GEO Histoire - 04.2019 - 05.2019

(Tina Meador) #1

L


a Grèce vaincue s’empara de son fa-
rouche vainqueur et fit pénétrer les
arts dans le Latium sauvage.» Par ces
mots, le poète latin Horace résuma,
au Ier siècle av. J.-C., l’ambivalence du
regard porté par Rome sur cette civi-
lisation : bien que soumise à la domi-
nation latine en 168 av. J.-C., après la
troisième guerre de Macédoine, la Grèce n’en conti-
nuait pas moins d’inspirer l’admiration de ses
conquérants. L’illustre général Paullus (230-160 av.
J.-C.), lui-même, artisan de cette dernière victoire,
succomba à la «grécomanie» qui s’empara des élites
romaines : «Il donnait à ses enfants la formation
nationale et traditionnelle qu’il avait lui-même
reçue, et leur dispensait avec plus de zèle encore la
culture grecque. Car ce n’étaient pas seulement des
grammairiens, des sophistes et des rhéteurs, mais
encore des sculpteurs, des peintres, des dresseurs
de chevaux et de chiens, des maîtres de vénerie,
tous grecs, que ces jeunes gens avaient auprès
d’eux», rapporte Plutarque au Ier siècle de notre ère.
A chaque étape de la conquête, le monde hellé-
nistique avait déversé ses richesses sur l’austère
cité. Elles arrivèrent d’abord sous la forme de butins
razziés aux vaincus, que les généraux exhibaient
en de triomphaux défilés. En 187 av. J.-C., Fulvius
Nobilior ramenait ainsi d’Etolie plus de mille sta-
tues en bronze et en marbre. Bien d’autres suivirent,
acheminées par navires entiers. Les riches Romains
en décorèrent leurs villas. Faute d’acquérir des ori-
ginaux, ils s’en procurèrent des copies, attirant dans
l’urbs (cité) des artisans grecs assurés de crouler
sous les commandes. Formés à cette belle école,
les statuaires romains purent ensuite imiter les
chefs-d’œuvre de Phidias, Praxitèle ou Polyclète.
Mais le butin comprenait aussi des ouvrages savants
(Pompéi se dota par exemple d’une fabuleuse col-
lection de livres de médecine) et, surtout, des pri-
sonniers. Parmi les dizaines de milliers de Grecs
qu’ils réduisirent en esclavage, les Romains trou-
vèrent en effet des pédagogues, des architectes,
des poètes... Une avant-garde servile que viendra
ensuite gonfler un flot continu d’immigrés libres,
porteurs de pratiques et de savoirs nouveaux : ainsi
les médecins grecs supplanteront-ils vite les tra-
ditionnels guérisseurs romains.
A l’instar du général Paullus, de nombreux patri-
ciens succombèrent alors au charme hellénis-
tique. Ils modifièrent leur habitat, ajoutant au plan
traditionnel de la domus (maison) une extension
centrée autour d’un «péristyle», jardin d’agrément
entouré d’un portique, sur lequel s’ouvraient des
pièces désormais spécialisées : prokoïtôna (anti-
chambre), apodutèrion (vestiaire), opôrothèkèn
(resserre à fruits)... A l’intérieur, où le mobilier se

fit plus confortable, des mo-
saïques et des fresques réchauf-
fèrent sols et murs. Ils firent tail-
ler leurs toges dans des étoffes
plus fines, usant de fards et de
parfums, employant barbiers,
coiffeurs et manucures, autant
de soins inédits. Ils se firent bâtir
des gymnases – qui se transfor-
meront vite en bains – et, à l’oc-
casion, s’accordèrent des festins
qui rompaient radicalement avec
l’ancestrale frugalité aristocra-
tique. Le convive, allongé sur un
«lit de table» (triclinium adapté
du klinê grec), jouissait de mets
et de vins fins mais aussi de spec-
tacles, comme cela se pratiquait dans les cours
des royaumes hellénistiques.
Ce faste inédit bouleversa les habitudes mais
aussi les mentalités. Certes, il ne concernait qu’une
infime minorité de familles aisées, mais c’étaient
celles qui comptaient. L’éducation prodiguée par
les patriciens à leurs enfants – désormais corna-

Epicurisme,


stoïcisme...


Les Romains


s'initièrent


aussi à ces


philosophies


Granger Collection New York/Aurimages

LES INFLUENCES


48 GEO HISTOIRE
Free download pdf