Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1
Star Wars et des films de gangsters (il adule Tony Montana dans
Scarface – « un débilos, dit-il aujourd’hui, mais, pour moi, c’était une légende »),
mais aussi Truffaut, Godard, la Nouvelle Vague que lui fait découvrir son père.
Ses parents l’emmènent au Max Linder, sur les Grands Boulevards, où il voit
de vieux films comme Lola Montès, de Max Ophüls, sans oser le dire aux
copains. Quelques jours après l’épisode de la cantine, un pote lui dit qu’il a
été rappelé une seconde fois. Vincent Lacoste décide de vaincre sa timidité
et de tenter sa chance lui aussi. « On devait raconter face à la caméra une
anecdote de lycée, se souvient-il, hilare. Je leur ai dit qu’un jour j’avais trouvé
un bout de gros Scotch et j’avais collé une table au sol pour foutre le bordel. Je
leur ai mimé la classe qui hurlait “oh! le bâtard, le bâtard, il a scotché la table !”,
Riad se marrait, j’ai été pris. » Il se gondole à nouveau rien qu’en repensant à
cette histoire de ruban adhésif. Il a déjà ce petit truc décalé, cet à-côté qui fait
rire les autres, comique involontaire. « Quand je devais lire un texte à voix
haute, tout le monde rigolait alors que j’étais supersérieux. On m’a d’ailleurs
élu délégué sans que je sois candidat, les gens trouvaient ça drôle. »
Des situations absurdes, Vincent Lacoste en a toute une liste comme sa car-

rière de footballeur avortée, car il courait comme un dératé derrière le ballon
et dépassait la cage en oubliant de tirer : « Je croyais que j’étais un assez bon
attaquant. En fait, j’étais nul. » Quand Les Beaux Gosses sortent en salle, il est
au lycée, une nouvelle étape pense-t-il, l’occasion de redevenir le « mec un
peu cool » qu’il était en primaire. En ce début de seconde, il tente de se créer
un personnage, porte des slims, se forge un look « mi-tecktonik, mi-rock avec
des ceintures blanches incrustées de diamants en plastique. Je disais que je
vivais une passion enflammée avec une superbe Espagnole rencontrée pendant
l’été. C’était bidon, évidemment, c’est l’âge où tout le monde raconte n’importe
quoi! Je n’avais dit à personne que j’avais tourné un film parce que j’étais trop
moche dedans. Je disais à Riad : “Je n’arriverai jamais à sortir avec une fille
avec cette immonde coupe Coluche et les pulls tachés que tu m’as fait porter !”
Il me répondait : “Mais non, tu vas pécho, tu verras.” »
Le film cartonne – un million d’entrées et la reconnaissance des critiques –
mais ce qu’il craignait arrive : tous ses efforts pour passer pour un gars qui en
jette tombent à l’eau. Du jour au lendemain, il est interpellé dans la rue :
« Hervé, chaussette! » Dans les soirées, on se fout de lui : « Je n’étais pas connu

“Je n’étais pas connu comme peut l’être un rappeur,


j’étais le mec qui se branle dans des chaussettes.”


Son sex-appeal en prend un coup : “Je n’osais même plus


draguer une fille. J’avais peur de leur foutre la honte :


qui a envie de se taper Hervé des ‘Beaux Gosses’ ?”


comme peut l’être un rappeur, j’étais le mec qui se branle
dans des chaussettes. » Son sex-appeal en prend un coup :
« Je n’osais même plus draguer une fille. J’avais peur de leur
foutre la honte : qui a envie de se taper Hervé des Beaux
Gosses? »
Le cinéma français, en revanche, se rue sur lui. Il croule
rapidement sous les propositions et accepte à peu près
tout ce qui se présente, se retrouve à jouer avec Deneuve
et Depardieu dans la superproduction Astérix et Obélix
au service de Sa Majesté, devient l’ami d’Édouard Baer.
« Je l’ai fait tourner l’année où il passait son bac pour un
film foutraque et sans un rond [JC comme Jésus Christ,
2012], se souvient le comédien et réalisateur Jonathan
Zaccaï. Son agent m’avait dit : “O.K., mais il n’a que dix
jours de vacances en février.” J’allais le chercher chez ses
parents, il dormait sur un lit superposé dans une chambre
avec sa sœur. » Les tournages s’accumulent, mais le moral
décline. À 18 ans, son bac en poche, Vincent Lacoste
quitte le domicile familial, la chambre au lit gigogne, les
posters de Lorie et de Michael Jackson pour un apparte-
ment en solo.
Une émancipation logique – « je gagnais ma vie, je pou-
vais être autonome » –, mais arrivée un peu trop vite, un
peu trop brutalement, comprend-il avec le recul. Entre
deux films, il ne sait pas quoi faire de son temps. Ses
copains poursuivent leurs études, il n’a ni horaires ni
repères. « J’ai eu une grosse période de doute, j’étais très
anxieux, très névrosé. » Il développe toutes sortes de
symptômes dont un particulièrement handicapant : la
peur de vomir, appelée émétophobie. Car derrière le gai
luron nonchalant qu’on a vu débarquer dans le café
désert se cache en fait un grand angoissé. « Il est plus
sombre qu’il n’y paraît, témoigne Justine Triet. Il est tor-
turé par les choses complexes de l’existence, mais il a la
politesse des gens classes de ne pas balancer son angoisse
aux autres. »

LUI


reconnaît avoir toujours été « peu-
reux ». « Je me souviens n’avoir pas
dormi une nuit au camping après
avoir vu une fille bourrée : je pen-
sais qu’avec ses copains ils allaient
venir me droguer dans mon som-
meil. » Il évoque la trouille constante de se faire mal, de
se casser quelque chose, les nuits blanches à se repasser
en boucle des films aux univers noirs comme Elephant
Man ou Sin City. La hantise de vomir et la nausée per-
manente qui l’accompagnent le poussent dans le cabi-
net d’un psychanalyste où il passera plusieurs années :
« J’avais un poids, un stress, une pression, ça avait com-
mencé tellement jeune pour moi que j’avais l’impression
que les gens comptaient sur moi, que j’avais des respon-
sabilités. » « On était des traînards comme disait
Rochefort, explique son ami Félix Moati, qui l’a rencon-
tré quand il avait 18 ans et Vincent 15. On avait un rap-
port au temps très délité, très décousu, c’était vertigineux.
C’était une époque avec beaucoup d’angoisses, beaucoup
de questionnements, beaucoup de boisson, beaucoup de
sorties. Il nous a fallu du temps pour accepter que c’était
notre métier, de dépasser le sentiment d’imposture et de
se vivre comme acteurs. »
Aujourd’hui, Vincent Lacoste va beaucoup mieux. Les
vertiges ont disparu, il s’est ancré. « Il fallait que je m’ha-
bitue à ma nouvelle vie », admet-il. Certes, il y a bien
quelques rechutes, comme ces vacances où, souffrant
d’un torticolis, il a passé ses journées à se palper

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LE MAGAZINE

Maciek Pozoga pour M Le magazine du Monde.
De gauche à droite et de haut en bas, trench, Husband Paris. Chemise, Celine par Hedi Slimane.
Veste, Husbands Paris. Polo, Lemaire. Veste, Paul Smith. Pull, Gucci. Polo, Lemaire

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