Décryptage 106
Laquelle de nous n’a jamais posté une photo de pieds dans le sable, de coucher
de soleil flamboyant, de coupe de glace tentatrice? Version moderne
des cartes postales, ces images qui, l’été venu, pullulent sur Instagram ou Facebook
ont transformé la bulle estivale en un miroir dans lequel on peut se regarder
et être vu. Et fait du monde un paradis d’uniformité.
Par Marguerite Baux
À Venise, il fut un temps pas si lointain où l’une des
attractions de la ville était offerte par les couples qui
erraient en rageant, épuisés de tourner en rond dans
des ruelles toutes semblables, sentant s’éloigner
l’état d’esprit romantique si fantasmé pendant la pré-
paration de leurs vacances. Aujourd’hui, grâce au
GPS, les amoureux ne se perdent plus, n’échouent
plus dans des cantines minables, s’engueulent donc
beaucoup moins, et le spectacle qu’ils offrent est
devenu très ennuyeux, le nez collé sur leur portable.
Mais peut-être font-ils davantage l’amour, une fois
dans leur chambre, après avoir posté – désormais sur
Instagram – la même photo du même baiser sur le
pont des Soupirs que des milliers d’autres couples
avant eux ?
À la fois projet, spectacle offert aux autres et plaisir
pour soi, les vacances ne se font plus sans les réseaux
sociaux. Avec ou sans eux, le vrai défi des vacances
reste de se montrer à la hauteur de nos attentes. Mais
Vacances : le beau mensonge
des réseaux sociaux
que l’on aime faire chaque année exactement la
même chose ou que l’on parte à la découverte, ils
sont un nouvel accessoire de ce moment si précieux,
un nouveau paramètre de ce que l’écrivain voyageur
Nicolas Bouvier appelait « l’usage du monde ». On
prépare nos vacances grâce aux commentaires des
voyageurs, on les photographie et les partage en
temps réel, puis on joue au va-et-vient entre le
moment qu’on est en train de vivre et le monde qui
continue à tourner, les news, les vies des autres, tou-
jours à portée de portable. Depuis Facebook, Ins-
tagram, Twitter, WhatsApp, la bulle sacrée des
vacances ne semble plus tout à fait étanche.
Mais l’a-t-elle jamais été? Ce besoin de maintenir le
lien est-il vraiment différent de la photo souvenir
d’autrefois, des redoutées soirées diapos de nos
parents ou de l’antique carte postale qui s’échangeait
jusque dans les années 80 à des millions d’exem-
plaires? Le sociologue Jean-Didier Urbain, spécialiste
Ci-dessus
et de g. à d. :
parmi les images
de vacances très
instagrammables,
l’assiette
photographiée
comme une nature
morte, le bleu
translucide de
la piscine, le
coucher de soleil
aux orangés
ALBNAM ̄R±
Des clichés
récurrents
diffusés aussi
bien par les
IMSEMCESQR
aux milliers
d’abonnés que
KERAMNMLER
aux comptes
plus modestes.