Les Echos - 09.03.2020

(Steven Felgate) #1

Les Echos Lundi 9 mars 2020 MONDE// 07


Dilemme


français


L


’Italie confine un quart
de sa population, l’OMS
salue des « mesures
courageuses », nos esprits
cartésiens comprennent
aisément : c’est grave, on
réagit fort. Normal, mais
bigrement compliqué pour
le voisin français s’il veut faire
autrement. Comme jouer du
hautbois à côté d’une grosse
caisse. Car, de ce côté-ci
des Alpes, ce sont les experts
médicaux, sur lesquels
s’appuient tant les pouvoirs
publics, qui entament la petite
musique du « on en fait trop ».
Attention à la psychose, dit le
professeur Juvin sur France 5.
« Tout ce qui empêche les gens
de vivre, de faire les courses, et
donc bloque l’économie est bien
plus délétère que l’épidémie
elle-même », affirme
l’infectiologue François
Bricaire dans le « JDD ».
« L’économie, c’est aussi
de la santé », dit-il. L’inverse
est également vrai.
Mesures fortes, panique, pays
paralysé : les pouvoirs publics,
qui ont vu les rayons dévalisés
dans les supermarchés,
veulent enrayer la spirale.
A fortiori quand on sait « que
les crises agissent comme des
amplificateurs de fractures »,
dit Chloé Morin, analyste de
l’opinion : « Ce sont les plus
fragiles sur le plan économique
qui subiront les conséquences
d’une communication qui
bloquerait l’économie. »
Bloquer le virus sans bloquer
l’économie, tel est donc
l’enjeu. Ou, dit autrement,
trouver un « juste milieu »,
même si le terme a disparu
du débat public. A coté de ses
réponses sanitaires, l’exécutif
met l’accent sur l’économie


  • soutien en trésorerie des
    entreprises, « cas de force
    majeure » pour celles qui
    travaillent avec l’Etat, etc. –
    au risque de subir une
    pression redoublée en faveur
    de largesses budgétaires.
    Face au virus, il affiche
    son « pragmatisme », une
    approche différenciée selon
    les situations locales, quitte
    à créer des malentendus et
    une gestion heure par heure
    de l’épidémie. Il a deux
    préoccupations. Permettre
    la circulation des personnels
    médicaux et des produits
    pour la prise en charge
    des plus malades. Eviter
    les comportements collectifs
    de panique qui plongeraient
    le pays dans la récession.
    Le tout prend l’Italie
    en antimodèle, même
    si la diplomatie empêche
    de le dire. Et pousse l’exécutif
    à retarder l’annonce
    du stade 3, le terme étant
    devenu synonyme de saut
    dans l’inconnu. « Il ne faut
    pas s’en faire une montagne »,
    prépare Muriel Pénicaud sur
    BFM, en rappelant aussitôt
    qu’il sera suivi d’un stade 4
    d’amélioration. CQFD, il y a
    une vie après le stade 3.
    La politique est psychologie,
    plus que jamais.
    [email protected]


LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE

Cécile
Cornudet

L’exemple italien ne
facilite pas une stratégie
française qui considère
qu’un blocage du pays
susciterait des domma-
ges humains au moins
aussi importants que
l’épidémie elle-même.

Dessins Kim Roselier pour

« Les

Echos »

fidèles s’étaient rassemblés, pour
baiser les pieds de la statue miracu-
leuse et faire trois vœux, comme
chaque premier vendredi de mars.
Mais cette année ils ont été priés de
se tenir à distance.
Quel impact la crainte de l’épidé-
mie va-t-elle avoir sur les célébra-
tions de la « Semana Santa »? C’e st la
question en Espagne, alors que
l’ouverture des Fallas, les grandes
fêtes de Valence, est imminente. Ces
dernières donnent d’ailleurs le coup
d’envoi de toutes les célébrations
religieuses autour de Pâques,
attractions touristiques majeures
du pays, et qui attirent des centaines
de milliers de personnes, tout parti-
culièrement en Andalousie. Mais
cette année, l es annulations
s’enchaînent, et nul ne sait comment
vont se dérouler les processions et
pèlerinages habituellement hauts

en c ouleur et en ferveur. Les évêques
espagnols ont tenté de parer au plus
pressé en appelant à suivre les
recommandations sanitaires. Ils ont
notamment demandé à vider les
bénitiers, interdit de donner la com-
munion directement dans la bou-
che et recommandé d’é viter les con-
tacts physiques lors des messes.

Croissance revue à la baisse
Alors que les entreprises s’organi-
sent pour favoriser le travail à dis-
tance afin d’éviter transports et réu-
nions, l’incertitude plane sur les
grands rassemblements prévus
dans les prochaines semaines et le
secteur touristique. Ce dernier est
l’un des principaux poumons de
l’économie du pays, auquel il
apporte près de 15 % de son PIB.
Aujourd’hui ce secteur réclame des
mesures de soutien, alors qu’il

essuie une vague d’annulations.
Cette situation vient d’entraîner une
révision des prévisions de crois-
sance de S&P, qui table sur une
avancée du PIB de 1,3 % au lieu de
1,7 % précédemment. En dépit de
ces avertissements, l’Espagne, qua-
trième pays le plus touché d’Europe
par le virus (après l’Italie, l’Allema-
gne et la France), s’est pour l’instant
centrée dans la gestion de la crise
sanitaire sans adopter de mesure
économique forte pour aider à
amortir l’impact de l’épidémie sur
l’activité du pays.
Depuis l’annulation du grand
salon de la téléphonie mobile de
Barcelone, les annulations des con-
grès s’enchaînent et les hôteliers
sont sur le qui-vive. « Le secteur le
plus affecté jusqu’ici est celui du tou-
risme de congrès et conférences, avec
une chute [allant] jusqu’à 70 % des

En Espagne, l’incertitude plane sur la semaine sainte


Cécile Thibaud
@CecileThibaud
— Correspondante à Madrid


« On ne peut ni toucher ni embrasser
la statue », indique l’affichette à
l’entrée de l’église. En pleine épidé-
mie de coronavirus, alors que
l’Espagne affiche plus de 500 cas de
contagion et 10 décès au dernier
comptage, c’était la question des
signes de dévotion qui préoccupait
vendredi devant la chapelle du
Christ de Medinaceli, au cœur de
Madrid. Suivant la tradition, les


Le secteur touristique
espagnol, qui a subi de plein
fouet le coup d’arrêt donné
aux congrès et aux voyages
d’affaires, attend les
mesures promises par le
gouvernement.


mie, selon une enquête de la Cham-
bre de c ommerce e t d’industrie alle-
mande. D’autant que le ministre
allemand de la Santé, Jens Spahn, a
appelé dimanche à l’annulation de
toutes les manifestations de plus de
un millier de personnes.
Le gouvernement d’Angela
Merkel se dit prêt à fournir des liqui-
dités d’urgence par le biais de prêts
de la banque p ublique KfW, d’accor-
der des garanties de crédit et d’acti-
ver les indemnités de chômage par-
tiel à court terme. Le soulagement
qu’aurait pu représenter vendredi
l’annonce d’un rebond de 5,5 % des
commandes à l’industrie en janvier
a cédé la place à un regain d’inquié-
tude dû à l’annonce du recul de plus
de 17 % des exportations de la Chine
au cours des deux derniers mois.
Alors même que son économie
est au point mort, l’A llemagne est en
effet le premier récipiendaire des
importations chinoises, notam-
ment pour son industrie dont les
chaînes logistiques sont menacées.
Les régions les plus industrielles et

économiquement motrices du pays
constituent en outre les principaux
foyers infectieux : 85 % des cas de
coronavirus se situent en Rhénanie-
du-Nord-Westphalie, en Bavière et
dans le Bade-Wurtemberg.
Au soutien financier à court
terme des entreprises pourrait
s’ajouter une accélération de la sup-
pression de l’impôt de solidarité
(« Soli ») aux nouveaux Länder, créé
lors de la réunification. Selon le
« Frankfurter Allgemeine Zeitung »,
le gouvernement pourrait décider
de supprimer cet impôt pour 90 %
des ménages avec six mois d’avance,
soit dès le 1er juillet. L’idée est de ras-
surer les Allemands sur la réactivité
du gouvernement afin de protéger le
moteur de la consommation.

« Achats de hamster »
La vitesse de propagation du virus
(plus de 300 cas en quelques heu-
res) nourrit la fébrilité des habi-
tants, qui font de plus en plus
d’« achats de hamster ». Certains
rayons de supermarchés se clairsè-

faire face à une crise économique
grave », a assuré le ministre des
Finances Olaf Scholz dans une
interview au « Bild ».
La présentation en Conseil des
ministres, mercredi prochain, du
rapport sur la soutenabilité des
finances publiques renforce son pro-
pos. De source gouvernementale, il
manquerait ainsi entre 50 et 140 mil-
liards d’e uros pour équilibrer les
finances publiques allemandes d’ici
à 2060. Sur la base des hypothèses
les plus défavorables, l e taux d’endet-
tement grimperait à 64 % dès 2040.
Ce serait moins de la moitié du
niveau de la projection établie lors
du précédent rapport en 2011
(136,1 %), se défend-on dans l’entou-
rage du gouvernement. Mais,
compte tenu de la hausse récente
des dépenses liées au vieillissement
de la population, il n’y a aucune rai-
son non plus de relâcher les efforts,
estime-t-on. Selon le scénario le
plus dégradé du rapport, le taux
d’endettement menacerait de fait
d’atteindre 180 % en 2060.n

La menace de récession inquiète l’Allemagne


Ninon Renaud
— Correspondante à Berlin


La fébrilité des Allemands est mon-
tée d’un c ran face à la multiplication
des cas de coronavirus. 939 mala-
des étaient identifiés dimanche par
l’Institut Robert-Koch chargé de
centraliser les cas et un citoyen alle-
mand est décédé en Egypte. Les
annulations de sorties et de voyages
et la multiplication des mises en
quarantaine font tourner l’écono-
mie au ralenti. Touché de plein
fouet, L ufthansa envisage d e
réduire sa capacité à hauteur de
50 %. Une entreprise allemande sur
deux s’attend ainsi à voir son chiffre
d’affaires reculer du fait de l’épidé-


Alors que la propagation du
virus s’accélère outre-Rhin,
les entreprises craignent la
panne. Si le gouvernement
se dit prêt à les soutenir
financièrement, il ne veut
pas entendre parler d’un
plan de relance.


de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC), « les effets sur
l’économie mondiale devraient être
substantiels et devraient commencer
à se refléter dans les données sur le
commerce ces prochaines semai-
nes ». Il est d’ores et déjà assuré que
les statistiques au titre du premier
trimestre seront désastreuses. La
fermeture des entreprises de la
principale usine du monde, la
Chine, a réduit ses importations de
matières premières tout en ampu-
tant ses exportations. En témoigne
l’effondrement du trafic conteneur
des ports chinois.

L’OMC s’inquiète
La mondialisation et le développe-
ment des chaînes de valeurs inter-
nationales aidant, c’est tout le com-
merce mondial qui est en berne. La
Chine est aujourd’hui à l’origine de
20 % du commerce mondial des
produits manufacturés intermé-
diaires (contre 4 % en 2002).
Pour l’heure, l’OMC n’a pas
encore communiqué de chiffres.
Dans une étude spéciale, publiée
jeudi, Euler Hermes évoque déjà
une contraction. En volume, le
commerce devrait reculer de 2,5 %
sur une base annualisée au premier
trimestre. Il devrait encore reculer
de 1 % au deuxième trimestre.
L’indice d’activité commerciale
d’Euler Hermes montre un effon-

drement en février du fait d’un
plongeon de l’activité en Chine et de
la détérioration des commandes à
l’exportation, en particulier en
Europe et en Asie.
Selon les s tatistiques de l’Interna-
tional Chamber of Shipping men-
tionnées par l’étude, le coronavirus
a eu pour conséquence d e retirer du
marché plus de 350.000 conte-
neurs. La Commission européenne
note qu’au cours des quatre derniè-

res semaines, le trafic de conte-
neurs en partance de Chine a reculé
de près de moitié. Pour quel coût?

Comparable
au conflit sino-américain
En prenant pour hypothèse les
mesures de quarantaine en Chine et
en Italie et les mesures limitées de
confinement dans les autres pays
touchés par le coronavirus, Euler
Hermes avance un chiffre de 161 mil-

liards de dollars d’exportations per-
dues. Avec le recul de la fréquenta-
tion touristique en Chine et en
Europe (125 milliards de pertes) et le
ralentissement des services d e trans-
port (33 milliards) le montant total
de la facture s’élèverait à 320 mil-
liards de dollars. Pour Euler Hermes,
ces pertes sont équivalentes à celles
occasionnées sur l’année 2019 par la
bataille commerciale entre les Etats-
Unis et la Chine.n

Richard Hiault
@RHIAULT


C’est un beau plongeon. L’observa-
tion en temps réel de la position des
navires de transport et les statisti-
ques relatives aux marchandises
qu’ils transportent montrent un net
recul du commerce international
depuis fin janvier. Tel est le constat
d’Abudi Zein, directeur général de
ClipperData, dans une note publiée
par la Cnuced. Dans les f aits, le coro-
navirus n’a fait qu’accentuer une
tendance déjà à l’œuvre. « Les entre-
prises de transport maritime ont
réduit leur capacité depuis environ
août 2018 sur la plupart des voies
commerciales », indique-t-il. Les
tensions commerciales ont ralenti
la demande mondiale de capacité
de fret. « Dans la seconde moitié de
janvier et début février, cette baisse
s’est fortement accélérée », écrit-il.
L’activité commerciale mondiale
est sur une mauvaise pente. De
l’aveu propre du directeur général


Le commerce


mondial


s’effondre


L’épidémie de coronavirus
devrait faire chuter
le commerce international
au premier semestre. C’est
ce qu’avance une étude
d’Euler Hermes qui prévoit
un recul des échanges
pendant deux trimestres
d’affilée.


Selon la Commission européenne, le trafic de conteneurs en partance de Chine a reculé de près
de moitié au cours des quatre dernières semaines. Photo iStockphoto

ment : le papier toilette et les solu-
tions de désinfection sont devenus
rares. S elon l’institut GfK, les ventes
de soupes toutes prêtes ont bondi
de 112 % en une semaine, celles de
légumes en conserve ont augmenté
de 80 %, et celles de pâtes de 73 %.

Le gouvernement d’Angela
Merkel fait en revanche la sourde
oreille aux appels à desserrer l’étau
budgétaire en faveur d’un plan de
relance en bonne et due forme.
« Nous avons toute la force nécessaire
pour réagir rapidement, avec déter-
mination et force. Notre politique
budgétaire est précisément conçue
pour assurer une gestion économi-
que saine, afin de pouvoir également

Les principaux foyers
infectieux sont
dans les régions
économiquement
motrices du pays.

réservations », indique Julia Franch,
de l’association Travel Advisors, qui
souligne même un « arrêt total »
dans le secteur des événements liés
au secteur pharmaceutique, et cal-
cule que 50 % des réservations de
vacances ont été annulées. Le sec-
teur touristique tente de retourner
la tendance avec baisses de tarifs,
flexibilité pour changer de dates et
gratuité des frais d’annulation. Mais
il attend surtout avec impatience le
plan de choc promis par le gouver-
nement pour réactiver le secteur.n

50 %


DES RÉSERVATIONS
DE VACANCES
ont été annulées.
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