Le Monde - 07.08.2019

(vip2019) #1
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MERCREDI 7 AOÛT 2019 | 15

Comment des tortues « choisissent » leur sexe


La détermination sexuelle est en partie contrôlée par la position qu’adopte l’embryon dans l’œuf


Vue en 3D, la Voie lactée a la forme d’un disque voilé


En se servant comme repères de jeunes étoiles ultrabrillantes à éclat variable, des astronomes précisent la déformation de notre galaxie


L


a Voie lactée possède la forme
d’un disque voilé et tordu. Une
équipe de scientifiques polonais
l’a constaté en dressant avec pré­
cision une carte en trois dimensions de
notre galaxie à une échelle plus vaste
que ce qui avait été fait jusqu’à présent.
Pour leur article, publié jeudi 1er août
dans Science, ils se sont appuyés sur la
position et la distance de milliers de
céphéides « classiques », des étoiles
géantes jeunes (moins de 400 millions
d’années) dont la luminosité varie selon
une période de un à cent jours.
Les céphéides ont été étudiées dès la
fin du XIXe siècle par l’astronome Michel
Luizet, à l’observatoire de Lyon. Leur
nom dérive de l’une d’entre elles, l’étoile
delta de la constellation de Cephée. A
partir de 1908, à l’université Harvard
(Massachusetts), l’Américaine Henrietta
Swan Leavitt a commencé à caractériser
ces étoiles variables d’une masse de
quatre à quinze fois plus grande que
celle du Soleil. Les céphéides classiques
brillent particulièrement : elles sont de
100 à 30 000 fois plus lumineuses que le
Soleil. De ce fait, on peut les détecter à
de très grandes distances, ainsi qu’à tra­
vers l’opacité des nuages interstellaires
de gaz et de poussières au sein de notre
galaxie.
Les astronomes les considèrent donc
comme de véritables « phares » dans le
ciel. L’image est juste à double titre : non

seulement ces étoiles variables sont visi­
bles de loin, mais elles permettent aussi
de calculer facilement la distance qui les
sépare de nous. La période suivant la­
quelle leur luminosité varie est d’autant
plus grande que l’étoile est lumineuse, et
c’est cette relation période­luminosité
bien établie qui en fait des étalons pour
mesurer la distance d’étoiles ou de ga­
laxies. L’étude exploite cette propriété à
très grande échelle, celle d’une bonne
partie de la Voie lactée, pour dresser une
carte en 3D (partielle) de la galaxie.

Etude du disque galactique
« L’article illustre parfaitement l’apport
des grands relevés pour extraire une in­
formation sur la structure globale de la
galaxie, si difficile à percevoir à partir
d’un seul point d’observation, notre Sys­
tème solaire, lequel est situé, qui plus est,
à l’intérieur de cette structure », estime
François Mignard, chercheur au labora­
toire Lagrange (CNRS) de l’Observatoire
de la Côte d’Azur.
Pour l’étude que publie Science, Dorota
Skowron (Observatoire astronomique,
université de Varsovie) et ses collègues
ont analysé les données sur 2 431 céphéi­
des, dont la plupart ont été découvertes
lors de la quatrième phase de l’Optical
Gravitational Lensing Experiment (OGLE,
Expérience de lentille gravitationnelle
optique). Lancé par l’université de
Varsovie et localisé à l’Observatoire de

Las Campanas (Chili), ce projet astro­
nomique est principalement consacré à
l’étude du disque galactique et de son
centre, afin de découvrir et classifier les
étoiles variables. Il a déjà permis de
doubler le nombre de céphéides classi­
ques répertoriées.
Ces étoiles sont, pour la plupart, situées
à proximité du plan de notre galaxie, la­
quelle possède des bras en forme de spi­
rale. Le disque galactique est assez plat :
son diamètre est de 400 à 500 fois plus
grand que son épaisseur. Dorota Skowron
et ses collègues ont constaté une défor­
mation du disque galactique, qu’ils défi­
nissent avec plus de précision et selon les
trois dimensions dans leur article. « Cette
publication convaincante confirme le gau­
chissement du disque galactique, qui est
bien mesuré avec une utilisation d’un im­
pressionnant ensemble de données », re­

connaît Pierre Kervella, astronome au La­
boratoire d’études spatiales et d’instru­
mentation en astrophysique (Lesia) de
l’Observatoire de Paris. « L’article est assez
similaire à une publication de Xiaodian
Chen et son équipe, en avril, dans Nature
Astronomy, qui arrive aux mêmes conclu­
sions concernant l’amplitude du gauchis­
sement de la galaxie et l’orientation de
l’axe », souligne François Mignard.
Les astronomes de l’équipe qui publie
dans Science ont également entrepris de
déterminer l’âge des céphéides consti­
tuant l’échantillon sur lequel ils ont tra­
vaillé. La majorité d’entre elles sont nées
il y a 50 millions à 200 millions d’an­
nées, sachant que la plus vieille étoile de
la Voie lactée affiche un âge de 13,2 mil­
liards d’années et que le Soleil est né il y a
4,6 milliards d’années.

Quatre bras spiraux
Enfin, les auteurs ont comparé un mo­
dèle de formation et d’évolution au fil du
temps des céphéides dans les quatre bras
spiraux que compte notre galaxie à leur
distribution observée actuellement. Ils
trouvent une « bonne correspondance »
entre la simulation et les constatations
astronomiques qu’ils ont effectuées.
« Cette étude est complémentaire des
résultats de la mission Gaia, qui utilise
une autre méthode de mesure – la paral­
laxe trigonométrique – en regardant le
changement de position des étoiles

quand la Terre se déplace autour du
Soleil. Là où Gaia ne peut travailler sur
des distances trop grandes et ne couvre
de ce fait qu’environ un quart du disque
de notre galaxie, la méthode des céphéi­
des permet une couverture beaucoup
plus vaste », estime Pierre Kervella.
« La méthode des céphéides est certes
éprouvée et remarquable mais elle reste
dépendante d’un modèle, nuance Fran­
çois Mignard, impliqué dans la mission
du satellite Gaia, lancé à la fin 2013 par
l’Agence spatiale européenne pour car­
tographier la Voie lactée. Le travail d’ob­
servation en cours de la mission Gaia est
précisément de mesurer ces distances
par des méthodes géométriques qui sont
indépendantes d’hypothèses physiques
sur les sources. Nul doute que cela per­
mettra de préciser ces résultats avec un
échantillon de céphéides plus large, que
Gaia fournira avec sa troisième remise
de données, en 2020 et 2021. »
Reste que les astronomes n’ont pas
encore établi avec certitude la raison
pour laquelle le disque galactique a
subi un gauchissement. Notre galaxie
est née de la fusion de plusieurs struc­
tures et de petites galaxies. Son gau­
chissement serait vraisemblablement
le résidu de la présence de certaines
d’entre elles dans la combinaison
ayant abouti à la formation de la Voie
lactée.
paul benkimoun

A


vec sa maison sur le dos,
ce petit reptile a tout
d’une banale tortue. En
réalité, il dissimule une surprise
de taille... dans ses propres œufs.
Chez une tortue d’Asie, le sexe
de l’embryon est déterminé par
la température d’incubation de
chaque œuf. Propriété partagée
avec la plupart des tortues, les
crocodiles et certains lézards.
Cela, on le savait déjà.
Mais il y a mieux : une équipe
chinoise vient de découvrir que
les embryons de la « tortue de
Reeves » ont leur mot à dire dans
le choix de leur sexe. Dans une
précédente étude, ils s’avéraient
capables de se retourner dans
l’œuf pour « choisir » la tempéra­
ture qui leur convient le mieux.
Or il existe un gradient de tem­
pérature, à l’intérieur de chaque
œuf, qui peut atteindre 4,7 °C,
montrent les auteurs de cette

nouvelle étude publiée le 1er août
dans la revue Current Biology.
Ce travail a été mené tantôt en
laboratoire, tantôt en milieu
semi­naturel, chez cette tortue
qui affectionne étangs, canaux,
marécages et rivières. Très ré­
pandue en Asie du Sud­Est, c’est
une des espèces les plus vendues
dans les animaleries d’Europe.

Réchauffement climatique
Dans la moitié des œufs, les cher­
cheurs ont bloqué la capacité des
embryons à régler leur propre
température. Ils leur ont alors in­
jecté une substance chimique, la
capsazépine, qui bloque le fonc­
tionnement des capteurs de tem­
pérature. Ne sentant plus ni le
chaud ni le froid, les embryons ne
parviennent plus à choisir leur
température dans l’œuf. Résultat :
ils se développent tantôt pres­
que uniquement en mâles ou en

femelles, selon la température du
nid. Plus le nid est chaud, plus il y
a de femelles. Par contraste, des
embryons aptes à réagir en se re­
tournant dans l’œuf ont donné
autant de mâles que de femelles.
Une faculté nommée « principe
de Boucles d’or », en référence au
conte dont l’héroïne goûte trois
bols de porridge : elle découvre
qu’elle préfère la bouillie ni trop
chaude, ni trop froide, mais juste
à bonne température.
« Qu’une créature aussi minus­
cule puisse influencer son propre
sexe en se retournant dans l’œuf
est une chose captivante », observe
Wei­Guo Du, professeur à l’Acadé­
mie des sciences chinoise, dernier
auteur de l’article. Mieux encore :
cette capacité pourrait, dans une
certaine limite, protéger les tor­
tues des méfaits du réchauffe­
ment climatique sur la survie des
œufs ou sur le sex­ratio.

Pour autant, « la capacité de l’em­
bryon à contrôler son sexe ne suf­
fira pas à le protéger du réchauf­
fement produit par les activités
humaines actuelles », concluent
les auteurs. Leur modèle prédit,
en 2070, « un sévère déséquilibre
des populations en faveur des fe­
melles ». La menace est réelle.
« Chez des tortues de mer d’Austra­
lie, les sites de ponte produisent
déjà 99 % de femelles! », se désole
Charlotte Ducotterd, doctorante à
l’université de Lausanne (Suisse)
sur une tortue d’Europe menacée.
Cette adaptation biologique
pourrait être une des raisons de
la longévité des tortues. Ces
Mathusalem sont apparus sur
Terre il y a plus de 220 millions
d’années, du temps des dinosau­
res! Rien ne sert de courir, il faut
partir à point : c’est la leçon de
dame Tortue.
florence rosier

Disque galactique
vu de profil, avec
ses déformations
montrant
la répartition
dans la Voie lactée
des jeunes étoiles
céphéides (en vert).
La position du
Soleil est indiquée
par le point jaune
sur la gauche.
L’échelle des
distances est
graduée en années­
lumière.
J. SKOWRON/OGLE/
ASTRONOMICAL OBSERVATORY,
UNIVERSITY OF WARSAW

NON SEULEMENT


CES ÉTOILES VARIABLES


SONT VISIBLES DE LOIN


MAIS ELLES PERMETTENT


AUSSI DE CALCULER 


FACILEMENT LA DISTANCE


QUI LES SÉPARE DE NOUS


L’ÉTÉ DES SCIENCES


CARNET DE SANTÉ


La série qui prend le pouls de l’Afrique


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Illustration : Agathe Dahyot / Le Monde
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