18 | DIMANCHE 4 LUNDI 5 AOÛT 2019
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La mini-maison dans la prairie
Réconciliant confort et environnement,
la « Tiny House » fait de plus en plus
d’émules. A la clé : la promesse d’une vie
proche de la nature et moins sédentaire.
Un choix qui a néanmoins ses limites
ENQUÊTE
Par Catherine Rollot
D
ébut juin, Astrild est arri
vée chez Céline Roussey.
Une nouvelle venue bien
charpentée, tout en bois
massif, enrobée d’une
bonne isolation de coton
et de chanvre. Astrild est une Tiny House
(« maison minuscule »), le nom généri
que de ces micromaisons montées sur
une remorque, fusion entre les envies
écologiques et minimalistes et le rêve de
la cabane de trappeur. Loin de l’abri de
fortune ou de la caravane, ces petits nids
douillets qui offrent en version de poche
tout le confort d’un logis traditionnel sé
duisent de plus en plus de familles, qui
en font leur résidence principale.
Il y a à peine quelques mois,
l’orthophoniste libérale de HauteSaône
vivait avec son mari et sa fille dans une
vaste maison de 200 m^2 avec dépendan
ces sur plusieurs hectares de terrain.
Aujourd’hui, elle occupe une surface dix
fois plus petite, composée d’une pièce à
vivre avec cuisine tout équipée (réfrigé
rateur, plaques de cuisson, machine à la
ver), surmontée de deux mezzanines qui
font office de chambres et d’une salle de
bains avec douche et toilettes sèches.
Même si les plus de trois mètres
de hauteur de plafond donnent une sen
sation d’espace à la petite surface, com
ment et pourquoi réduiton ainsi ses
murs? « Pas par souci financier, prévient la
quinquagénaire en instance de divorce,
mais par lassitude d’entretenir une grande
maison, par la prise de conscience de la va
cuité d’avoir tous ces mètres carrés inutili
sés au quotidien. » L’envie de se tourner
vers un « mode d’habitat plus écologique »,
puis la découverte du mouvement Tiny
- un phénomène né aux EtatsUnis au dé
but des années 2000 en réaction à l’ac
croissement constant de la taille des habi
tations et qui a pris de l’ampleur avec la
crise immobilière de 2008 –, font germer
dans la tête du couple de propriétaires
l’idée d’une décroissance résidentielle.
Un an plus tard, la mère de fa
mille, qui, « paradoxalement, [a] toujours
aimé les petits espaces et [n’est] pas du
genre à accumuler », prend livraison
d’Alstrild, sa maison de poupée fabri
quée sur mesure pour 80 000 euros clés
en main par Baluchon, une entreprise
spécialisée, et l’installe sur un terrain
privé prêté par une amie, en attendant
de finaliser l’achat de son propre terrain.
Même si l’habitat rétréci est
encore une niche en France, la Tiny fait
incontestablement fantasmer. « Nom
breux sont ceux qui en rêvent, beaucoup
moins ceux qui sautent le pas », confirme
Dominique (qui n’a pas souhaité donner
son nom de famille), 42 ans, cadre mar
keting à Rennes et créatrice de Matiny
house.com, le site de référence des pas
sionnés. « Ça a un look sympa, l’aménage
ment est bourré d’astuces, c’est une
réalisation que l’on est fier de montrer aux
copains ou à sa famille. » En plus, c’est
très photogénique, à en croire le nombre
de posts Instagram vantant l’esthétisme
de ce concentré d’épure domestique.
En 2013, Michaël Desloges, ancien
paysan boulanger bio, et Bruno Thiery,
compagnon charpentier, ont été les
premiers à se lancer dans la construc
tion de micromaisons. Aujourd’hui,
avec 80 unités construites en France
mais aussi en Belgique et en Suisse, une
dizaine d’employés, et un carnet de
commandes plein jusqu’à fin 2020,
leur entreprise, installée à Poilley
(Manche) dans la baie du MontSaint
Michel, fait figure de leader parmi la
cinquantaine de fabricants qui se sont
lancés sur ce marché.
Selon Michaël Desloges, les profils
des clients sont divers : « Entre 23 et 70 ans,
seul, en couple, et plus récemment en fa
mille avec de jeunes enfants. 90 % d’entre
eux investissent en moyenne 60 000 euros
dans leur maison sur roues pour y vivre à
l’année. » En commun, « une envie de li
miter l’impact environnemental, de lever le
pied sur la surconsommation, sans être
pour autant des militants purs et durs ».
Comparée à une habitation tradition
nelle, la Tiny a un impact écologique
moindre, de sa construction – en bois et
autres matériaux écologiques – à son uti
lisation. Si son prix d’achat au mètre carré
est assez élevé par rapport à un pavillon
standardisé, en revanche, elle coûte peu
en entretien et en charges.
« Estce que j’en ai vraiment be
soin? C’est la question centrale de tout
tinyhouser », confirme Isabelle Cuvillier,
qui partage son « Appalache » avec son
mari, Cyril, et leurs deux enfants de 7 et
2 ans, près de Coulommiers (Seineet
Marne). Passer d’une maison de deux
chambres plus une salle de jeux pour les
enfants, à une surface d’à peine 30 m^2 a
été une gageure pour le couple de trente
naires, ostéopathe animalier pour elle, en
poste à Paris au ministère de la défense
pour lui. « Nous avons trié pas mal de vête
ments, de bibelots, liquidé une grande par
tie de notre mobilier, puisque quasiment
tout est intégré, et un peu triché aussi en
gardant un garage pour y entreposer no
tamment des livres et des jouets pour les
enfants », avoue la jeune femme.
La promesse d’une vie plus sim
ple, moins chère et plus proche de la na
ture s’accorde aussi avec l’idée séduisante
de pouvoir partir au gré de ses envies avec
sa maison dans le dos. « En réalité, rares
sont ceux qui les déplacent régulièrement,
remarque Laëtitia Dupé, designer de for
mation et cofondatrice du fabricant Balu
chon, installé dans la région nantaise.
Mais savoir que c’est envisageable permet
à des gens de devenir propriétaires sans
avoir l’impression d’être coincés quelque
part. » Libérés des emprunts sur vingt
cinq ans ou des loyers exorbitants, cer
tains se sentent comme des Jack Kerouac
de salon, idéalisant un départ qu’ils ne
prendront peutêtre jamais.
Pauline et Guilhem Barès, 32 ans
tous les deux, ont bien baroudé avant
d’investir dans une « grande Tiny » de
35 m^2 posée à MassegrosCaussesGorges,
un petit village de Lozère. Adeptes des
longs périples au bout du monde avec sac
à dos puis à vélo, l’orthophoniste et le
professeur des écoles ont décidé à leur re
tour d’une année de travail au Cambodge
d’avoir leur chezeux « sans avoir à se pro
jeter sur le long terme ». L’arrivée de leur
petit garçon, Noé, ne les a pas fait décam
per. Quelques aménagements à la marge
(coin tapis de jeu dans la pièce à vivre, pa
nière supplémentaire pour les jouets
dans la chambre d’enfant, table à langer
escamotable dans la salle de bains déjà
équipée d’une petite baignoire...) ont été
réalisés après coup pour rendre l’ensem
ble plus « bébé compatible ».
Pauline Barès est néanmoins
consciente que ce choix a des limites.
« Avec un enfant en bas âge, le manque
d’espace est tout à fait gérable. Avec plu
sieurs enfants ou des ados, c’est sans doute
plus compliqué. » Autre bémol, l’exiguïté
ne favorise pas les grandes tablées fami
liales ou amicales. « Mais on a trouvé la
solution, s’amuse son compagnon, on in
vite plus en été qu’en hiver. » Les 1 000 m^2
de jardin font alors office de très grande
salle de réception. Et quand vient le mo
ment de faire le tour de la Tiny, il n’est pas
rare que les amis parisiens de passage en
vient leur toute petite maison dans la
prairie, « beaucoup mieux fichue que leurs
appartements biscornus ».
Prochain article Le royaume menacé
du Robinson de Franche-Comté
Une Tiny House
pour deux personnes
(Baluchon), dans
la région de Bayonne
(Pyrénées-Atlantiques).
VINCENT BOUHOURS/
BALUCHON
« 90 %
des clients
investissent
en moyenne
60 000
euros dans
leur maison
sur roues
pour y vivre
à l’année »
Michaël Desloges, constructeur
COMPLÈTEMENT PERCHÉS 3 | 5
A savoir
> Dimensions
Pour avoir le droit de circuler
sur route, la Tiny et sa remorque
ne doivent pas dépasser
3,5 tonnes, 2,55 m de largeur
et 4,3 m de hauteur.
> Transport
Le conducteur du véhicule doit
posséder le permis BE (permis
remorque). La plupart des
fabricants assurent le transport.
> Permis de construire
Considérée comme une habi-
tation mobile (à l’instar des
caravanes), elle peut s’installer
sur des terrains privés non
constructibles, loués ou achetés.
> Stationnement
A l’instar des caravanes,
une Tiny ne peut pas stationner
plus de trois mois par an
sur un terrain. Au-delà, il faut
la bouger ou demander
une autorisation à la mairie.
L’ÉTÉ DE L’ÉPOQUE