Le Monde - 07.03.2020

(Grace) #1
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SAMEDI 7 MARS 2020 sports| 21

Le peloton, cible idéale pour le coronavirus


Les Strade Bianche, prévues le 7 mars, ont été annulées jeudi, et d’autres courses italiennes sont menacées


CYCLISME


I


ls sont toujours entre deux
avions, tapent dans les
mains des spectateurs et se
passent un stylo unique pour
signer la feuille d’émargement,
toussent, se déplacent à 180, boi­
vent au bidon préparé par d’autres
et vivent dans des cars et cham­
bres climatisés... Dans la liste des
hantises du cycliste, le virus se
hisse assez haut. Sans surprise, le
cyclisme est le premier sport à dé­
railler sous l’effet de l’épidémie
mondiale de coronavirus.
Depuis le 27 février et jusqu’au
14 mars, trois équipes sont partiel­
lement confinées dans un hôtel
d’Abou Dhabi, où six cas de coro­
navirus ont été confirmés dans la
nuit de mardi à mercredi par le
ministère émirati de la santé en
marge de la course UAE Tour,
écourtée à deux jours de l’arrivée.
Quatre des meilleures équipes
mondiales ont pris la décision de
se retirer de toutes les compéti­
tions jusqu’au 22 mars (au
20 mars pour Astana). Cela vaut
pour Paris­Nice, qui doit s’élancer
dimanche des Yvelines. Pour limi­
ter la cure d’amaigrissement du
peloton, les organisateurs ont in­
vité deux équipes supplémentai­
res et autorisé les formations res­
tantes à aligner huit coureurs, au
lieu de sept.
L’équipe Ineos, qui doit égale­
ment faire le deuil de son direc­
teur sportif, Nicolas Portal, dis­
paru mardi 3 mars, « ne souhaite
pas se mettre dans une situation
dans laquelle [ses] coureurs se­
raient potentiellement infectés ou
mis en quarantaine », a expliqué

son manageur, Dave Brailsford.
« Nous sommes également tout à
fait conscients de la difficulté de la
période pour tous les services de
santé locaux, et nous ne voulons
pas imposer une pression ou un
fardeau supplémentaire alors que
toute leur attention doit être con­
sacrée à la population locale », a
ajouté le Britannique.

Le cyclisme n’est pas heureux :
en mars, le calendrier se concentre
sur l’Italie, désormais à l’arrêt. La
course des Strade Bianche, prévue
samedi 7 mars, a été annulée qua­
rante­huit heures avant à la de­
mande de la préfecture de Sienne.
Milan­San Remo, première
grande classique de la saison, doit
traverser, le 21 mars, certaines lo­
calités lombardes concernées par
des mesures de confinement.
Mais l’organisateur RCS insiste et
espère trouver des solutions pour
maintenir son joyau, quitte à ce
qu’aucun spectateur ne puisse y
assister au bord de la route.

Un « grand cirque ambulant »
L’obstination de RCS, qui tient
aussi à la tenue de Tirreno­Adria­
tico, course par étapes de sept
jours (du 11 au 17 mars) reliant la
côte tyrrhénienne à l’Adriatique,
n’est pas suivie par les équipes :
dix ont d’ores et déjà renoncé. « Je
n’ai pas peur, je suis simplement

responsable », a dit Jonathan Vau­
ghters, manageur de l’équipe Edu­
cation First. En cas d’annulation,
les courses pourraient se disputer
en juin ou, plus probablement, en
fin de saison, en octobre.
Dans une lettre ouverte publiée
mercredi 4 mars, les médecins de
dix­sept équipes cyclistes ont ré­
clamé l’annulation des épreuves
italiennes. Ils citaient notamment
le risque de mise en quarantaine
de la totalité d’une équipe ou la
surcharge à laquelle est soumis le
système hospitalier italien.
« Ce grand cirque ambulant peut
avoir en son sein déjà contracté la
maladie et la déplacer sans aller en
Italie, indique Eric Bouvat, le mé­
decin d’AG2R­La Mondiale. On a
des coureurs qui viennent du
monde entier, de pays très diffé­
rents, pour certains desquels l’état
de l’épidémie est inconnu. La popu­
lation est tellement diverse, chez
les coureurs comme parmi les en­
cadrements, que l’on n’a pas de bar­

rière. » Et le docteur de poursui­
vre : « Au sein même du peloton, la
transmission est facile dans des tas
de situation, hors course comme
pendant la course. Dans le peloton,
les coureurs respirent à fond et
sont proches les uns des autres. A
table, dans le car, ils sont tous côte
à côte. Le mètre de sécurité est très
souvent absent. »
La propagation des virus est l’ob­
session des médecins d’équipe,
prompts à décréter l’isolement
d’un coureur dès lors qu’il est dia­
gnostiqué atteint d’une gastro­en­
térite ou d’une angine virale. Sur
le Tour de France 2019, l’équipe
Groupama­FDJ employait un
prestataire pour évacuer les bacté­
ries et allergènes des systèmes de
climatisation des hôtels, « le plus
gros danger du coureur cycliste »,
selon Thibaut Pinot.
En France, la Ligue nationale de
cyclisme recommande désormais
aux coureurs de s’abstenir de si­
gner des cartes postales, faire des

selfies, donner leurs bidons ou se
taper dans les mains en cas de vic­
toire. Exit aussi les hôtesses sur les
podiums et la remise des bou­
quets. Les organisateurs devront
éviter qu’un même stylo soit par­
tagé par l’ensemble du peloton au
« podium signature », avant le dé­
part de la course.

« Toujours à la limite »
Guillaume Martin, leadeur de
l’équipe Cofidis, est loin de l’hypo­
condrie mais admet que « si le
speaker de la course vous pos­
tillonne au visage, on espère qu’il
n’a pas le coronavirus ». Chez Cofi­
dis, comme dans son ancienne
équipe belge Wanty­Groupe Go­
bert, une solution hydroalcooli­
que traîne toujours à table ou
dans le car de l’équipe. Mais l’in­
jonction à se laver les mains n’at­
teint pas celle en cours chez Ineos :
dans l’équipe britannique, le gel
est à l’entrée du car et obligatoire
pour tout étranger souhaitant pé­
nétrer dans le refuge des coureurs.
« Il est sûr qu’on est toujours à la
limite en termes immunitaire : un
sportif de haut niveau est soit en
excellente santé, soit malade », ob­
serve Guillaume Martin, qui dis­
putera Paris­Nice. « Sur le Tour de
France, tous les ans, beaucoup de
coureurs tombent malades en
plein mois de juillet. Le fait d’avoir
un léger mal de gorge est considéré
comme un signe de forme », ajoute
le grimpeur français
Eric Bouvat constate toutefois
que « ces jeunes gens résistent plus
facilement aux différentes infec­
tions que la population générale ».
En ce début de saison, la priorité
des coureurs est moins de rester
en bonne santé que de trouver des
épreuves à disputer. Voire, pour
une dizaine d’entre eux, de quitter
enfin leur hôtel d’Abou Dhabi.
clément guillou

Le Roux­Willemse, double verrou bleu à l’accent afrikaans


Le deuxième­ligne du Racing et celui de Montpellier devraient être alignés, dimanche 8 mars, face à l’Ecosse dans le Tournoi des six nations


RUGBY


A


u football, Kylian
Mbappé l’a vertement
rappelé : « Moi, tu ne me
parles plus d’âge. » Au rugby, si
Bernard Le Roux (30 ans) et Paul
Willemse (27 ans) comptent
parmi les « vieux » du XV de
France cru Galthié 2020, c’est
davantage la question des origi­
nes qu’ils auraient tendance à
évacuer. « On n’aime pas beau­
coup qu’on pense que nous som­
mes des Sud­Africains qui
jouent en équipe de France, in­
siste Paul Willemse. On est des
deuxièmes­lignes français et c’est
ça qui nous rend fiers. On est ici
depuis longtemps. »
« Ici », c’est la France, embrassée
par Le Roux et Willemse il y a res­
pectivement onze et six ans, et
dont ils porteront les couleurs
dimanche 8 mars (à 16 heures),
lors de la quatrième rencontre du
Tournoi des six nations, en
Ecosse. Ce match, en cas de vic­
toire (ce serait la première à
Edimbourg depuis 2014) pourrait
propulser les Bleus vers une
finale à domicile face à l’Irlande,
samedi 14 mars, avec un grand
chelem en jeu.

« On a pensé aux joueurs qui
pourraient être les plus complé­
mentaires à l’instant T. On a réflé­
chi aux équilibres, forces, points
forts. Nous avons effectivement
deux joueurs aux origines sud­
africaines en deuxième ligne », a
sobrement commenté Fabien
Galthié, lors de sa première com­
position d’équipe, avant le dé­
but du tournoi.

« Tu perds 10 kg d’abord »
Si le règlement de World Rugby, la
fédération internationale, per­
met à un joueur ayant passé cinq
ans dans un pays d’en défendre
les couleurs, les deux hommes
remplissent également les condi­
tions – plus drastiques – fixées par
la Fédération française de rugby
(FFR). « Il faudra un passeport
français » pour jouer avec le XV de
France, avait assuré Bernard La­
porte en 2017, fraîchement élu à la
présidence de la FFR.
Dès le premier match de l’édi­
tion 2020 du Tournoi des six
nations, face aux Anglais, la paire
Willemse­Le Roux a donné le ton
en défense. Avec respectivement
22 et 13 plaquages, les deux
joueurs ont contribué à étouffer
les attaques du XV de la Rose.

Avant de recommencer face à
l’Italie, puis au Pays de Galles.
Dans ce domaine, Willemse
s’inspire de son aîné. « Il n’y a pas
beaucoup de joueurs capables de
faire deux, trois plaquages consé­
cutifs et de se relever, c’est impres­
sionnant, salue le Montpelliérain.
J’ai vu que c’était possible car, si lui
peut le faire, moi aussi. » « Il est très
dur avec lui­même. J’étais comme
ça il y a quelques années », philoso­
phe Le Roux. En trois matchs, les
deux Bleus aux pointes d’accent
afrikaans – ils se taquinent parfois
dans leur idiome natal – ont fait
oublier la retraite internationale
de Sébastien Vahaamahina –
après son coup de coude en quarts
de finale du dernier Mondial. Tout
sauf une surprise pour les coachs
français, qui s’étaient assurés de
l’envie des deux hommes.
Afin de décider quels joueurs
seraient de l’aventure, le staff des
Bleus s’est entretenu avec près
d’une centaine de joueurs pour
sonder leur motivation. « Paul a
asséné d’entrée qu’il voulait être
considéré comme l’un des
meilleurs deuxièmes­lignes du
monde, se remémore le mana­
geur général, Raphaël Ibañez,
conquis. On lui a répondu : “Très

bien, mais tu perds 10 kg d’abord.”
Et là, il tient la forme de sa vie! »
Avant la victoire au Pays de Gal­
les, le 22 février, Bernard Le Roux a
salué les efforts de son partenaire
de seconde ligne. « Il a perdu 15 kg
depuis la préparation à la Coupe
du monde. Il ne pouvait pas jouer
un tournoi international à 135 kg.
Maintenant, il fait très attention à
lui, on voit qu’il a très envie. »

« Aller jusqu’au Mondial 2023 »
« Auparavant, je n’étais pas capa­
ble de faire ce que je fais mainte­
nant. Je me sens très bien. Encore
fort et très mobile », reconnaît
Paul Willemse. Avant de nuancer,
d’un éclat de rire : « Bon, pas très
mobile, mais plus mobile! » Suffi­
samment pour inscrire contre
les Gallois son premier essai en
bleu, au terme d’une action me­
née par les avants.
C’est à partir du stage de prépa­
ration à la Coupe du monde, ef­
fectué en commun à l’été 2019


  • mais que Willemse a dû quitter
    après une blessure – que les deux
    hommes se sont liés d’amitié. Au
    point de prolonger leur entente
    en passant ensemble à Paris les
    quelques jours de congés ayant
    suivi France­Italie, début février.


L’anecdote traduit le chemin
parcouru par celui qui, dans un
entretien à L’Equipe en 2019, rap­
pelait qu’« à la base [il] ne venait
[en France] que pour deux saisons,
pour gagner un peu d’expérience
et retourner ensuite en Afrique du
Sud ». Depuis la naissance de leur
fils, il y a trois ans, Paul Willemse
et son épouse ont « décidé de res­
ter en France, même après la fin de
[sa] carrière ». S’il maintient des
performances à la hauteur des
trois premières sorties du tour­
noi, cette fin risque de tarder à
arriver. « Il veut aller jusqu’à la
Coupe du monde 2023 », souffle
son comparse.
Le Roux, lui, a failli raccrocher.
Après le match à Cardiff, il a
confessé avoir annoncé à sa
femme, avant le dernier Mondial,
qu’il s’agirait de son dernier tour
de piste en bleu. Avant de se ravi­
ser. « Pendant la Coupe du monde,
quelque chose a commencé à se
créer avec ce groupe. Je lui ai dit :
“Je suis obligé de continuer parce
que je sens qu’on va gagner quel­
que chose, je sens qu’on va aller
loin avec ce groupe qui a énormé­
ment de talent”. » Les Ecossais
sont prévenus.
clément martel

Juan
Sebastian
Molano,
avant
le départ de
la 6e étape
du Tour de
Colombie,
à Zipaquira,
le 16 février.
JUAN BARRETO/AFP

« La population
est tellement
diverse
que l’on n’a pas
de barrière »
ÉRIC BOUVAT
médecin d’AG2R-La Mondiale

Les forfaits d’équipes se multiplient


Plusieurs équipes cyclistes ont renoncé, ces derniers jours, à par-
ticiper aux principales courses inscrites au calendrier en mars.
Astana, CCC, Ineos, Mitchelton-Scott et UAE Emirates seront ab-
sentes de Paris-Nice, qui débute dimanche 8 mars. Dix des dix-
neuf formations du WorldTour, la première division mondiale
(AG2R La Mondiale, Astana, CCC, Education First, Groupama-FDJ,
Ineos, Jumbo-Visma, Mitchelton-Scott, Sunweb, UAE Emirates)
ont renoncé à s’aligner sur Tirreno-Adriatico, prévue du 11 au
17 mars, mais qui devrait être annulée, ou repoussée, en raison
du décret pris mercredi soir par le gouvernement italien. Quel
que soit le sort de Milan-San Remo (21 mars), AG2R La Mondiale,
Education First, Jumbo Visma, Mitchelton-Scott, Ineos, Sunweb
et UAE Emirates ont déjà dit qu’elles n’y participeraient pas.

LES  DATES


Il reste officiellement deux jour-
nées à disputer dans le Tournoi
des six nations, mais le calen-
drier des matchs a été bousculé
par l’épidémie de coronavirus.

SAMEDI  7 MARS  ET 
DIMANCHE  8 MARS
Le match Angleterre-Pays de
Galles aura lieu samedi à 17 h 45,
et Ecosse-France, dimanche à
16 heures. Prévue samedi à Du-
blin, la rencontre Irlande-Italie
a été reportée sans qu’une nou-
velle date ait été fixée.

SAMEDI  14 MARS
Le Pays de Galles doit recevoir
l’Ecosse et la France doit ac-
cueillir l’Irlande. Pour le mo-
ment, ces matchs sont mainte-
nus. La rencontre Italie-
Angleterre a en revanche été
reportée à une date qui reste
à préciser.
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