C
omme l’écrit Michel Humm (La Répu-
blique romaine et son empire, éd. A. Colin,
2018), l’hellénisme romain fut «organique».
Par ses mœurs, sa langue et ses institu-
tions, Rome était elle-même une cité grecque,
expliquait, dans ses Antiquités Romaines, Denys
d’Halicarnasse débarqué d’Asie mineure vers 30
av. J.-C. Sa langue, «à mi-chemin entre le grec et
les langues barbares», n’était d’ailleurs qu’une cor-
ruption du dialecte éolien. La propagande forgea
même le concept de syngeneia, parenté origi-
nelle entre les deux peuples, thème décliné sous
Auguste par le poète Virgile. Son Enéide, appelée
à devenir épopée nationale officielle, célébrait un
héroïque ancêtre hellène : Enée, prince ayant fui
la guerre de Troie, son père sur les épaules, pour
venir fonder sur les bords du Tibre sa nouvelle
patrie. Mais avant Virgile, Enée avait été vénéré
par les Romains, sous le nom de Jupiter Indiges,
comme fondateur de leur race. De grandes familles
comme les Iulii, parents de Jules César, se flattant
même de descendre directement de lui... Un tel
héritage légitimait pleinement la mainmise sur
le monde méditerranéen.
«Le philhellénisme est, en quelque sorte, consub-
stantiel à l’impérialisme romain, et il est pour ainsi
dire né avec lui», insiste l’historien Michel Humm.
C’est sa forte et très ancienne imprégnation de
culture grecque qui a permis à cette cité de justi-
fier sa prétention à être le nouveau phare de la
civilisation : une nouvelle Athènes. En quelques
siècles, Rome avait absorbé toute l’influence
grecque, puisant à cette fabuleuse manne la
matière nourrissant son génie propre. Ayant len-
tement ingéré et assimilé cet héritage, elle put à
son tour propager son influence culturelle origi-
nale à l’ensemble de son empire, prenant toujours
grand soin d’administrer avec respect ses pro-
vinces grecques, exploitant auprès des élites
locales l’opposition commune aux Perses et se
posant en rempart face aux Barbares. Les empe-
reurs mirent donc en valeur cette filiation néces-
saire à l’affirmation de leur propre puissance. Héri-
tiers mais surtout continuateurs.
L’hellénisme ne fut donc pas ce cadeau empoi-
sonné que Caton l’Ancien dénonçait, mais au
contraire le levier qui permit à la nouvelle puis-
sance de s’élever puis de soumettre durablement
le monde. Rome avait grandi et s’était inventé en
suivant les traces des illustres cités grecques. Sa
croissance achevée, elle s’affirmait maintenant
comme leur gigantesque alter ego. Ni tout à fait
la même, ni tout à fait une autre. C
BALTHAZAR GIBIAT
UNE NOUVELLE
FAÇON DE VIVRE
DANS LES VILLAS
ET LES JARDINS
Larges pièces, fontaines
et riches mosaïques...
Les habitants du Latium
s’inspirèrent de l’aménage-
ment raffiné des demeures
grecques. Et l’existence
supposée qui allait avec,
toute de fastes et de fes-
tins (vue ici par L. Alma-
Tadema, XIXe siècle). Un
nouvel art de vivre qui
bouscula l’austérité des
mœurs traditionnelles.
Photo ci-dessus : Super Stock/Leemage
GEO HISTOIRE 51