaux « Se
vende » (« A vendre »), ou ces nombreuses maisons pastel au
toit plat d’inspiration coloniale andalouse dont les rideaux
sont baissés. Depuis dix ans, la dette et l’austérité ont enfon-
cé l’archipel dans le chômage et la faillite ; la moitié de la po-
pulation vit sous le seuil de pauvreté fédéral, un chiffre qui
atteint 87 % dans un village rural comme Orocovis. Alors les
gringos du continent rachètent pour une bouchée de pain,
terrain après terrain, les sites les plus attrayants de Porto
Rico, pour y bâtir leurs maisons de vacances. Tout citoyen
américain installé ici est exonéré d’impôt fédéral sur ses re-
venus gagnés sur l’île. La construction de ces résidences se-
condaires va de pair avec la fuite des jeunes Portoricains
vers le sud hispanophone des Etats-Unis. Les plus diplômés
ne trouvent pas de travail, tandis que les moins qualifiés
sont incités à partir pour fournir une main-d’œuvre bon
marché au Texas ou en Floride. Depuis 2015, il y a plus de
Portoricains sur le continent qu’à Porto Rico. L’île se vide
peu à peu : en moins de vingt ans, elle a perdu 16 % de ses ha-
bitants, laissant une habitation sur cinq inoccupée.
En septembre 2017, Porto Rico touche le fond. L’une des
pires catastrophes de son histoire porte un doux nom es-
pagnol — Maria. Un ouragan de catégorie maximale, le plus
puissant depuis 1928. Des vents de 280 kilomètres-heure,
de ceux qui tordent le métal et brisent le verre. Maria dé-
pouille les forêts de leurs feuilles et les maisons de leurs
toits. Les autorités ne le diront pas tout de suite mais Maria
tue, aussi. Un bilan officiel, établi seulement un an plus
tard, parle de 2 975 morts. Une équipe de chercheurs de
Harvard en dénombre 4 645. La moitié de la population se
retrouve sans électricité, 470 000 logements sont touchés,
80 % des récoltes sont détruites. Coût estimé du passage de
Maria : 90 milliards de dollars.
Coupés du monde, privés de nourriture, les Portoricains
dépendront pendant des mois de l’aide alimentaire améri-
caine — parfois seulement des cartons de bonbons Skittles,
de viande reconstituée et de gâteaux apéritifs. Sur le plan
énergétique aussi, l’île se retrouve abandonnée : les réseaux
électriques vieillissants sont dévastés, tout comme la cen-
trale de Palo Seco, qui dépend de combustibles fossiles im-
portés. Certains villages resteront onze mois sans électricité.
Donald Trump assure avoir débloqué 91 millions de dollars,
dont moins de la moitié a été allouée à ce jour. Le président
☞ A Orocovis, où 87 %
de la population
vit sous le seuil
de pauvreté,
des adolescents
bénévoles
travaillent dur
sur la parcelle
de la ferme de
l’école Botijas-I,
dans les
montagnes.
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