2019-08-17_Le_Temps

(Tina Sui) #1

LE DESIGN S’INSTALLE DANS LE SUD


Un objet que l’on pourrait
retrouver à la villa Noailles, à
Hyères, qui accueille comme
chaque année depuis quatorze
ans des expositions organisées
autour du concours design du
festival. Dans ce qui servait jadis
de piscine couverte à Marie-
Laure et Charles de Noailles,
Mathieu Lehanneur, président
du jury, présente une sélection
de son travail depuis dix ans. Le
designer français, qui cherche
depuis toujours comment allier
la forme et le fond de la nature
humaine, expose ses premiers
cocons-biotopes qui servaient
aussi de purificateur d’air. Pas-
sionné de géographie, de biologie
et d’astrophysique, il présente
également ses tables de contem-
plation qui répliquent en marbre
le clapot des vagues océaniques.

TUYAUX MUSICAUX
Il y a surtout le couple Abraham
& Rol, designers à la vie comme
à la ville pendant cinquante ans,
à qui la Design Parade apporte
un éclairage salutaire. A partir
de 1955, ce couple, franco-néer-
landais qui s’est rencontré à Paris
dans l’atelier du décorateur
Jacques Dumond, va réussir
l’union de l’élégance française
avec la modernité rigoureuse
hollandaise. Autant dire un tour
de force. Peu connus des
non-spécialistes, Janine Abra-
ham et Dirk Jan Rol vont ainsi
créer des meubles, mais aussi
réaliser des projets d’architec-
ture, qui revisitent l’usage du
béton et du rotin.
Reste à parler du concours. Ces
dernières années, le jury avait
souvent fort à faire, pris entre
des projets de design industriel
classiques et des propositions
beaucoup plus conceptuelles.
Pour cette 14e édition, les choses
sont plus claires. Le Français
Maxime Louis-Courcier a déve-
loppé un système de climatisa-
tion en tubes bioplastiques. Le
Colombien Simon Ballen Botero
recycle les résidus vitrifiés qui
affleurent dans les mines d’or
pour fabriquer des pots et des
bouteilles. Mais le gagnant du
Grand Prix est un luthier, dan-
seur et designer. Natif de Toulon,
Gregory Granados s’est inventé
un ensemble de percussions
super-esthétique, dont les ins-
truments et les baguettes qui
servent à les frapper proviennent
de fonds de cuve ou de tuyaux de
chauffage récupérés. Fantas-
tique symphonie. ■

Design Parade Hyères jusqu’au
29 septembre et Design Parade Toulon
jusqu’au 24 novembre.
Programme et renseignement sur
Villanoailles-hyeres.com

PAR EMMANUEL GRANDJEAN
t @ManuGrandj

Organisée à Hyères
et à Toulon, la Design Parade
fait du Var une région
incontournable pour le design
et l’architecture d’intérieur. Au
point que le Centre Pompidou
s’y installe pour trois ans

◗ En France, c’est Saint-Etienne qui
porte traditionnellement le titre
de cité du design. Dans cette course
à la palme de l’esthétique, Toulon
talonne désormais la préfecture de
la Loire et sa célèbre biennale. Le
chef-lieu du Var a quelques atouts
dans sa manche: le paysage, le beau
temps permanent et un pro-
gramme très grand public autour
de la création en design et en archi-
tecture d’intérieur.
Lancée en 2016, la Design Parade
Toulon a multiplié ses proposi-
tions, ses espaces d’exposition et
le nombre de ses mécènes et spon-
sors, dont Chanel, Rado et le
Mobilier national qui décerne en
2019 sa première récompense.
«Au bout de quatre ans, nous en
sommes au même point
aujourd’hui que le festival de
mode que j’ai créé il y a trente-cinq
ans, observe Jean-Pierre Blanc,
fondateur de la Design Parade. Si
la mode a pris plus de temps, c’est
parce qu’envisager un tel festival
hors de Paris était une idée invrai-
semblable pour un milieu très
particulier. Monter ici un événe-
ment autour du design et de l’ar-
chitecture d’intérieur était a
priori plus logique.»
C’est aussi sans doute que,
depuis quelques années, la pro-
fession connaît un spectaculaire
engouement, notamment relayé
par Instagram et ses millions de
clichés de lieux stylés. «Comme
la mode, l’architecture d’intérieur
raconte des histoires et fait rêver.
Je me souviens enfant des photos
dans les magazines qui me bala-
daient en Méditerranée ou ail-
leurs dans le monde à travers des
projets de décoration dingues.»

ARCHÉOLOGIE DU TRANSAT
Un métier de l’évasion qui a
convaincu le Centre Pompidou
d’exposer ici une sélection de
pièces de sa collection de design.
Le musée s’engage pour trois ans,
pour l’instant, mais avec déjà l’in-
tention de jouer les prolongations.
Pour autant, il ne s’agit pas d’im-
planter dans le Sud un Beau-
bourg-Toulon. Mais juste de pas-
ser l’été en province, dans une
ville qui ne ménage pas ses efforts
pour se pomponner et ainsi faire
un peu oublier son statut de port
militaire.
Pour sa première sortie varoise,
l’institution parisienne s’inté-
resse à l’humanité qui se vautre.
Nouvelles vagues explique ainsi
comment, grâce au paquebot, à la
médecine des bains de soleil et à
l’invention des congés payés, les
designers et architectes ont
inventé des meubles pour épouser

sujet de ce bac qui sent bon l’oli-
vier et dont il suffirait de se frot-
ter le dos contre ses parois pour
se décrasser. Notre inspiration
vient du Japon, où le bain a
moins une fonction de nettoyage
que de rituel. Et notamment de
la tradition du ofuro, cette bai-
gnoire en bois dans laquelle on
s’immerge déjà lavé pour médi-
ter et se délasser.»

Président du jury
de la Design Parade
Hyères, le Français
Mathieu Lehanneur
expose à la villa
Noailles une
sélection de son
travail depuis dix
ans. (FELIPE RIBON)

Au Centre naval, le Centre Pompidou présente une archéologie de la station couchée à travers la modernité dans une scénographie pop d’India Mahdavi. (INDIA MAHDAVI)

La table furieusement «paléolithique» de l’architecte et designer marseillais
François Champsaur. (LUC BERTRAND)

Inspirée par les bains japonais, le projet «Zou Maë» de Céline Thibault et Géraud Pellottiero
est intégralement fabriqué en pain de savon, baignoire comprise. (LUC BERTRAND)

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le corps qui se repose. Dans une
scénographie technicolor et tout
en ondulation pop de l’architecte
et designer India Mahdavi, l’expo-
sition démarre sa chronologie
avec le fauteuil transat d’Eileen
Gray de 1926, passe par les inévi-
tables fauteuils gonflables des
sixties, embraie sur le mobilier
sexy de Pierre Paulin et d’Olivier
Mourgue et s’arrête à la fin du
XXe siècle avec les chaises longues
de Martin Szekely et de Marteen
Van Severen aux lignes presque
typographiques.
Côté représentation suisse,
Youri Kravtchenko, Javier Fer-

et ouvert aux étudiants des écoles
d’art du monde entier. L’idée? A
Toulon, une dizaine d’équipes a eu
le soin de transformer les pièces
de l’ancien évêché bâti au milieu
de la ville en habitat éphémère
aussi bien concerné par l’esthé-
tique du Sud que par la conscience
durable. Tous les projets retenus
font ainsi un maximum appel à
l’artisanat et aux matériaux natu-
rels. Ce qui ne doit rien au hasard:
architecte, designer et président
du jury, le Marseillais François
Champsaur travaille dans cet
esprit de robinsonnade depuis
plus de vingt ans. Il propose d’ail-
leurs sa propre scénographie juste
à côté de l’exposition des concur-
rents. Et notamment une table en
terre cuite spectaculairement
«paléolithique» où, des assiettes à
l’évier, tout est sculpté dans une
matière ocre.

RITUEL DU BAIN
A ce défi naturaliste, ce sont
Céline Thibault et Géraud Pellot-
tiero, diplômés respectivement
de l’ENSCI (Ecole nationale supé-
rieure de création industrielle)
et de l’Ecole Boulle, qui ont rem-
porté à la fois le Prix du public et
le Grand Prix. Il faut dire que leur
salle de bains est intégralement
fabriquée en pain de savon made
in Toulon, baignoire comprise.
«Pour l’instant, c’est un proto-
type. Il faut encore résoudre le
problème de l’étanchéité,
explique Géraud Pellottiero au

nandez Contreras et leurs étu-
diants du département d’architec-
ture d’intérieur de la
HEAD-Genève remontent, dans
une échoppe toulonnaise, leur
corner shop bluffant où les articles
vendus à l’intérieur sont tous plus
faux que nature. Tandis que l’ar-
chitecte d’intérieur genevois
Valentin Dubois a conçu les
vitrines du nouveau Prix Visual
Merchandising décerné par la
maison Chanel.
Mais la Design Parade, c’est aussi
et surtout deux concours - un pour
l’architecture d’intérieur à Toulon,
un autre dédié au design à Hyères

LE TEMPS WEEK-END
SAMEDI 17 AOÛT 2019 EXPOSITION 23
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