4 |international JEUDI 1ER AOÛT 2019
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sydney - correspondance
I
ls sont plusieurs milliers de
militants à se relayer nuit et
jour depuis plus d’une se-
maine, ravitaillés en nourri-
ture et bois de chauffage pour ali-
menter les braseros sous un faible
soleil hivernal. Tentes et dra-
peaux ont été érigés sur les vertes
prairies parsemées de rocailles
volcaniques du bord de mer
d’Auckland, la ville la plus peuplée
de Nouvelle-Zélande. Face aux po-
liciers, des chants et des danses.
Ces manifestants, qui s’appellent
eux-mêmes des « protecteurs »,
s’opposent à la construction d’un
lotissement de 500 logements, à
Ihumatao, sur une zone proche de
l’aéroport d’Auckland considérée
comme sacrée par les Maoris, la
minorité aborigène des îles, qui
constitue 15 % de la population
néo-zélandaise. Le terrain borde
d’ailleurs une réserve historique
conservant les traces archéologi-
ques des premiers Maoris cultiva-
teurs de ces terres fertiles.
La contestation met à l’épreuve
la « Jacindamania », la popula-
rité de la première ministre tra-
vailliste Jacinda Ardern, élue
en 2017 et célébrée dans son pays
et à travers le monde pour la jus-
tesse de sa réaction après les at-
tentats de Christchurch en mars.
Mme Ardern « a le pouvoir de ren-
verser la décision d’allouer cette
zone à des logements spéciaux [à
prix modéré] et d’intervenir pour
empêcher une confrontation »,
estime Pania Newton, cofonda-
trice du groupe Save Our Unique
Landscape (« Sauvez notre pay-
sage unique », dont l’acronyme
SOUL signifie « âme » en anglais).
Cette militante maorie, qui décrit
la mobilisation comme « la révo-
lution de notre génération », es-
time que Mme Ardern pourrait, au
nom du gouvernement, « faire
racheter la terre et la retourner
aux tribus propriétaires tradi-
tionnelles à qui elle a été volée »
ou « en faire une réserve histo-
rique, un endroit pour tous les
Néo-Zélandais ».
Mme Newton avait pointé aupa-
ravant le manque de « leadership »
de la première ministre, et dé-
ploré son « ignorance » du traité
de Waitangi, signé en 1840 entre
la couronne britannique et les
chefs maoris, acte fondateur de
la nation néo-zélandaise. Samedi
27 juillet, elle a invité la première
ministre, qui se targue de pro-
mouvoir les traditions indigènes
de sa nation en portant une toge
maorie à Buckingham Palace et
use de leur salut, nez contre nez,
pour recevoir des invités de mar-
que, à venir sur place « pour res-
sentir la signification de ce site et
les qualités spéciales dont cette
terre est dotée ».
Devant les Nations unies
Le groupe SOUL dénonce de lon-
gue date le destin promis à ce ter-
rain par le promoteur immobi-
lier Fletcher Building, qui l’a ac-
quis. Les militants assurent que
ces terres ont été accaparées « par
proclamation » dès les premières
heures de la colonisation néo-
zélandaise, dans les années 1860,
avant de passer dans des mains
privées durant près d’un siècle.
Les activistes ont commencé à
occuper le site en 2015 et ont
même porté l’affaire devant les
Nations unies en 2017, espérant
une intervention au titre d’en-
torse aux droits des peuples
autochtones. Les rangs de leurs
sympathisants n’ont cessé de gon-
fler au fil des mois qui ont suivi. Si
bien que, le 23 juillet, la police a dé-
livré un ordre d’évacuation du site.
Produisant l’effet inverse. De plu-
sieurs centaines durant la se-
maine, les « protecteurs » sont
passés à plus de 5 000 au cours du
week-end, en majorité des Maoris,
mais aussi des membres du parti
écologiste, des représentants de
diverses confessions ou encore
des écoliers, donnant à la plaine
des allures de festival.
Trois hommes et quatre fem-
mes dans la vingtaine ont été ar-
rêtés jeudi 25 juillet au soir, après
s’être enchaînés à un van sur un
axe routier. La veille, six person-
nes avaient aussi été interpellées.
La police évoque pourtant un
climat pacifique et collaboratif
avec les protestataires. Samedi, un
policier a même été filmé en train
de jouer de la guitare et de chanter
avec les manifestants au cours
de la nuit, une vidéo visionnée
plus de 85 000 fois.
Travaux suspendus
Mise sous pression par l’acti-
visme de SOUL, Mme Ardern, répu-
tée progressiste, a pris ses distan-
ces avec la contestation dans un
premier temps, affirmant que
son gouvernement n’intervien-
drait pas dans un contentieux qui
devait, selon elle, être résolue
entre iwi , soit clans locaux. Mais
la controverse ne se résume pas à
une opposition entre Maoris et
développeurs immobiliers : les
représentants indigènes, divisés
entre clans ou familles locales,
n’ont eux-mêmes pas la même
opinion sur la question, certains
observateurs citant une fracture
générationnelle.
Au vu de l’ampleur de la mobili-
sation, la chef de l’Etat est finale-
ment sortie de sa réserve vendredi
soir et a annoncé que les travaux
de construction seraient suspen-
dus le temps qu’une solution soit
trouvée. « Cette activité ne peut pas
avoir lieu tant qu’il y a de tels ras-
semblements sur place, a-t-elle
concédé. Nous n’avons pas été di-
rectement impliqués dans la dis-
pute, mais nous pensons que nous
pouvons aider. Il y aura des conver-
sations, aussi, avec ceux occupant
le terrain. » Lundi, les manifestants
n’avaient toutefois pas répondu à
son appel à la désescalade. Un bon
millier restaient mobilisés, exi-
geant une déclaration signée de sa
part. La première ministre est éga-
lement critiquée pour ne pas s’être
encore déplacée pour rencontrer
les militants, notamment par le
chef de l’opposition, Simon Brid-
ges (Parti national). « Elle s’est mise
dans cette situation, et maintenant
où est-elle? », a tancé le conserva-
teur, mardi.
Première femme à diriger la
Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern
avait fait de la résolution de la
crise du logement en Nouvelle-
Zélande, où flambent les prix et
où manquent les habitations face
à la pression démographique,
un cheval de bataille de son man-
dat. Sa mesure phare, « Kiwi-
Build », prévoyait la construction
de 1 000 logements abordables
cette année. Or 700 manquaient
toujours à l’appel en juillet.
Mme Ardern a aussi promis au
début de son mandat, en 2017, de
s’attaquer aux inégalités, déplo-
rant notamment la surreprésenta-
tion de la minorité maorie dans
les indicateurs de pauvreté et de
santé, et une sous-représentation
dans les statistiques d’accès à la
propriété (seul un Maori sur trois
est propriétaire). Lundi, un rap-
port de la commission sur la santé
et la sécurité a encore pointé un
« racisme institutionnel » qui désa-
vantage les Maoris, de la naissance
à leur fin de vie. – (Intérim.) p
Le père de Boris Johnson supplie l’UE de faire un geste
Europhile, Stanley Johnson juge que la position des 27 sur le Brexit précipite « le Royaume-Uni du haut de la falaise »
londres - correspondance
M
ême touffe de cheveux
en bataille, même dic-
tion faussement hési-
tante, même sens de l’humour :
l’air de famille avec son fils Boris
est frappant chez Stanley Johnson.
Le père de l’actuel premier minis-
tre britannique, « first father » ,
comme il se surnomme, a cepen-
dant un point de vue diamétrale-
ment opposé sur la question euro-
péenne. Fonctionnaire européen
dès 1973, au moment où le Royau-
me-Uni a intégré la Communauté
économique européenne (CEE), il
a fait partie, six ans plus tard, du
premier contingent britannique
d’eurodéputés, membre du Parti
conservateur, une formation alors
pro-Union européenne (UE). Et
pendant la campagne du référen-
dum de juin 2016, il a activement
fait campagne contre le Brexit.
Aujourd’hui, il soutient son fils,
par fierté familiale bien sûr, et par
respect pour le résultat du vote des
Britanniques. Mais il reconnaît
que la victoire politique de Boris
Johnson a un goût « aigre-doux ».
« Je suis personnellement très
content mais c’est quand même
ironique » , confie-t-il à un groupe
de journalistes européens, dont
Le Monde. Son appel aux Euro-
péens à faire un geste dans les né-
gociations du Brexit n’en a que
plus de poids. « Il me paraît évident
que l’accord de retrait n’est pas ac-
ceptable pour le Royaume-Uni , ex-
plique-t-il. Personne ne veut aller
au “no deal”. Mais je crois que l’UE
nous pousse vers le “no deal”. Il est
prioritaire que nos partenaires
européens comprennent qu’ils ont
une énorme responsabilité. Ils n’ont
pas besoin de choisir cette voie. »
Dialogue de sourds
Son appel a peu de chances d’être
entendu. Son fils a commencé son
mandat toutes sirènes hurlantes,
exigeant que Bruxelles supprime
le fameux « backstop » – clause qui
permet d’empêcher le retour
d’une frontière physique entre les
deux Irlandes – comme précondi-
tion à l’entame de négociations. La
réponse de Michel Barnier, le né-
gociateur européen, ne s’est pas
fait attendre : « Inacceptable ».
Mais le point de vue de Stanley
Johnson est assez représentatif
du dialogue de sourds qui règne
entre Londres et Bruxelles. S’il en-
trait en vigueur, le « backstop »
obligerait le Royaume-Uni – ou au
moins l’Irlande du Nord – à rester
dans l’union douanière euro-
péenne et à conserver les régle-
mentations de l’UE. Cela consti-
tuerait une vraie perte de souve-
raineté économique.
Dans les milieux du Parti conser-
vateur, dont Stanley Johnson a fait
partie toute sa vie, le « backstop »
est désormais non négociable.
Qu’un europhile comme lui
tienne de tels propos permet de
mesurer combien il est désormais
difficile pour Boris Johnson de
faire des compromis : son propre
parti aurait du mal à l’accepter.
« Vous nous précipitez du haut de
la falaise , proteste Stanley John-
son. Et qui souffrira le plus? Pas le
Royaume-Uni. Nous serons prêts.
Rappelez-vous de 1940... Les gens
qui vont vraiment souffrir seront
les Irlandais. » En cas de « no deal »,
l’économie la plus touchée serait
effectivement celle d’Irlande, sa
route commerciale vers l’UE pas-
sant par le Royaume-Uni. « Il y a
une contradiction inhérente à ce
que l’UE force le “no deal” au nom
de la défense des Irlandais, et que
ce soit ces derniers qui en souf-
frent. » S’adressant aux journalis-
tes européens qui l’interrogent,
Stanley Johnson ajoute : « Vous, les
correspondants européens, vous
devriez dire : “Voyons, M. Barnier,
faites attention.” »
Le père de Boris Johnson ne
s’embarrasse cependant pas plus
que son fils de proposer une solu-
tion alternative qui permette
d’éviter une frontière irlandaise.
Il promet simplement que les Bri-
tanniques n’installeront pas de
contrôles. L’évolution du père de
« 17,4 millions
de Britanniques ont
voté pour sortir
de l’UE. Alors, je n’ai
aucune hésitation
à soutenir Boris »
STANLEY JOHNSON
père du premier ministre
britannique
A Ihumatao, terre sacrée des Maoris, les opposants au projet de développement immobilier, le 26 juillet. PHIL WALTER/GETTY IMAGES
Le gouvernement
pourrait « faire
racheter la terre
et la retourner
aux tribus
propriétaires (...)
à qui elle
a été volée »
PANIA NEWTON
militante maorie
Boris Johnson sur la question
européenne en dit long sur la radi-
calisation des tories. « Je me dis
qu’il faut peut-être prendre une
perspective historique, se justifie-
t-il aujourd’hui. Au regard de mille
ans d’histoire, peut-être que notre
place est hors de l’UE. De Gaulle
nous avait dit “non” [refusant l’en-
trée du Royaume-Uni dans la CEE].
Peut-être qu’il avait raison. Et puis,
17,4 millions de Britanniques ont
voté pour sortir de l’UE. Alors,
aujourd’hui, je n’ai aucune hésita-
tion à soutenir Boris. »
Reste un mystère. Lui qui a passé
tant d’années à Bruxelles, où son
fils a été à l’école, lui qui a des raci-
nes turques, allemandes, suisses
et françaises, croit-il que Boris Jo-
hnson est sincère dans sa croisade
anti-européenne? Qu’il ne s’agit
pas d’un simple calcul politique?
Stanley Johnson entame une ré-
ponse alambiquée, reconnaissant
qu’il s’interroge lui-même. Mais
tout cela est du passé, explique-t-il
en substance. Désormais, ni lui ni
son fils ne se posent la question.
« Il est certain que le Royaume-Uni
sortira de l’UE le 31 octobre. » p
éric albert
En Nouvelle-
Zélande, la colère
des Maoris
La contestation par les aborigènes
d’un projet immobilier sur une zone
sacrée met à mal la popularité de la
première ministre, Jacinda Ardern
I R A N
L’ancien maire
de Téhéran condamné
à mort pour assassinat
Mohammad Ali Najafi a été
condamné à mort après avoir
été reconnu coupable de
l’assassinat de sa seconde
épouse, Mitra Ostad, de plus
de trente ans sa cadette.
Agé de 67 ans, il avait été
une figure du mouvement
réformateur. Elu maire de
Téhéran en août 2017, il avait
démissionné en avril 2018
après avoir été critiqué par
les conservateurs pour avoir
assisté à un spectacle
de danse d’écolières. – (AFP.)
R O U M A N I E
Démission du ministre
de l’intérieur
Nicolae Moga a démissionné
de ses fonctions, mercredi
31 juillet, après l’échec
de la police à sauver une
adolescente de 15 ans enlevée
la semaine dernière et dont
les appels de détresse avaient
été ignorés par la police, une
affaire sordide qui a boule-
versé le pays et provoqué des
manifestations. Un suspect
arrêté samedi à Caracal (sud)
a reconnu avoir séquestré,
violé et tué Alexandra, ainsi
qu’une autre jeune fille qui
avait été portée disparue
en avril. – (AFP.)
Face à la flambée
des prix et
au manque
d’habitations,
la première
ministre a fait
de la crise du
logement son
cheval de bataille