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INTERNATIONAL
SAMEDI 10 AOÛT 2019
C R I S E G O U V E R N E M E N T A L E E N I T A L I E
En position de force,
Salvini réclame des
élections anticipées
Le ministre de l’intérieur italien, leader de
l’extrême droite, a annoncé la fin de sa coalition
avec le Mouvement 5 étoiles. Le gouvernement
de Giuseppe Conte ne tient plus qu’à un fil
et les partis se préparent à un nouveau scrutin
rome - correspondance
Q
uand il est apparu dans la
salle de presse du Palais
Chigi, dans la soirée du
jeudi 8 août, un peu après
23 heures, le président du
conseil italien, Giuseppe
Conte, ne semblait plus
qu’un condamné en sursis. Lâché par son
tout-puissant numéro deux, Matteo Salvini,
le chef politique de la Ligue (extrême droite)
qui avait décidé quelques heures plus tôt de
ne pas poursuivre l’expérience gouverne-
mentale, il ne paraissait pas avoir d’autre
issue que celle de jeter l’éponge. Or – est-ce
parce qu’il n’avait plus rien à perdre? – il s’est
passé une chose tout à fait inattendue. Sou-
dain, et peut-être pour la première fois de-
puis son arrivée aux affaires, le 1er juin 2018,
Giuseppe Conte s’est mis à parler comme un
premier ministre.
La crise a été déclenchée mercredi soir après
l’adoption d’une motion favorable au chan-
tier de tunnel Lyon-Turin, votée par la Ligue
et l’opposition, tandis qu’était rejetée une
motion du Mouvement 5 étoiles (M5S), farou-
chement opposé au projet. Peu après le vote
des sénateurs, témoignant d’un désaccord
majeur à l’intérieur de la coalition, Matteo
Salvini s’est rendu au palais Chigi pour s’en-
tretenir avec Giuseppe Conte, et lui deman-
der un remaniement gouvernemental, sous
peine de provoquer des élections anticipées.
« TOURNÉE DES PLAGES »
M. Salvini veut la tête du ministre des infras-
tructures et des transports M5S, Danilo To-
ninelli, accusé de bloquer les grands chan-
tiers comme la ligne Lyon-Turin et de nuire
aux investissements dans la péninsule,
mais aussi celle de la ministre de la défense,
Elisabetta Trenta, soupçonnée de faire
obstacle à ses projets de contrôle des mers,
ainsi que le départ du ministre de l’écono-
mie, Giovanni Tria, tenant d’une ligne
conciliante avec Bruxelles. En l’état, Matteo
Salvini sait parfaitement qu’il est impossi-
ble de souscrire à ces demandes. Et, dès mer-
credi soir, la mécanique s’est enclenchée.
La journée de jeudi a été rythmée par les
navettes entre le Palais Chigi, siège de la
présidence du conseil, et celui du Quirinal,
où réside le président de la République, Ser-
gio Mattarella, acteur invisible mais omni-
présent dans ce genre de situations. Mais
aucune échappatoire, cette fois-ci, ne
semblait possible.
Ainsi donc, jeudi soir, le président du
conseil, se sachant condamné, s’est mis à
parler avec une détermination qu’on ne lui
connaissait guère, livrant même un dis-
cours ressemblant fort à une contre-atta-
que. « Ce n’est pas à M. Salvini de décider du
moment de la crise », a rappelé le chef du
gouvernement, qui a demandé explicite-
ment au ministre de l’intérieur de venir « ex-
pliquer au pays et de justifier aux électeurs les
raisons qui le conduisent à interrompre brus-
quement l’action du gouvernement ».
Ce faisant, Giuseppe Conte a repris ses ha-
bits de professeur de droit pour rappeler que
l’Italie est une République parlementaire et
qu’une crise politique se règle devant les
MATTEO SALVINI
A RÉGLÉ SES
COMPTES AVEC
LE M5S, PRÉCISANT
QUE L’ITALIE N’A « PAS
BESOIN DE MINISTRES
QUI BLOQUENT LES
TRAVAUX PUBLICS »
Un an de descente aux enfers pour le Mouvement 5 étoiles
Cannibalisé par Salvini, le parti antisystème n’a pas pu appliquer le plus gros de son programme et a vu ses résultats électoraux plonger
C’
était il y a à peine plus
d’un an, autant dire un
millénaire, au rythme
actuel des soubresauts de la politi-
que italienne. Le Mouvement
5 étoiles, ce « non-parti » qui ve-
nait de s’adjuger les suffrages d’un
tiers des électeurs italiens lors des
législatives du 4 mars 2018, cou-
ronnant son ascension météori-
que, avait décidé de conclure une
alliance d’un genre nouveau avec
une autre formation politique aty-
pique, la Ligue de Matteo Salvini
(17 % des voix aux mêmes élec-
tions).
Un « contrat » plutôt qu’un pro-
gramme commun, avec deux vice-
premiers ministres, Luigi Di Maio
et Matteo Salvini, chefs politiques
des deux formations composant
la coalition, s’exprimant sur un
pied d’égalité, et un premier mi-
nistre, Giuseppe Conte, sympathi-
sant du M5S mais suffisamment
neutre pour pouvoir faire figure
d’arbitre. Le gouvernement « gial-
loverde » – le jaune du « 5 étoiles »
(antisystème), le vert de la Ligue
(extrême droite) – était plébiscité
par l’opinion. Les trois personna-
ges de cette trinité atypique jouis-
saient de plus de 60 % d’opinions
favorables.
Cette situation ne trompait per-
sonne : la Ligue et le M5S, malgré
leurs convergences, sont trop con-
tradictoires dans les aspirations
qu’ils portent et trop concurrents
pour ne pas entrer, à terme, en col-
lision. De plus, à Rome, on sait
d’expérience que les triumvirats
ne sont pas faits pour durer. Celui
de Matteo Salvini, Luigi Di Maio et
Giuseppe Conte n’aura pas fait ex-
ception.
Après un an et deux mois d’exer-
cice du pouvoir, que reste-t-il de
cet attelage baroque? Le plus rusé
des trois protagonistes – Matteo
Salvini – est au faîte de sa puis-
sance. En comparaison, son ho-
mologue, Luigi Di Maio, paraît dé-
sormais complètement exsan-
gue : entre les élections législatives
de 2018 et les européennes du
26 mai dernier, sa formation est
passée de plus de 32 % des voix à à
peine 17 %, tandis que son « parte-
naire » faisait le chemin inverse.
Surtout, il a semblé dès le début in-
capable de porter la contradiction
pour la Ligue, tandis que les impré-
cations des « 5 Etoiles » contre « le
système » devenaient vides de
sens à mesure que le M5S s’institu-
tionnalisait.
Bilan plutôt mince
En à peine un an aux affaires, le
mouvement fondé par le comé-
dien Beppe Grillo et l’informati-
cien Gianroberto Casaleggio a
connu tant de mutations qu’il est
méconnaissable. Grillo a été mis à
distance, et n’apparaît plus
comme la figure de proue du
mouvement, tandis que le
nouveau chef politique, Luigi Di
Maio, a rompu avec plusieurs de
ses marqueurs idéologiques, im-
posant une série d’inflexions. La
gigantesque aciérie de Tarente
(Pouilles) dont le M5S réclamait la
fermeture depuis des années en
raison des risques pour les
populations voisines? Elle a été
reprise par Arcelor Mittal. Le
gazoduc transadriatique (TAP),
qui doit déboucher dans les
Pouilles, et se heurtait à une
opposition résolue du M5S? Lui
aussi sera mené à son terme. Du
fait de ces décisions, c’est tout le
discours d’origine du mouve-
ment, écologiste et décroissant,
qui est mis à mal. On comprend
mieux, dès lors, pourquoi il était
vital pour la formation de camper
sur ses positions en ce qui con-
cerne le chantier de ligne à grande
vitesse Lyon-Turin, marqueur his-
torique du M5S.
Au nom de ce contrat de
gouvernement, le durcissement
de la législation sur les migrants a
été voté par l’écrasante majorité
des parlementaires M5S. De
même, les activistes qui criaient
« Onesta! » (« Honnêteté! ») dans
les travées du parlement quelques
mois auparavant ont accepté la
mise en place d’une large amnis-
tie fiscale, dans l’espoir de contre-
balancer la fuite des capitaux. Il a
même fallu que les parlementai-
res du groupe arrêtent les pour-
suites contre Matteo Salvini, ac-
cusé de séquestration dans l’af-
faire du bateau Diciotti, interdit
d’accoster durant plusieurs jours
en août 2018.
Au fil de toutes ces volte-face, la
ligne « ni droite ni gauche » sur la-
quelle campait le mouvement de-
puis les origines ne trompe plus
grand monde. En revanche, le
Mouvement 5 étoiles peut mettre
en avant la mise en place du re-
venu de citoyenneté qui, même s’il
est loin des ambitions originelles,
constitue une réponse à la pau-
vreté et à la relégation des régions
méridionales.
Durer un peu plus
Pour le reste, le bilan de cette
formation est plutôt mince. Il faut
dire que dans la répartition des
portefeuilles, le M5S s’était adjugé
les dossiers les plus techniques et
complexes, sans disposer toujours
d’un personnel politique compé-
tent. Justice, travail, infrastructu-
res, écologie... en à peine une an-
née, et dans un contexte de gué-
rilla larvée avec son allié, le mou-
vement pouvait difficilement
obtenir des résultats immédiats.
Du côté de la Ligue, en revanche,
Matteo Salvini pouvait beaucoup
plus facilement mettre en avant
ses réalisations. Arrêter un navire
d’ONG est autrement plus aisé que
réformer le fonctionnement de la
justice, par exemple...
Depuis leur déroute aux euro-
péennes, les élus du mouvement
semblaient surtout décidés à ne
pas faire de vagues, pour durer en-
core un peu. Outre l’inévitable dé-
crue à attendre lors d’un prochain
vote, le M5S paie aussi l’existence
dans ses statuts, depuis les origi-
nes, d’une limitation à deux man-
dats, Ainsi donc, en cas de dissolu-
tion, tous les élus siégeant depuis
2013 seraient éliminés. Cette épée
de Damoclès pesant sur tous les
parlementaires « historiques » du
M5S explique la très faible pugna-
cité de ses élus, qui auront tout fait
pour éviter l’éclatement d’une
crise. En théorie, si un nouveau
scrutin est convoqué pour cet
automne, ni le président de la
Chambre des députés, Roberto
Fico, ni Luigi Di Maio lui-même ne
pourront se représenter.p
j. g.
Nouvelles révélations sur les liens
qui unissent la Ligue à Moscou
Les sites Buzzfeed et Bellingcat ont publié jeudi 8 août de nouveaux
éléments sur les liens entre le parti de Matteo Salvini et la Russie. Selon
les deux médias, qui ont eu accès aux données passagers du trafic aérien,
Gianluca Savoini, un proche de M. Salvini, déjà mis en cause en juillet
pour avoir négocié en octobre 2018 à Moscou avec des émissaires
un schéma pour obtenir 65 millions d’euros de financement opaque pour
la Ligue, se serait rendu quatorze fois en Russie cette année-là, et trois fois
début 2019. Les données sur ses voyages ont, par ailleurs, disparu
des bases officielles de l’immigration russe, ce qui « implique qu’elles
ont été soit effacées, soit qu’il a systématiquement reçu un traitement
spécial à son arrivée », selon le site d’investigation Bellingcat.