À L’ÉGARD DES
DIEUX ÉTRANGERS,
LES ROMAINS SE
SONT MONTRÉS
TRÈS TOLÉRANTS
Sur cette peinture de 1894 signée Giuseppe
Sciuti, La Restauration du trésor public, denrées,
objets rares et matières précieuses sont
collectés par les instances romaines. Au dernier
siècle de la République, l’imposition explosa
afin de financer les campagnes militaires
des généraux, notamment durant la guerre des
Gaules menée par César (58-51 av. J.-C).
qui alimentaient le plus régulièrement les
caisses du trésor public». Et pour cause : en 167
av. J.-C., le butin ramené de Macédoine avait été si
prodigieux que les citoyens romains furent exemp-
tés d’impôts directs pendant plus d’un siècle! En
outre-mer, en revanche, le Sénat ne faisait pas dans
la demi-mesure : réquisition des mines et carrières,
taxes sur les marchandises et les affranchissements,
prélèvements sur les terres et les personnes...
Les situations, bien sûr, différaient selon les lieux,
les époques et même selon l’état du Trésor. Deux
cas nous sont particulièrement bien connus tant
ils ont défrayé la chronique : celui de l’Asie – la
plus riche des provinces, située
sur la partie ouest de l’actuelle
Anatolie – et celui de la Sicile, la
plus ancienne des possessions
romaines d’outre-mer, conquise
à l’issue de la première guerre
punique. En Asie, tous les pro-
duits agricoles – céréales, vin,
huile, etc. – étaient soumis à la
dîme : un dixième de la récolte
revenait donc à Rome. A ce pré-
lèvement principal venaient
s’ajouter les portoria (droits de
douane) et la scriptura (taxe sur
les pâturages). A la fin du IIe siècle
av. J. C., dans le but d’alléger l’ad-
ministration fiscale, le Sénat
confia la levée de l’impôt à des
«publicains», des sociétés privées
responsables du recouvrement
des revenus de l’Etat. Le système
était si efficace qu’il fut étendu à
d’autres territoires. Problème :
les publicains, autorisés à conser-
ver une marge de bénéfices,
cherchaient à pressurer les pro-
vinciaux. Saigné à blanc, l’Orient était perpétuel-
lement au bord de la révolte. Il fallut l’interven-
tion de César, en 47 av. J.-C, pour faire cesser les
abus les plus criants.
Le cas de la Sicile était différent : l’impôt y était
collecté par des fermiers locaux. Initialement, l’île
avait pour seule contrainte de verser la dîme sur
les récoltes. Mais au Ier siècle av. J.-C, elle dut s’ac-
quitter d’une seconde dîme, à laquelle s’ajoutaient
une quantité variable de blé destinée au «peuple
romain» et une autre réservée au «gouverneur et
à son personnel». C’est ici que le bât blesse. Dans
un réquisitoire resté célèbre, le grand Cicéron
reprocha à Verrès, propréteur de Sicile de 73 à 71
av. J.-C., de s’être taillé la part du lion sur le dos
des contribuables. Après avoir détourné des
recettes fiscales, l’accusé s’était également rendu
coupable de violences sexuelles et de pillages
d’œuvres d’art. Selon Mary Beard, le fait n’avait
rien d’exceptionnel : «Les gouverneurs considé-
raient qu’une charge exercée à l’étranger était un
moyen facile de récupérer une partie des dépenses
engagées pour se faire élire aux diverses magis-
tratures.» Pour autant, au fur et à mesure que l’em-
pire s’édifiait, l’inconduite des administrateurs
coloniaux était de moins en moins tolérée. En 149
av. J.-C., un tribunal permanent avait même été
établi à Rome pour donner aux étrangers la pos-
sibilité de poursuivre les dirigeants corrompus.
Si, dans la pratique, peu de plaignants s’aventu-
raient jusqu’à la capitale, la loi les y autorisait. L’ini-
tiative était remarquable : jusqu’ici, aucune puis-
sance méditerranéenne n’avait tenté de mettre en
place une telle institution judiciaire.
Très agressifs dans leur politique fiscale, les
Romains se montraient bien moins intervention-
nistes sur le plan culturel et religieux. «Ils n’avaient
aucun désir d’imposer leurs normes à l’étranger,
mais l’auraient-ils voulu qu’ils n’y seraient pas par-
venus, faute de main-d’œuvre suffisante», écrit
Mary Beard. Certes, la romanisation a bien eu lieu
«mais elle procédait plutôt du choix que faisaient
les élites provinciales d’adopter leur propre ver-
sion de la culture romaine», poursuit-elle. Les pro-
vinciaux conservaient leur calendrier, leur mon-
LA COLONISATION
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