D’UN GRAND SAC PLASTIQUE, Sophie
Grech sort une paire de baskets fatiguées. « Je
vais être plus à l’aise », se justifie la candidate
Rassemblement national dans le 8e sec teur,
en ôtant ses chaussures à hauts talons. Ce
jeudi 27 février, il ne reste plus grand monde
au siège marseillais du RN, repaire sécurisé
tout près de la place Castellane, et la jeune
conseillère régionale de 34 ans, propulsée
tête de liste dans les quartiers nord de la ville,
se relâche un peu. Les journalistes sont
presque tous partis, les candidats qui remplis-
saient la salle, aussi. Ne restent plus que
les cadres locaux, conviés à préparer la venue
de Marine Le Pen, le 6 mars, à Marseille.
« L’événement de la campagne », glisse, frétil-
lante, Sophie Grech. Quelques minutes plus
tôt, cette fonctionnaire de la police scienti-
fique, surdiplômée et control freak, est venue
se poster derrière son chef de file, le sénateur
Stéphane Ravier, pour présenter à la presse
les quatre premiers candidats de sa liste du
8 e secteur. Lui, assis comme un maître à sa
table. Elle, debout, comme une écolière disci-
plinée convoquée au tableau. « C’est une tor-
nade, ne vous fiez pas à ce petit bout de
femme », savoure le patron du RN à Marseille
qui a choisi comme missionnaire, dans ces
terres acquises à la gauche, cette militante,
fille d’une de ses adjointes à la mairie du
7 e secteur et convaincue, comme lui, qu’il faut
« sauver la France de l’islamisme ».
Jupe en cuir, veste de tailleur noir dont les
longues manches occultent ses tatouages
religieux, Sophie Grech joue la sobriété.
Perchée sur ses escarpins, elle décline le
pedigree de ceux qu’elle a choisis comme
colistiers. Un fonctionnaire hospitalier d’ori-
gine kabyle, ancien du Rassemblement pour
la France de Pasqua et Villiers. Une secrétaire
aux racines arméniennes. Un cadre de la
sécurité, réserviste de la gendarmerie, passé
par la protection d’ambassades en terres
hostiles et médaillé, précise-t-elle, de la croix
du combattant et qui a reçu un titre de recon-
naissance de la nation. Et, enfin, une pharma-
cienne de 63 ans. « Pharmacien, corrige
Stéphane Ravier. On ne féminise pas les
fonctions. » Le moment est symbolique. Le
sénateur Ravier a tenu à présenter ses listes
quelques heures avant la date officielle de
clôture des dépôts. Pour prouver que son
mouvement n’a plus, comme en 2014, de
difficultés à trouver 303 noms pour aller aux
urnes. « Trois cent trois lucifériens qui ne sont,
pour l’instant, coupables que d’être sur nos
listes », ironise le fan d’AC/DC, qui ne résiste
pas au plaisir d’ajouter, cynique face au
mercato politique que vit Marseille depuis
quelques semaines : « Et je peux vous assurer
qu’il n’y a pas d’anciens guérinistes ni de
sortants de la majorité Gaudin. »
Sophie Grech, elle, en bonne élève, a devancé
l’appel. « J’ai déposé ma liste le premier jour à
la première heure », assure fièrement la doc-
teure en nanosciences et science des maté-
riaux. « Ce qui change par rapport à la précé-
dente municipale, c’est qu’on est beaucoup
plus professionnel », complète sa copine
Éléonore Bez, conseillère régionale elle aussi
et tête de liste dans le 5e secteur. Stéphane
Ravier, lui, s’amuse comme un petit fou. Il a
entamé la conférence de presse en chantant
Vivre pour le meilleur, de Johnny Hallyday, une
autre de ses icônes musicales. Il la clôture en
réunissant toutes ses têtes de liste pour une
photo de famille. « On dit tous Maaaar-
tiiiiinnne », enjoint-il à ses camarades, en for-
çant son sourire. Le message s’adresse à la
candidate Les Républicains, Martine Vassal,
qu’il a qualifiée le matin même de « peureuse »
parce qu’elle refusait de débattre avec lui en
direct sur les ondes de RTL. Toutes les têtes
de liste ont rendez-vous le 11 mars pour une
émission télévisée sur France 3 Méditerranée.
« On verra si elle s’est procuré un peu de cou-
rage d’ici là », fanfaronne le candidat RN.
Trois heures plus tard, le sénateur sourit jaune
quand il débarque à Chez Mimmo et Delphine,
une pizzeria du 13e arrondissement, tout au
nord de la ville, où son staff de campagne aÉPISODE
RISETTES ET ROSETTE.
prévu une réunion publique. La salle est bien
trop grande pour les quatre habitants venus
entendre le bilan de sa mairie de secteur et
ses projets pour la ville. L’orage a lessivé les
rues de Marseille toute la journée.
« D’habitude, nous avons beaucoup plus de
monde. Mais il ne fait pas beau et c’est les
vacances », se rassure-t-il. L’explication est
plausible. Dans les bureaux de vote de ces
anciens quartiers ruraux, désormais dévorés
par une urbanisation chaotique de petits lotis-
sements et de résidences fermées, le RN
cartonne habituellement. Aux dernières euro-
péennes, en 2019, il n’est jamais descendu
sous les 34 % des suffrages, avec des pointes
au-dessus de 40 %. De son accent espagnol
qui roule les « r », Miso Lobo Antonio, « colleur,
boîteur, tracteur » au physique de pilier de
rugby et moustache frémissante, confirme :
« L’accueil est très bon par ici. » « Avant, on
nous arrachait les affiches ou on nous dessi-
nait des croix gammées dessus... Aujourd’hui,
on nous les recouvre seulement », se satisfait
le militant, retraité de la marine marchande.
Le boucher voisin vient de déposer trois
beaux plateaux de charcuterie – « Un petit
présent », assure-t-il en repartant – et cela
suffit pour redonner à Stéphane Ravier sa
bonne humeur et lui faire oublier le mal de
dos qui le tarabuste. Après sa nièce Sandrine
D’Angio, à qui il a cédé sa mairie de secteur,
le sénateur entame un long monologue où il
décline ses résultats. « Nous avons empêché
l’installation de deux squats de Roms et fait
fermer une mosquée islamiste », assure-t-il à
une assistance conquise. Avant de promettre
la baisse de la fiscalité, une ligne de métro
supplémentaire et, bien sûr, la sécurité
renforcée. « Cela ne sert à rien d’avoir des
bus ou des tramways en plus si on a peur de
se faire agresser dedans », affirme-t-il, récol-
tant l’acquiescement des deux retraités assis
devant lui. « J’adore cette campagne, nos
adversaires sont divisés comme jamais, ils
nous aident beaucoup, conclut-il alors que la
charcuterie disparaît des plateaux. Cette
année, c’est la bonne. »
(À s ui v r e...)Texte Gilles ROFPRÉCÉDEMMENT... DANS LA GUERRE DES
AFFICHES, LA CANDIDATE LR, MARTINE
VASSAL, ÉCRASE LA CONCURRENCE ET
PROVOQUE DES FRUSTRATIONS.
LA SÉRIE MARSEILLE, LA GUERRE DU TRÔNE.
LA SEMAINE