Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1
le cou en se voyant mourir. « J’ai beaucoup d’amis
médecins », se marre-t-il. En plus de la psychanalyse, il
a su s’arrimer à un entourage solide et aimant. Il y a bien
sûr Riad Sattouf, tout à la fois l’ami et le grand frère qu’il
continue à voir plusieurs fois par semaine, mais aussi
toute une bande de copains qui ont la même vie que lui,
« avec qui je pouvais parler de mes doutes » : les comé-
diens Félix Moati et William Lebghil, le réalisateur
Antoine de Bary.

TOUS


habitent dans le
même périmètre,
entre la place de la
Nation et celle de la
Bastille, se font de
bonnes bouffes dans
les restaurants du quartier, partent en vacances
ensemble, jouent au tarot tard le soir. Ils se voient avec
leurs « amoureuses » ou sans. Des jeunes qui passent
davantage de temps à lire Le Fooding qu’à arpenter les
dance floors des boîtes de nuit, à l’image d’une généra-
tion cocooning qui se tient chaud sur un canapé devant
un bon film. Plus axés pot-au-feu, blanquette et vins
natures que drogues et rock and roll. La nourriture
occupe une place centrale dans leurs vies : « J’adore
manger, je connais tout un tas de bons chefs, ça occupe
quand on n’a que ça à faire! », sourit Lacoste. En ce
moment, il fait « une fixette sur les anchois, j’en mange
toute la journée ». Et le voilà reparti à rire tout seul. « Il
ne cuisine pas et, comme moi j’adore ça, je lui fais des
petits plats, dit l’ami William Lebghil. Récemment, on est
partis en Suisse. Pas pour le ski, mais pour la fondue : on
en a mangé midi et soir! On vit comme des jeunes vieux
ou des vieux jeunes. » « Sur le tournage, entre lui et
Antoine de Bary, j’avais l’impression d’être avec Jean
Rochefort et Philippe Noiret, s’amuse Emmanuelle
Devos, qui incarne sa mère psy dans Mes jours de gloire.
Depuis, on essaie une fois par mois un nouveau resto tous
ensemble avec Anaïs Demoustier et Antoine. »
Il y a peu, Vincent Lacoste s’est trouvé une nouvelle
passion : le bricolage. Il a passé beaucoup de temps à
arranger son appartement : « Je me suis transformé en
véritable blogueuse déco », s’esclaffe-t-il. Il vient de pas-
ser deux jours à fabriquer un meuble sur mesure pour
son pote Will. « On a meublé le temps! J’ai adoré ça »,
raconte-t-il avec délectation. « Depuis, il s’est acheté une
perceuse et tout l’attirail, et il me tanne pour construire
une étagère chez moi », sourit Antoine de Bary. Sinon,
Lacoste voyage, « car à Paris sans tourner, au bout d’un
moment, je me fais un peu chier » : Berlin, Costa Rica,
Pérou, États-Unis, Chine, Japon, Italie.
Quand il travaille, en revanche, il s’y met à fond. « C’est
un faux glandeur et un gros bosseur », constate Justine
Triet. Depuis quelques années, Vincent Lacoste a
entamé sa mue, a fait oublier Hervé, en prenant de
l’épaisseur, se frottant à des personnages plus âgés, plus
rugueux ou plus troubles dans Hippocrate (2014), de
Thomas Lilti, dans lequel il campe un jeune médecin,
ou Victoria (2016), de Justine Triet, où il incarne un
baby-sitter ambigu et séducteur. « Après le tournage du
Skylab, de Julie Delpy [2011], j’ai compris ce qu’était un
auteur, je me suis mis à choisir davantage. Ce qui prime

pour moi, c’est d’abord le réalisateur, puis l’histoire et le personnage. » « Il fait
partie des acteurs cinéphiles, ça guide ses choix, note Félix Moati. Dans le
boulot comme dans ses décisions personnelles, il est très sûr de ce qu’il fait,
il ne s’embarrasse pas de choses qui ne lui plaisent pas. »
Sous le regard de la caméra de quelqu’un qu’il admire, rien ne semble
l’effrayer : se déguiser en fille pour Riad Sattouf (Jacky au royaume des filles,
2014), jouer un jeune homo pour Christophe Honoré (Plaire, aimer et courir
vite, 2018), être grotesque, passer pour un pauvre type, faire l’amour à des
femmes sublimes qui ont vingt ans de plus que lui dans la vie (Charlotte
Gainsbourg, Virginie Efira, Chiara Mastroianni), se masturber comme dans
Mes jours de gloire. Il nous reprend : « Ah non! la branlette, ce n’est pas un
critère. Depuis Les Beaux Gosses, j’ai toujours eu l’air d’un con avec ça! » Plus
sérieusement, il poursuit : « Ce qui m’intéresse, c’est de tout essayer, j’aime le
cinéma dans son entièreté. Ça me plaît de faire des choses différentes, d’être
ridicule dans le film d’Antoine de Bary et hyperbeau et sexué dans les films
d’Honoré. Je ne veux pas choisir entre les deux, me priver de quoi que ce soit.
Quand on fait confiance, quand on se sait et se sent bien regardé, on peut faire
n’importe quoi, même des choses assez crues, des scènes de sexe. Si c’est fait
dans la joie et avec respect, je n’ai pas vraiment de limites. »
Il n’a jamais pris de cours de théâtre, il a trouvé seul sa propre technique
de travail : « J’apprends le texte très en amont, je le répète à voix haute, j’y
pense toute la journée, dans la rue ou en mangeant, je suis assez obsessionnel.
Je dégage un truc un peu mou, c’est à cause de mon apparence physique, mais
dans ma tête ça ne se passe pas du tout comme ça! Je me pose toujours un
milliard de questions, je suis stressé, donc je travaille. »
Sur les tournages, il arrive avec son texte connu sur le bout de la langue.
« C’est très facile de le diriger, car son travail ne se voit pas, explique Félix
Moati, qui l’a également mis en scène dans Deux fils. Il a une forme d’élégance
sur le plateau, il n’est pas démonstratif, comme dans la vie, d’ailleurs. » « Il est
d’une disponibilité totale, d’une aisance stupéfiante. Il est tout le temps dans le
jeu, il n’y a pas de mauvaises prises avec lui, il offre toujours quelque chose »,
abonde Jonathan Zaccaï. « Il est tout de suite dans le ton, confirme Pascal
Bonitzer, qui l’a dirigé dans Tout de suite maintenant (2016). C’est un acteur
subtil qui ne fait jamais d’histoires, on a envie de l’embrasser! » Ses partenaires
sont tout aussi dithyrambiques. « Vincent, c’est une danseuse classique, on ne
voit pas l’effort », résume Emmanuelle Devos. Quand ils ont tourné Première
année (2018), Vincent Lacoste et William Lebghil ne se sont pas quittés du
tournage : « Il venait me chercher le matin en bagnole, on passait la journée
ensemble, comme dans le film, le soir, on rentrait et on se matait des films, se
souvient Lebghil. Dans le jeu, il est comme au foot, il fait des passes, il met son
partenaire dans les meilleures dispositions. » « Il rend les autres meilleurs, car
il reste à sa place, il n’en fait jamais des caisses, il ne surjoue pas », résume
Antoine de Bary, qui a aussi partagé avec lui l’affiche de Deux fils.
Vincent Lacoste n’a, pour l’instant, aucune velléité d’écrire ou de passer
derrière la caméra : « Ce que j’aime, c’est jouer, mon plaisir, c’est jouer, tra-
vailler avec des metteurs en scène, dire leurs textes, je suis un interprète. » Il
visionne des films tous les jours, a encore des tas d’envies de rencontres,
voue un culte à Jacques Audiard et à Arnaud Desplechin, adore le travail de
Céline Sciamma, Rebecca Zlotowski, Claire Burger ou Ladj Ly. Malgré le
succès, la terreur que tout s’arrête ne l’a pas quitté. « Ça a commencé d’un
coup, ça peut s’arrêter de la même façon. J’ai peur de devoir accepter des rôles
moins intéressants, de jouer dans des films moins bons. Il suffit que quelqu’un
me dise “oh! c’est cool, tu as tourné trois films cette année !” pour que je
m’interroge : “Est-ce que je tourne trop ?” Alors j’appelle mon agent pour qu’il
me rassure. » Il se marre à nouveau tout seul, finit son Perrier fraise, salut
tout le monde, remet ses lunettes de soleil et traverse la rue dans l’autre
sens, en s’ébouriffant les cheveux des doigts de la main. Son héros de
cinéma est l’acteur américain James Stewart, dont l’élégante silhouette char-
rie maladresse et doutes. En regardant s’éloigner Vincent Lacoste, on com-
prend ce qui lui plaît chez le bel inquiet d’Hollywood.

MES JOURS DE GLOIRE (1 H 38), D’ANTOINE DE BARY. EN SALLE LE 26 FÉVRIER.

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LE MAGAZINE

Maciek Pozoga pour M Le magazine du Monde.
Polo, Canali. Pantalon, Brioni. Chaussettes, Falke. Chaussures, Gucci
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