Les Echos - 09.03.2020

(Steven Felgate) #1

Les Echos Lundi 9 mars 2020 IDEES & DEBATS// 13


sciences


SANTÉ// L’ OMS se refuse pour l’heure à relever son alerte d’état épidémique à celui de pandémie. Le
passage à ce stade indiquerait que tous les humains seraient potentiellement exposés au coronavirus.

Covid-19 : vers une pandémie?


Paul Molga
@paulmolga

C


ombien de personnes seront fina-
lement contaminées p ar Covid-19?
La totalité de l’humanité, comme
le véhiculent l es rumeurs les plus folles sur
les réseaux sociaux? Quelques centaines
de milliers tout au plus? Partout dans le
monde, les équipes de recherche se frot-
tent à cet exercice prédictif périlleux et
anxiogène.
Et chacune de leurs sorties publiques sus-
cite la polémique. Comme celle de l’épidé-
miologiste Marc Lipsitch de l’université de
Harvard. Ses prévisions, révélées le
24 février dans le mensuel américain
« The Atlantic », ont fait grand bruit. Il y indi-
que que 40 à 70 % de l’humanité seront
infectés par le coronavirus au cours de cette
année, tout en reconnaissant dans le maga-
zine « Sciences et Avenir » « qu’il y a
beaucoup trop d’inconnues pour établir des
projections fiables, publiables dans des revues
scientifiques ». Lipsitch n’est pas le seul spé-
cialiste de la modélisation mathématique
des épidémies qui pense que ce virus conti-
nuera de se répandre largement. « Nous
sommes encore très loin du pic de contagion »,
estime Jean-Stéphane Dhersin, directeur
adjoint scientifique à l’Institut national des
sciences mathématiques et de leurs interac-
tions. Pour prédire ce que sera la progres-
sion d’une maladie, les prévisionnistes
s’appuient sur un modèle baptisé SEIR : S
pour susceptibles, représentant les person-
nes pouvant être contaminées ; E pour expo-
sés, c’est-à-dire contaminés ; I pour infec-
tieux, ou c ontagieux ; R pour remis, ou sortis
d’affaire. En observant la progression de
l’épidémie, ils peuvent facilement entrer les
données E et I. Mais celles du premier et der-
nier stade sont plus difficiles à obtenir.

Taux de reproduction inconnu
L’information indispensable pour nourrir
les modèles est le taux de reproduction de
base, le R0. C’est le nombre d’infections
générées p ar u ne personne malade.
Au-dessus de 1, cette valeur indique un
risque épidémique. Il est de 18 pour la rou-
geole, de 2 à 5 pour le virus HIV, d’environ
1,3 pour la grippe saisonnière et a priori de
2,5 pour Covid-19. « Ce taux est très difficile à
déterminer », reconnaît Jean-Stéphane
Dhersin. Il dépend en effet très directement
des mesures de protections publiques
comme la mise en quarantaine de clusters
infectieux, l’incitation au confinement
volontaire des malades ou au port de mas-
que. La succession de décisions autoritaires
du pouvoir chinois a ainsi fait baisser le R
dans le pays de 3,1 en janvier à 2,6, puis 1,9 et
enfin 0,9 fin février, constate une étude
publiée dans la revue « Nature ». Ailleurs,
l’infection poursuit sa progression. Bien que
l’OMS refuse encore de la qualifier d e pandé-
mie, correspondant à une épidémie plané-
taire, les foyers s e multiplient partout dans l e
monde avec une présence désormais affir-
mée dans presque 80 pays. Même le conti-
nent africain n’est plus épargné. Un premier
cas d e coronavirus a été confirmé e n Afrique
du Sud jeudi. Le Nigeria, le Sénégal, l’Egypte
et l’Algérie sont aussi concernés.
Les travaux de modélisation de l’équipe de
Vittoria Colizza, directrice de recherche
Inserm à l’Institut Pierre-Louis d’épidémio-
logie et de santé publique, publiés dans « The
Lancet » le 19 février, ont analysé le potentiel
de chaque pays à faire face au risque de pro-
pagation d’une maladie contagieuse à partir
de données de l’OMS et d’éléments officiels
fournis par ces mêmes pays. Ils ont enfin
appliqué au modèle un score d e vulnérabilité


  • Infectious Disease Vulnerability Index –
    mesurant des f acteurs autres que c eux liés au
    système sanitaire, comme le niveau socio-
    économique de la population ou la stabilité
    politique. Leurs résultats, qui sont antérieurs
    à l’émergence du virus en Afrique, montrent
    que l’Egypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud sont
    les pays les plus exposés au risque d’importa-
    tion du virus sur le continent africain.


Des soldats sud-coréens en combinaison de protection et armés de désinfectant, dans le cadre de la lutte
contre le coronavirus. Photo Yonhap/AFP

Les pires
épidémies
de l’humanité

l 54 0 : la peste
de Justinien
Partie d’Egypte, cette
épidémie véhiculée par
les premiers échanges
commerciaux aurait
tué 25 millions
de personnes.
l 1347 : la peste
noire
Cette infection
bubonique aurait tué
de 25 à 34 millions
de personnes ( 40 %
de la population
européenne).
Elle était transmise
d’homme à homme
et par piqûre de puce.
l1852 : le choléra
Ce virus s’est
répandu depuis l’Inde
jusqu’en Russie avant
de gagner l’Europe
entière, où elle a fait
plus de 1 million
de victimes.
l1918 : la grippe
espagnole
Elle serait née de
la combinaison avec
des gènes aviaires.
Elle aurait tué
100 millions
de personnes.
l1981 : le VIH
Il reste encore sans
traitement préventif.
Il a fait plus
de 36 millions
de victimes.
l2002 : le SRAS
Parti de Chine, ce
coronavirus a infecté
8.096 personnes et
tué 774 d’entre elles.
l2012 : le MERS
Ce coronavirus
moyen-oriental
a infecté 2.
personnes et
provoqué 85 8 décès.

o


L’ÉTUDE


Le coronavirus fait


baisser la pollution


A


tout malheur quelque chose est bon.
La preuve avec les données collectées par le
Service pour la surveillance de l’atmosphère
Copernicus (CAMS). Ce dernier a observé une
diminution des particules fines (PM 2,5) en février
par rapport aux trois années précédentes au-dessus
de la Chine. Une baisse de 20 à 30 % de ces polluants
atmosphériques qui est la conséquence directe
des mesures prises par le gouvernement chinois
pour réduire les risques de propagation de la
maladie, lesquelles se sont traduites par un recul
considérable des activités quotidiennes, y compris
l’industrie et la circulation. Fleuron de l’Union
européenne en matière d’observation de la Terre,
Copernicus, dans le cadre de son service CAMS,
surveille la quantité de PM 2,5 au-dessus de la Chine
et des principaux pays en combinant les
observations des satellites avec des modèles détaillés
de l’atmosphère. Rappelons que le terme de PM 2,
est utilisé pour décrire des particules, qu’elles soient
de composition solide, gazeuse ou liquide, de
2,5 micromètres de diamètre ou moins. Facilement
inhalées et s’infiltrant profondément dans le système
respiratoire, elles sont connues pour déclencher
ou aggraver des maladies chroniques et d’autres
problèmes respiratoires. L’Organisation mondiale
de la santé les classe parmi les polluants
atmosphériques ayant le plus fort impact sur la santé
humaine. — Yann Verdo


L


e problème climatique est en évolution rapide
et, face au besoin de dépasser le stade
de l’alerte pour mieux appréhender l’espace
des solutions, il existe un consensus large sur
la nécessité d’un effort de formation dédiée. Cette
formation doit bien sûr concerner tous les âges
de l’existence, et cela d’autant plus que les
manifestations désormais bien visibles du
changement climatique réclament des actions
immédiates. Le rôle des jeunes générations toutefois
est particulièrement important, parce qu’elles
manifestent elles-mêmes leur sensibilité à ces
problématiques et parce que nous savons qu’il
faudra nécessairement des décennies pour contenir
et stabiliser l’évolution du climat. La formation
scolaire et universitaire doit être à la hauteur
de ces enjeux citoyens et aider les jeunes à acquérir
l’autonomie de pensée et la vision systémique
nécessaires pour se confronter dans le futur
à des situations, à des choix, qu’il n’est pas possible de
définir avec précision dès maintenant. L’Education
nationale met progressivement en place une
approche plus systématique de ces problèmes. Dans
les lycées généraux, en fin de cursus, tous les élèves
vont désormais recevoir 50 heures de cours
consacrés au climat et à l’énergie. Ce dispositif
concerne 400.000 jeunes chaque année – mais pas
les 200.000 jeunes de l’enseignement technologique
et professionnel, une exclusion difficile à justifier
qui demandera nécessairement à être révisée.
Des extensions à l’école primaire, aux collèges,
à l’enseignement supérieur sont aussi nécessaires
pour toucher l’ensemble d’une génération dans
les différentes phases de son évolution, avec bien sûr
une pédagogie très différenciée. Cela pose la
question de la formation des enseignants eux-
mêmes : le problème climatique est complexe,
réclame des approches pluridisciplinaires et
l’enseigner demande de maîtriser une part au moins
de cette complexité. Des initiatives existent pour
fournir des outils pédagogiques actualisés, par
exemple la création d’un Office for Climate
Education, hébergé sur le site de S orbonne
Université par l’Institut Pierre-Simon Laplace. Mais,
face à l’ampleur de la tâche, la convergence d’efforts
multiples est nécessaire.


Hervé Le Treut est climatologue, directeur
de recherche au CNRS.


LA
CHRONIQUE
d’Hervé Le Treut


Climat : l’école


en première ligne


Quelle est la fiabilité de cet exercice de
modélisation? « Les i nfections virales sont des
maladies s pécifiques à des écosystèmes d onnés
et leur propagation dépend d’une quantité de
paramètres environnementaux : le climat, le
taux d’humidité, la géographie, l’exposition
aux rayonnements UV, la vulnérabilité de la
population, le microbiote humain... Impossi-
ble de considérer globalement ces facteurs, ce
qui rend les modèles t rès suspects », explique le
professeur de microbiologie Didier Raoult.
Et il en veut pour preuve les dernières décou-
vertes de son équipe à l’institut hospitalo-
universitaire Méditerranée Infection : en
analysant le microbiote nasal de pèlerins
revenant de La Mecque, elle a constaté que
les porteurs sains d’un virus respiratoire pro-
che de Covid-19 ne contenaient pas de bacté-
ries pathogènes, contrairement aux mala-
des. « On était loin de se douter de ces liens de
dépendance entre virus et bactéries, qui peu-
vent mettre à mal la performance des modèles
de simulation », poursuit le chercheur.

Un virus saisonnier?
Si Covid-19 n’est pas contenu et qu’il finit par
gagner massivement les cinq continents
habités, les experts envisagent alors deux
scénarios. Le premier, relayé par Stephen
Morse de la Mailman School of Public
Health de l’Université Columbia, spécule
qu’après avoir contaminé au moins 60 % de
la population mondiale après plusieurs

années d’intense activité, Covid-19 étoffera
le catalogue des coronavirus qui circulent
déjà chez l’homme : au nombre de quatre
(OC43, 229E, HKU1, NL63), ils sont respon-
sables d’un quart des rhumes et peuvent
parfois provoquer une pneumonie et le
décès des patients les plus fragiles.

L’autre scénario suggère qu’il s’installe
comme un virus saisonnier, disparaissant
comme la grippe au gré des conditions
météorologiques. La question que se posent
les chercheurs dans ce cas est de savoir si
Covid-19 peut muter pour devenir plus dan-
gereux. Le biologiste Michael Farzan de l’ins-
titut californien de recherche Scripps a semé
un début de panique en rappelant que les
virus constitués d’un seul brin d’ARN (un brin
d’ADN simplifié), comme ce nouveau venu,
mutaient rapidement. Cependant, comme le
SRAS, Covid-19 disposerait d’un système de
relecture moléculaire réduisant ce taux à un
niveau très inférieur à celui de la grippe.
Mieux : sa virulence pourrait même baisser.
Les recherches doivent le confirmer.n

La question que se posent
les chercheurs est
de savoir si Covid-
peut muter pour devenir
plus dangereux.

Le coronavirus est-il réinfectant?


Est-ce une nouvelle capacité de Covid-19? Après que plusieurs patients en
Chine et au Japon ont été testés positifs postérieurement à leur guérison, la
communauté médicale et scientifique tente de comprendre. Certains virus,
comme celui responsable du rhume, développent cette faculté. Mais les
anticorps qui se développent chez les personnes infectées empêchent
logiquement de nouvelles contaminations. « Je ne dis pas qu’une réinfection
ne peut pas arriver, n’arrivera jamais, mais sur cette courte période, c’est peu
probable », a ainsi déclaré au « New York Times » le virologue Florian Kram-
mer de l’Icahn School of Medicine de Mount Sinai. Une hypothèse cible la
durée de la période d’immunité. Quelques jours? Plusieurs mois? A vie?
Les coronavirus apportent des réponses différentes : dans le cas
du SRAS en 2003, aucun cas de réinfection n’a été rapporté, dans celui du
MERS qui a sévi en 2012, un cas a été rapporté et l’immunité n’a pas dépassé
un an. La sévérité de l’infection qui stimule la réponse immunitaire pour-
rait expliquer ces écarts. Autre hypothèse : la persistance du virus dans
l’organisme, même après leur guérison. Comme l’herpès, l’agent pathogène
pourrait rester en sommeil et réapparaître à l’occasion d’un épisode
immunodépressif provoqué par une grosse fatigue. Ce scénario est
défendu par plusieurs chercheurs chinois dans une publication livrée
le 27 février au « Journal of the American Medical Association ». Dans
tous les cas, la question de la contagiosité du patient pourrait être revue.
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