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JEUDI 1ER AOÛT 2019 international| 3
République islamique le protocole addition-
nel au traité de non-prolifération nucléaire
(TNP), auquel l’Iran a adhéré en 2015, qui per-
mettrait des inspections plus poussées. En
échange, l’Iran demandait aux Etats-Unis de
lever leurs sanctions.
EMMANUEL MACRON EN MÉDIATEUR
Si le JCPOA permet de garantir un réel
contrôle international de l’atome iranien, ses
limites sont réelles. Nombre de ses disposi-
tions seront caduques à partir de 2025. Il faut
donc le compléter, d’autant qu’il ne prend pas
en compte le programme balistique de l’Iran
ni sa politique de déstabilisation régionale.
Sur tous ces points, Emmanuel Macron
partage les préoccupations de Donald
Trump tout en récusant ses méthodes et le
« saut dans le vide » que serait la dénoncia-
tion de l’accord de juillet 2015. Cette cons-
cience des enjeux autant que le rôle leader
joué par la France depuis 2003 sur le dossier
du nucléaire iranien ont incité le président
français à se poser en « médiateur ». Emma-
nuel Macron s’est entretenu trois fois au télé-
phone ces dernières semaines avec son ho-
mologue iranien, et son conseiller diploma-
tique Emmanuel Bonne s’est rendu deux
fois à Téhéran. Les contacts avec Donald
Trump ont été nombreux. « La dynamique
que nous avons créée ces dernières semaines
a, je pense, évité le pire et des surréactions du
côté iranien », se félicitait le président fran-
çais le 17 juillet à Belgrade.
Le vice-ministre iranien des affaires étran-
gères, Abbas Araghchi, est venu à Paris le
23 juillet avec un message personnel du pré-
sident Rohani. L’espace pour un compromis
existe. « Il ne s’agit pas de tout régler, mais
d’explorer la possibilité de gestes intermédiai-
res entre les deux parties et de faire en sorte
que l’Iran revienne à ses engagements dans le
JCPOA », souligne une source proche du
dossier. Il s’agirait, par exemple, de permet-
tre à l’Iran de vendre à nouveau son pétrole à
la Chine, à l’Inde et au Japon. Les autorités
françaises comptent aussi impliquer davan-
tage Pékin et surtout la Russie pour la préser-
vation du JCPOA et même associer cette der-
nière à Instex, le mécanisme de compensa-
tion encore embryonnaire mis sur pied par
Paris, Londres et Berlin, afin de continuer à
commercer avec l’Iran.
Une fois la désescalade assurée, des dis-
cussions pour compléter l’accord pourraient
commencer. Tel est le pari de Paris, où l’on
rappelle que « le potentiel d’aggravation de la
crise est tel qu’il faut bien que quelqu’un
trouve les voies du dialogue » .p
marc semo
A Brasilia, Bolsonaro annule une rencontre avec
Jean-Yves Le Drian pour se faire couper les cheveux
Le président brésilien n’a pas apprécié de se faire tancer par Paris sur l’environnement
sao paulo - correspondante
A
la diplomatie, Jair Bolso-
naro préfère la provoca-
tion, mais, à la confron-
tation, le chef d’Etat brésilien pri-
vilégie l’humiliation de l’adver-
saire. Lundi 29 juillet, quelques
minutes après avoir annulé
« pour des raisons d’agenda » une
rencontre avec le ministre fran-
çais des affaires étrangères, Jean-
Yves le Drian, actuellement en
tournée en Amérique latine, le
président d’extrême droite s’est
affiché sur les réseaux sociaux en
train de se faire couper les che-
veux, plongeant le Quai d’Orsay
dans la stupéfaction. « Le prési-
dent [Bolsonaro] commence à
travailler à 4 heures du matin et
termine à minuit. Il faut bien qu’il
trouve le temps de se couper les
cheveux entre 4 heures du matin
et minuit » , a affirmé un porte-pa-
role du gouvernement en guise
d’explication.
L’empressement du chef de
l’Etat à soigner sa raie sur le côté
ne doit rien au hasard. En s’affi-
chant publiquement chez le coif-
feur plutôt qu’aux côtés d’un des
poids lourds du gouvernement
français, Jair Bolsonaro affirme
autant son souverainisme que
son mépris envers le discours
moralisateur de Paris vis-à-vis de
l’environnement. Un peu plus tôt
dans la journée, le président bré-
silien avait déjà évoqué la rencon-
tre prévue avec le chef de la diplo-
matie française en des termes
peu amènes, parlant d’un entre-
tien avec « le premier ministre
français, si je ne me trompe pas,
pour traiter de problèmes tels que
l’environnement ». Irrité et com-
minatoire, il avait ajouté : « Il ne
devra pas me manquer de respect.
Il devra comprendre que le gouver-
nement au Brésil a changé. La sou-
mission des précédents chefs
d’Etat envers le premier monde
n’existe plus. »
Jair Bolsonaro a peu goûté de se
faire tancer lors du G20 d’Osaka
(Japon), en juin. Le président fran-
çais, Emmanuel Macron, lui avait
fait jurer de respecter l’accord de
Paris signé en 2015, faisant de cet
engagement une condition sine
qua non de la conclusion du
traité de libre-échange entre les
pays du Mercosur (Argentine,
Brésil, Uruguay, Paraguay) et
l’Union européenne. Depuis, Jair
Bolsonaro semble avoir oublié sa
promesse, indifférent, voire com-
plaisant envers les acteurs de cri-
mes environnementaux. Selon
les estimations de l’Institut de re-
cherches spatiales, fondées sur
des images satellites, quelque
6 352 km^2 de forêt auraient été dé-
truits au Brésil depuis son inves-
titure en janvier, l’équivalent des
deux tiers de la Corse.
Le Brésilien serait-il prêt à tor-
piller un juteux accord commer-
cial pour quelques minutes de pa-
nache devant son électorat d’ex-
trême droite? Certains de ses par-
tenaires, comme l’Argentine, le
redoutent. « Buenos Aires a très
peur de la posture de Jair Bolso-
naro. Le président ne semble pas
prendre la mesure des risques réels
de son attitude » , estime Oliver
Stuenkel, professeur de relations
internationales à la Fondation
Getulio Vargas, à Sao Paulo.
Plus proche de Washington
Fanfaron, Jair Bolsonaro se serait
aussi, par sa « coupe de cheveux
fatale » , fermé d’autres portes
avec Paris, estime le politiste
Mathias Alencastro. « La France a
une longue histoire de pragma-
tisme dans ses relations interna-
tionales, écrit-il dans le quotidien
Folha de Sao Paulo, mardi
30 juillet. Elle a rarement hésité à
collaborer avec des régimes auto-
ritaires au Moyen-Orient ou en
Afrique subsaharienne pour ga-
rantir ses intérêts stratégiques. La
visite de l’ex-socialiste Jean-Yves
Le Drian avait toutes les allures
d’une tentative d’alliance entre
deux gouvernements idéologi-
quement antagonistes. (...) Mais,
devant un comportement si nihi-
liste, la France n’aura d’autre
choix que de renoncer à se rappro-
cher du Brésil. »
Le Brésil de Jair Bolsonaro sem-
ble, de fait, peu préoccupé de
séduire Paris, privilégiant un
rapprochement avec les Etats-
Unis de Donald Trump. Mardi,
tandis que le chef de l’Etat quali-
fiait de « balivernes » le rapport
sur les victimes de la dictature
militaire (1964-1985), la presse
brésilienne signalait que le pays
avait envoyé l’un de ses diploma-
tes à la treizième conférence in-
ternationale sur le changement
climatique organisée à Washing-
ton le 25 juillet par l’Institut
Heartland, présentée comme
une réunion de pontes niant le
réchauffement climatique.
Après ce rendez-vous manqué,
Jean-Yves Le Drian a gardé le
« calme des vieilles troupes » , tout
en « entendant le message »
adressé à la France, indique une
source proche du ministre. La
France n’est pas pressée de rati-
fier le traité Union européenne-
Mercosur, a-t-il signalé.p
claire gatinois
Etats-Unis : Warren et Sanders sous
le feu des démocrates modérés
Les vingt prétendants à l’investiture du Parti démocrate pour l’élection
présidentielle de 2020 entament une deuxième série de débats
san francisco - correspondante
L
e deuxième round du
combat titanesque qui
oppose la vingtaine de
prétendants à l’investi-
ture démocrate pour l’élection
présidentielle de 2020 s’est tenu,
mardi 30 juillet, à Detroit (Michi-
gan). Depuis la première série de
débats, les 26 et 27 juin, un seul
candidat a jeté l’éponge, le repré-
sentant de Californie Eric Swa-
lwell, 38 ans, qui restera dans les
annales pour avoir intimé à l’an-
cien vice-président Joe Biden, de
trente-huit ans son aîné, de « pas-
ser le flambeau ». L’impertinent a
vite été remplacé par un autre as-
pirant, le gouverneur du Mon-
tana, Steve Bullock. Il fait partie
du groupe des quatorze candidats
qui ne parviennent pas à se hisser
au-delà de 1 % dans les sondages.
Le Parti démocrate, qui a durci les
critères pour le prochain round,
le 12 septembre, espère les élimi-
ner rapidement.
Ils sont toujours vingt préten-
dants, donc, dont dix débattaient
mardi, les dix autres étant atten-
dus mercredi. Le parti avait choisi
le Michigan, un Etat crucial si les
démocrates veulent reprendre à
Donald Trump les électeurs de Ba-
rack Obama (2008-2016) perdus
par Hillary Clinton en 2016. Le
magnat de l’immobilier y avait
gagné avec moins de 11 000 voix.
Aujourd’hui, il y est devancé
dans les sondages par les princi-
paux candidats démocrates,
mais sur le plan national, sa per-
formance avoisine son meilleur
score en deux ans et demi (44 %
approuvent son action, selon la
moyenne établie par le site Real-
ClearPolitics ). Les attaques contre
les élus issus de minorités ne
semblent pas l’avoir affecté : 51 %
des électeurs le jugent « raciste »,
selon l’institut Quinnipiac, mais
91 % des républicains sont de
l’opinion opposée.
Les médias avaient fait monter
les enchères du débat en annon-
çant des duels, voire des coups
« fatals », qui permettraient de
discerner vers quoi s’oriente un
parti écartelé entre ses modérés –
qui craignent que les attaques de
Trump contre le « socialisme » de
ses adversaires ne fassent mou-
che dans l’électorat – et ses pro-
gressistes – qui considèrent que
les Américains sont prêts à de
grands bonds en avant sur l’assu-
rance-santé ou la gratuité de l’uni-
versité. Sans oublier ses pragma-
tico-progressistes comme Pete
Buttigieg, 37 ans, le « millennial »
qui a appelé ses collègues à « ces-
ser de s’inquiéter » du message des
républicains, qui les qualifieront
de « dingues de socialistes » quoi
qu’ils proposent.
Nervosité de la base
L’affiche attendue, mardi, était
l’affrontement des progressistes :
Bernie Sanders et Elizabeth War-
ren. Le premier, sénateur du Ver-
mont, héros de la gauche pen-
dant les primaires de 2016, con-
serve de l’avance dans les sonda-
ges, mais il est talonné de près par
la sénatrice du Massachusetts.
Tous les deux sont nettement de-
vancés par Joe Biden, l’ancien vi-
ce-président, qui, après un pre-
mier débat difficile, a rétabli sa
position en tête. Un signe, selon
les politistes, de la nervosité de la
base, qui voit avec angoisse voler
les invectives et cherche à déter-
miner au plus vite quel candidat
est le mieux à même de battre un
Donald Trump omniprésent sur
le terrain.
« Bernie » et « Elizabeth » ont
évité l’escarmouche, rappelant
qu’ils sont amis de longue date –
et « bien avant que j’entre en politi-
que », a signalé la sénatrice. Elle
s’est rattrapée par une volée de
bois vert en direction de l’entre-
preneur et ancien représentant
du Maryland, John Delaney, solli-
cité avec empressement par les
modérateurs. Il est vrai qu’avant
même le débat, il avait qualifié de
« suicide politique » l’idée fétiche
de la gauche du parti, dite « Medi-
care for All », ou assurance-santé
universelle, que la plupart des
candidats ont adoptée, avec des
variantes. « Les démocrates ga-
gnent quand ils font campagne
sur de vraies solutions, pas des
promesses impossibles ou des con-
tes de fées économiques », a
avancé M. Delaney. « Je ne com-
prends pas pourquoi quelqu’un se
donne tant de mal pour être candi-
dat à la présidence des Etats-Unis
si c’est pour nous dire ce que nous
ne pouvons pas faire et ce pour
quoi nous ne devrions pas nous
battre », a rétorqué Mme Warren.
« J’ai attaqué les grandes ban-
ques et j’ai gagné. J’ai attaqué les
PDG de Wall Street et j’ai gagné. (...)
Je n’ai pas peur. Et s’ils veulent ga-
gner, les démocrates ne peuvent
pas avoir peur. (...) On ne peut pas
choisir un candidat en qui on ne
croit pas juste parce qu’on avait
trop peur de choisir quelqu’un
d’autre », a-t-elle ajouté.
Les deux progressistes ont
même fait cause commune con-
tre les modérés, comme le gou-
verneur du Colorado, John Hic-
kenlooper, ou le représentant de
l’Ohio, Tim Ryan, qui s’est permis
de signaler à « Bernie » qu’il était
« inutile de hurler ». Ceux-ci ont
mis en avant leurs doutes : sur le
financement de la couverture
santé universelle, sur la difficulté
de convaincre les Américains,
attachés à leurs assurances pri-
vées. Et, surtout, sur le risque de
faire réélire Donald Trump.
« Soyons réalistes, a plaidé la sé-
natrice du Minnesota, Amy Klo-
buchar. Ce soir nous débattons.
Mais au bout du compte il faut
battre Donald Trump. »
Pas plus que Mme Warren, Bernie
Sanders était d’humeur à faire des
concessions. « Je suis fatigué des
démocrates qui ont peur des gran-
des idées. Les républicains n’ont
pas peur des grandes idées. Ne me
dites pas qu’on ne peut pas s’atta-
quer aux industries fossiles. »
« Réformer notre démocratie »
Voir grand, c’est aussi ce qu’a
plaidé Pete Buttigieg, qui, s’il n’ar-
rive qu’en cinquième position
dans les sondages, est le candidat
qui a collecté le plus de fonds pen-
dant le deuxième trimestre. Il a
prôné l’abolition du collège élec-
toral, l’augmentation du nombre
de juges à la Cour suprême pour
« dépolitiser » l’institution, et un
amendement constitutionnel
pour limiter l’argent dans les
campagnes électorales. « C’est un
pays qui a un jour changé sa Cons-
titution pour empêcher les gens de
boire et l’a rechangée quand il
avait changé d’avis, a-t-il lancé, ci-
tant la Prohibition des années
- Et vous me dites que l’on ne
pourrait pas réformer notre démo-
cratie de notre vivant? »
Comme pendant le premier dé-
bat, c’est une candidate venue
d’ailleurs, Marianne Williamson,
67 ans, auteure à succès de livres
de spiritualité new age et de déve-
loppement personnel, qui a fait
sensation. Elle a communiqué
son inquiétude à l’égard des « for-
ces noires » qui se sont emparées
des Etats-Unis à l’heure de Do-
nald Trump.p
corine lesnes
« Soyons réalistes,
ce soir nous
débattons. Mais
au bout du compte,
il faut battre
Donald Trump »
AMY KLOBUCHAR
sénatrice du Minnesota