GEO Histoire - 04.2019 - 05.2019

(Tina Meador) #1
Panétios et le poète Térence. Né à Carthage vers
190 av. J.-C., ce dernier traduisit, grâce à ce mécé-
nat décisif, plusieurs pièces de Ménandre, le maître
de «la nouvelle comédie» grecque, et écrivit six
pièces comiques en latin inspirées de ce modèle.
En même temps que l’esprit de ses habitants, la
forme même de la ville se modifia, suivant les prin-
cipes d’Hippodamos de Milet, le «père de l’urba-
nisme» qui, au Ve siècle avant notre ère, organisa
les villes grecques selon des plans en damier. Quatre
siècles plus tard, dans De architectura (vers 15 av.
J.-C.), Vitruve dressera un catalogue exhaustif des
édifices romains, révélant tout ce qu’ils devaient à
l’héritage grec. En 117 av. J.-C., la reconstruction du
temple des Dioscures, détruit par un incendie, avait
par exemple abouti à une étonnante synthèse d’in-
fluences, sous les auspices d’Hermodoros de Sala-
mine, un architecte alors très actif à Rome. C’est de
cet habile assemblage – «un système mixte qui pro-
cède de pratiques étrusques et grecques», écrit
Vitruve – que naquit un style proprement romain.
Les trois ordres grecs – dorique, ionique et corin-
thien – furent repris mais combinés, altérés : le
corinthien, par exemple, fut à la fois simplifié et
enrichi de figures animales et humaines. Et si
l’Acropole d’Athènes avait directement inspiré le
réaménagement du mont Palatin, les élèves éga-
lèrent rapidement leurs maîtres.

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ême le sacré fut inspiré par la mode
grecque. La religion primitive se para
de nouveaux atours. Aux ancestrales
puissances naturelles, indéfinies, se
superposèrent les dieux anthropomorphes du
panthéon olympien. Les poètes latins puisèrent abon -
damment dans le réservoir des mythes grecs pour
enrichir les légendes locales : ainsi Héraclès devenu
Hercule poursuivit ses travaux en terrassant le
monstrueux géant Cacus au pied de l’Aventin... A
l’exemple hellénique, les Romains divinisèrent
des abstractions (santé, concorde, liberté...) et
beaucoup furent séduits par les étranges cultes à
mystères venus d’Orient, qui, avec leur débauche
d’encens, de musique et de prêtres magiciens,
rompaient avec les froides cérémonies du culte
officiel. Les autorités s’en alarmèrent d’ailleurs.
En 186 av. J.-C., un procès aboutit à la condamna-
tion à mort de près de 3 000 adorateurs de Bac-
chus, le Sénat craignant que ces bacchanales ne
cachent en réalité un complot contre la domina-
tion romaine en Italie du Sud.
Car cet engouement général pour la Grèce eut
aussi ses détracteurs. De nombreux conservateurs,
gardiens des traditions, accusèrent son influence
omniprésente de corrompre la virtus nationale


  • synonyme de caractère, de courage et d’excel-


lence – et de répandre la mollitia, un abandon
voluptueux du corps et de l’âme en totale contra-
diction avec le rigorisme ancestral. Caton l’Ancien,
notamment, se distingua en s’attaquant violem-
ment aux patriciens qui y succombaient. «Il se fai-
sait un point d’honneur de mépriser tous les arts
et la culture de la Grèce», rapporte Plutarque au
Ier siècle de notre ère. En 195 av. J.-C., alors consul,
Caton s’inquiétait déjà de l’installation en ville de
statues pillées à Syracuse : «Je redoute que ces
biens n’aient pris possession de nous, plutôt que
ce soit nous qui en ayons pris possession.» Et qua-
rante ans plus tard, il précipitera le départ de deux
ambassadeurs athéniens, les philosophes Car-
néade, chef de file de la nouvelle Académie athé-
nienne, et Diogène, un stoïcien, qu’il jugeait dan-
gereusement populaires auprès de jeunes lettrés
accourant écouter leurs leçons. Il
redoutait, écrit Plutarque, de voir
ces derniers influencés jusqu’à
«préférer la gloire de la parole à
celle des actions et des armes».
Bien d’autres moralistes dénon-
cèrent cette influence, corrup-
trice de la pureté romaine, redou-
table cheval de Troie de la déca -
dence installé au cœur de leur
cité. Au Ier siècle de notre ère, Juvé-
nal s’emportait encore : «Je ne puis
supporter que Rome soit devenue
une ville grecque !» Mais canton-
née à quelques fortes têtes, la
résistance anti-hellène fit long
feu. Car Caton comme Juvénal se
trompaient en voyant dans l’hellénisation de Rome
un phénomène récent. Elle avait en fait débuté bien
avant la soumission de l’ancienne civilisation.

D


ès l’installation des colons grecs en Sicile
et dans le sud de la botte italienne, au
VIIe siècle av. J.-C., les Romains avaient
découvert cette civilisation riche et raffi-
née, qui rayonnait jusqu’à Cumes, en Campanie,
à seulement 200 kilomètres de chez eux. Puis, au
IVe siècle, avec Alexandre le Grand, c’est tout le
bassin méditerranéen qui avait embrassé cette
culture, Rome se dotant alors par exemple de ses
premiers thermes. Son assemblée (comitium) prit
la forme circulaire de l’agora des colonies d’Italie
du Sud, accueillant les statues de Pythagore et
Alcibiade, tandis que le consul Quintus Marcius
Tremulus avait l’honneur de la première statue
équestre du forum – copiée sur celle d’Alexandre
modelée par Lysippe – et que Caius Fabius Pictor
peignait des fresques murales dans le temple de
Salus, à la manière des artistes grecs.

Nombre de


conservateurs


accusèrent la


«grécomanie»


de corrompre


les esprits


LES INFLUENCES


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